Christophe Honoré : “’Le Lycéen’ est un film qui a les bras ouverts”

On est frappé, dans la 1ère partie du Lycéen, par une mise en scène assez brute, quasi documentaire, avec une caméra portée. Est-ce que ce tournant stylistique dans votre œuvre est influencé par le tournage de votre précédent film, Guermantes,...

Christophe Honoré : “’Le Lycéen’ est un film qui a les bras ouverts”

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On est frappé, dans la 1ère partie du Lycéen, par une mise en scène assez brute, quasi documentaire, avec une caméra portée. Est-ce que ce tournant stylistique dans votre œuvre est influencé par le tournage de votre précédent film, Guermantes, très léger et en petite équipe? 

Christophe Honoré – C’est en effet sur Guermantes que j’ai expérimenté pour la 1ère fois le tournage en caméra épaule. Nous n’étions que trois et nous n’avions simplement pas le choix. J’ai toujours été méfiant de la caméra épaule, parce qu’au moment où j’ai commencé, c’était un lieu commun post-Dardenne. Dans Guermantes, c’est devenu pertinent car je voulais qu’on soit au cœur des scènes, avec l’idée que la caméra serait sans cesse surprise par ce qu’il se passe. J’ai eu envie d’expérimenter cette disponibilité à l’inattendu sur Le Lycéen, parce que ce que je crains de plus en plus sur mes tournages, c’est qu’il ne soit qu’une simple exécution. Le danger est que le film ne vive pas et vise un objectif qui préexisterait au tournage, alors qu’il faut qu’il s’invente au contraire au moment du tournage.

Comme je jouais aussi dans Guermantes, je me suis aperçu que la caméra portée était très agréable pour les acteurs. Une caméra portée ne cherche plus à les inscrire dans un plan défini mais est constamment guidée par le rythme, les choix et les déplacements des comédiens. La conséquence, c’est que l’éclairage doit être général, puisqu’on doit pouvoir travailler dans tous les axes. Par exemple, dans les scènes de famille en Savoie, il y a de nombreuses scènes où le soleil perce et rentre très souvent dans le cadre de façon inattendue, en créant des flares. Mais dans le dernier mouvement du film, quand la mère reprend le récit en charge, on a retrouvé les rails et la dolly.

La question biographique et la possibilité de causer de soi à travers son œuvre sont au cœur de votre travail. Mais on a le sentiment que Le Lycéen déclenche chez vous une forme de pudeur. 

On aimerait qu’entre ce qui est de l’ordre de l’intimité avec laquelle on travaille et ce qui est de l’ordre de la vie privée qu’on n’a pas envie d’exposer dans son travail, il y ait une frontière claire. Mais évidemment, ce n’est jamais aussi net. De plus en plus, j’ai besoin d’être concerné par ce que je explique, même plus que ça, consacré.

Parler à la 1ère personne, je le faisais déjà dans Les Chansons d’amour ou dans Dans Paris, mais à partir de Plaire, aimer et courir vite, c’est devenu plus structuré pour moi, du point de vue de la théorie et de l’élaboration des films. Évidemment, ça n’empêche pas l’embarras au moment de commenter les films, parce que tout est vrai, mais en même temps, je ne reconnais rien. L’incarnation des comédiens, la mise en scène et, dans le cas du Lycéen, la transposition à notre époque éloignent le film de moi, et tant mieux.

Je n’ai pas voulu reconstituer un moment sur le mode de l’autoportrait, comme dans Plaire, aimer et courir vite. Là, j’ai voulu que le matériel autobiographique surgisse dans une histoire installée, décrite, documentée dans le monde d’aujourd’hui. En fait, je voulais retranscrire quelque chose que j’ai senti très fort avec ma fille, qui a elle-même 17 ans. On peut causer de vulnérabilité de la jeunesse contemporaine, d’une santé mentale marquée par les confinements et l’épidémie.

Sur une génération très précise, c’est-à-dire celle qui est rentrée avec un masque en seconde, on peut dire que l’épidémie lui a volé quelque chose qu’elle ne récupérera pas. Je me suis vu interdire à ma fille de faire des fêtes. C’est surréaliste parce que le lycée est exactement le moment où on doit échapper aux parents et à la société pour affronter le groupe et éprouver la solitude. Je me dis qu’avoir été privé des années lycée va marquer très fort cette génération née entre 2005 et 2008.

