Pourquoi Rosalía est l’artiste pop la plus audacieuse de l’année

C’est bien simple, tout le monde l’aime. Le jeudi 3 novembre, alors que l’on shoote les photos pour la couv de notre numéro de décembre-janvier, Adèle Exarchopoulos danse sur le dernier album de Rosalía, Motomami. Quelques heures plus tard,...

Pourquoi Rosalía est l’artiste pop la plus audacieuse de l’année

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C’est bien simple, tout le monde l’aime. Le jeudi 3 novembre, alors que l’on shoote les photos pour la couv de notre numéro de décembre-janvier, Adèle Exarchopoulos danse sur le dernier album de Rosalía, Motomami. Quelques heures plus tard, Juliette Armanet nous fera part de son admiration intense pour la Barcelonaise, qu’elle compare à Björk. La même Björk qui traînait avec Rosalía et Arca à Barcelone au début de la conception de son dernier album, Fossora. Plus tôt cette année, j’animais un entretien croisé pour Deezer entre Rosalía et Angèle, ravie de rencontrer la sensation espagnole.

Mi-octobre, sur France Inter, Rebecca Manzoni demande à Lola Lafon quelle chanson permet de bien commencer une journée. Réponse : “N’importe quoi de Rosalía.” À la terrasse d’un café, fin octobre, Dominique Gonzalez-Foerster confiait “une grosse fixette sur Rosalía”. Et Perez, avec qui l’artiste sort un album sous l’alias Exotourisme, embrayait : “C’est le grand écart entre une musique pop ultra-efficace et une exigence expérimentale. Elle chante sur du piano et on entend des bruits comme des percussions vénères, surmixées, pas du tout naturelles pour une production mainstream. On a l’impression qu’on a collé des choses qui n’allaient pas ensemble et ça pète. Ça sort d’une écoute trop facile.”

Son concert à l’Accor Arena le 18 décembre suscite une excitation contagieuse, de celles qui s’infiltrent dans des sphères, des univers, des esprits différents. Alors que l’on se demande, très souvent, s’il existe encore des musiques rassembleuses, si certains morceaux peuvent encore faire vriller une assemblée de personnes à l’unisson à l’heure où chacun·e navigue à loisir dans la vaste discothèque d’internet, il semble que la réponse se trouve chez Rosalía, capable à elle seule d’exploser les bulles et de faire communion.

Des creux, des pleins, des déliés

Rosalía, star de l’année, donc, avec cette capacité démente à conserver sa radicalité. Le compromis doit exister, ici et là, ne soyons pas naïfs ou naïves, mais sa force tient à cette façon d’asseoir une musique et une esthétique singulières et novatrices dans une industrie que l’on pourrait hâtivement penser vendue aux sirènes d’un marketing tout juste bon à l’envisager comme un vaste divertissement joliment emballé. Du marketing, il y en a, bien sûr. Mais destiné à promouvoir une œuvre dont la construction pop ne cesse d’être triturée, assaillie, chamboulée par une déconstruction expérimentale. De l’ordre en proie au désordre.

Cette façon de tisser mélodie, rythmiques reggaeton, dramaturgie du flamenco, taillades, saccades, ruades, sans peur des silences. Des creux, des pleins et des déliés. Le tout assemblé de cette voix tour à tour vengeresse, frondeuse, insolente et légère comme le serait le galop d’un petit faon à plumes. Rosalía a su inventer sa modernité, invitant les palmas traditionnelles du flamenco sur Bulerías, comme le hentai (porno animé japonais) sur le morceau du même nom, dont la ritournelle est percutée par des paroles sexuellement explicites.

Rosalía a le sens de la facétie. Au fil de ses trois albums de plus en plus catégoriques – Los Ángeles (2017), El Mal Querer (2018) et Motomami (2022) –, ses morceaux se montrent aussi espiègles que ses looks et poses affichés sur Instagram. Sur le dernier, Bizcochito invente une ronde de cour d’école électrique, CUUUUuuuuuute, un carnaval furieux que vient couper, sans prévenir, un chant au piano, lui-même piqué de folie jusqu’à reprendre sa valse twerkée, sanguine et railleuse. Sa voix, tour à tour proche et lointaine, humaine et extraterrestre, dit l’alien tapi·e en chacun·e de nous, l’acceptation de sa dualité, de sa tertialité, de sa surcomplexité ; dit la bizarrerie, voire la monstruosité ; dit quelque chose du temps présent tout en participant activement à sa construction, reflet et création emmenés dans un même mouvement courageux.

Décentrer le regard du monde anglo-saxon

Parle-t-on assez de courage en musique ? Non, et pourtant, c’est lui que l’on admire, aussi, chez Rosalía, qui a l’audace de refuser la robotisation de la pop star, d’embrasser une sensualité si assumée qu’elle en montre les coutures. Ce n’est pas une sensualité de minauderie mais la performance de la sensualité, le fait de choisir, résolument, de poser nue telle une Vénus surgie du kérosène, sur la pochette de son dernier album, avec ce gros casque de moto noir, aussi noir que ses cheveux qui s’en échappent. Rosalía rejoue Méduse, autre image de la féminité effrayante, et marque ainsi l’année musicalement, mais aussi visuellement.

L’artiste, née en 1992 au cœur de la Catalogne des usines textiles, traduit le désir d’autodétermination qui anime les jeunes générations, bien décidées à ne plus se laisser écraser par une image unique, un joli petit moule dans lequel il faudrait se glisser, quitte à se couper un bras et une jambe. Rosalía dit le désir tout court. Avec ceci d’intéressant qu’elle atteint un certain succès tout en chantant principalement en espagnol, décentrant le regard du monde anglo-saxon, réaffirmant l’existence d’autres populations, d’autres cultures.

Il est certain que son passage à l’Accor Arena en décembre aura la même force que celui de Billie Eilish en juin dernier. Les musiciennes étant devenues les deux figures-clés de notre époque, la preuve que l’on peut causer “au plus grand nombre” tout en proposant des morceaux à l’atypisme salutaire et salvateur, que l’on peut réinventer une façon d’être femme cis non plus en copiant-collant les codes masculins pour entrer dans le game, mais en ouvrant une autre voie/voix, celle de l’alien.

Motomami + (Columbia/Sony Music). Concert le 18 décembre à Paris (Accor Arena)