Le film témoigne quand même de cette jeunesse-là à travers le personnage de Paul. On peut voir les étapes qu’il traverse comme des métaphores du confinement. La façon qu’il a de se sentir étranger dans le monde, la tentation du renoncement, le passage par le mutisme pour s’affirmer, cette fuite dans la sensualité sont des signes forts de la jeunesse contemporaine. C’est pour cette raison que je suis gêné quand je cause de la dimension autobiographique du Lycéen. J’ai le sentiment que je vole le film à ma fille en fait, alors que j’aimerais qu’il lui appartienne aussi.  

Tu mentionnes une nouvelle structuration théorique de ton œuvre depuis Plaire, aimer et courir vite. En quoi consiste-t-elle ? 

Elle est passée par le théâtre. L’équipe des Idoles m’appelait l’enceinte, parce qu’il y a une scène où ma voix arrive sur scène par l’intermédiaire d’une enceinte, pour exprimer mon rapport personnel aux personnages sur scène. C’est la 1ère fois que je dis “Je” dans une de mes créations, hors littérature. Après, il y a eu l’expérience de Guermantes, où j’incarne le metteur en scène, puis Le Ciel de Nantes, où j’ai un double mais qui porte mon nom, exerce mon métier et convoque sa famille sur scène. Petit à petit, cette recherche d’une autofiction théâtrale a pris forme.

Au cinéma, cette question de l’autofiction est flagrante chez des gens comme Nanni Moretti, Woody Allen ou Chantal Akerman, lorsque le corps même du cinéaste s’inscrit dans le cadre. Là, soudain, un pacte se signe entre le cinéaste et ses spectateur·ices. Peut-être qu’aujourd’hui, je réfléchis plus qu’avant au lien quasi physique entre le film et mon propre corps, qu’il se dédouble à travers le corps de Paul ou qu’il se glisse dans la figure de mon père que je joue au début du film. 

Ce qu’il y a de très beau dans Le Lycéen, c’est que le film n’étouffe pas du tout sous la dimension autobiographique. Au contraire, il s’agit au moins autant d’un autoportrait que d’un portrait de la révélation du film, le jeune Paul Kircher. À quel moment avez-vous senti que le film serait traversé par ce double mouvement, introspectif et en même temps totalement ouvert à l’autre ? 

Je l’ai regardé lui, je ne me suis pas regardé à travers lui. Il appartient à la jeunesse d’aujourd’hui dans sa démarche et dans la manière dont il pose sa masculinité. Au moment du casting, j’ai aussi noté qu’il avait un corps très athlétique, ce qui n’était pas du tout mon cas. Et les scènes de jogging ont été imaginées à la suite de ces observations. Le Lycéen est donc aussi un portrait de Paul, de ce que je perçois de lui. Le double mouvement dont vous causez était très important. Je ne voulais pas d’un film où je regarde derrière mon épaule. La force de Paul, c’est de ne pas simplement être un bon acteur, il semble faire les choses d’une manière absolument inédite. Sa manière d’être ne croise jamais le lieu commun.

C’était pareil lorsque j’ai fait tourner Louis Garrel. Les gens le trouvaient bizarre. L’arrivée d’un nouvel acteur est toujours scandaleuse. Erwan Falé, qui joue l’ami du frère de Paul, est lui aussi inédit. Sa liberté à incarner un jeune homme noir homosexuel, son courage d’assumer la proximité entre le personnage et lui-même, et la façon dont il clame “si le cinéma veut de moi, il faudra qu’il me prenne tel que je suis” sont très nouveaux. Ce qu’il incarne n’existe tout simplement pas dans le cinéma français. On en cause moins parce que Paul capte l’attention, mais Erwan est pour moi une révélation tout aussi précieuse. 

On a le sentiment que Plaire, aimer et courir vite et Le Lycéen constituent une sorte de crête de ce que votre cinéma est capable d’accomplir et qu’ils sont espacés de films qui ressemblent plus à des esquisses, comme Guermantes ou Chambre 212.  Avez-vous besoin de cette alternance ? 

Il y a d’abord une question économique. Paradoxalement peut-être, Plaire, aimer et courir vite et Le Lycéen sont des films plus périlleux économiquement, parce que dans le cas du dernier, le rôle principal est tenu par un inconnu et il ne ripoline pas la vie, mais est au contraire le théâtre d’une forme de violence de l’existence. C’est important d’alterner et de faire Chambre 212, qui correspond à un plaisir de cinéma peut-être plus directement partageable et plus facile à financer, ou alors Homme au bain, qui est un projet beaucoup plus modeste économiquement et donc aussi plus facile à financer.

Comme je ne veux pas répondre à l’injonction qui demande aux auteurs d’utiliser leur savoir-faire pour faire du cinéma de genre plus commercial, je préfère l’alternance. Par exemple, Les Malheurs de Sophie répond vraiment à Métamorphoses. Et ce n’est pas du cynisme financier, cette alternance est aussi revitalisante d’un point de vue artistique, comme le théâtre ou la littérature. Elle me permet aussi d’avoir l’impression d’avancer. Je ne supporterais pas d’avoir l’impression de refaire tout le temps le même film, je préfèrerais l’euthanasie. L’accumulation des œuvres débouche sur deux voies, soit devenir un grand auteur classique, comme Clint Eastwood ou Claude Chabrol par exemple, le moment où ce n’est plus l’invention mais l’amusement et la variation qui priment, soit tu essaies de rester inventif comme Jean-Luc Godard ou Brian De Palma. Je crois que la seconde voie me correspond plus. 

Avez-vous pensé arrêter le cinéma à un moment ? 

C’est arrivé très tôt. Après 17 fois Cécile Cassard, je ne voulais vraiment plus faire de films. Je n’en étais pas content du tout. Pour le second, Ma mère, j’aimais le film mais la sortie avait été tellement violente que je me suis dit que je n’allais plus m’infliger ça. C’est Paulo Branco qui m’a convaincu de m’y remettre, en me disant qu’il était possible de faire des films de manière clandestine et insouciante.

C’est comme ça que j’ai écrit et tourné Dans Paris, de façon très légère. J’ai enchaîné avec Les Chansons d’amour et La Belle Personne en prenant cette fois du plaisir à faire du cinéma, ce qui n’était pas le cas sur les deux 1ers. Je ne me souciais plus d’inscrire mes films dans un ensemble. Peut-être à cause du fait que j’avais été critique de cinéma, j’envisageais trop mes films comme des réponses à ce qui se faisait à l’époque dans le cinéma français. Il y avait l’idée de faire des films pour rentrer dans la bagarre. Alors que les trois suivants se sont fait dans l’oubli du cinéma. Encore aujourd’hui, je vois bien qu’il faut que je résiste à la tentation de faire des films en réaction à mon environnement. C’est un équilibre à trouver entre la dimension intime et le fait d’être aussi une plaque sensible à la vie collective. 

Est-ce que les films peuvent consoler, réparer, autant soi-même que l’époque ? 

Je ne suis pas convaincu par l’idée de la catharsis. En tant que cinéaste, je dirais que c’est trop éprouvant de faire un film pour imaginer qu’il puisse nous réconforter. Je préfère l’idée de la tendresse. Il y a des films qui ont les bras ouverts. Un film comme Le Lycéen offre la possibilité d’une chaleur, d’une tendresse qui circule. Il est quand même dans un rapport optimiste à l’existence et au cinéma.

Après, chaque film est l’occasion pour un cinéaste d’affronter son incompétence, ce qui est déjà difficile. On se sépare aussi de quelque chose en faisant des films. Mais je crois que le plus important, c’est que faire un film, c’est à un moment précis le meilleur moyen qu’on ait trouvé pour reprendre la parole face à un silence imposé. Les gens qui écrivent ou filment le font parce qu’autrement ils auraient le sentiment, parfois complaisant certes, d’être réduits au silence. 

En parlant de briser le silence, qu’as-tu pensé des révélations entourant la sortie des Amandiers

Cette affaire a un caractère à la fois accablant et nauséeux, il ne faut pas se mentir. Quelles que soient nos bonnes intentions, cela vient nous prouver que, face à la parole des victimes de violences, ce qui prédomine toujours est l’aveuglement et la surdité. Je me désespère que la présomption d’innocence bafoue la crédibilité de la parole des victimes.

J’entends tout à fait que des jeunes femmes qui sont dans une école de théâtre, qui prennent la parole et accusent un homme de les avoir violentées et violées, trouvent complètement brutal et indécent de voir cet homme monter les marches du Festival de Cannes ou être mis en avant dans un film. C’est tout à fait compréhensible qu’elles interprètent ça comme une impunité que le cinéma accorderait à cet homme. Je comprends leur détresse. Cette parole existait en amont du tournage des Amandiers, on ne peut pas faire comme si on ne savait pas.

Sur quels projets travaillez-vous en ce moment ?

Je termine un scénario de film d’été que j’aimerais tourner dès l’été prochain. Je ne sais pas à quoi cela ressemblera, donc je ne veux rien en dire de plus. Sinon, je reprends aussi bientôt les répétitions du Côté du Guermantes, qu’on rejoue à la Comédie française à partir de février 2023.