[2023 vue par] Ladj Ly : “Engagez-vous en politique”

Comment s’est déroulé l’après-Misérables ? Ladj Ly — Le succès des Misérables a été une énorme surprise. Quand le film est sorti, on espérait faire 400 000 entrées. Il a dépassé les deux millions. L’impact du film a été un choc. Ça me touche...

[2023 vue par] Ladj Ly : “Engagez-vous en politique”

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Comment s’est déroulé l’après-Misérables ?

Ladj Ly — Le succès des Misérables a été une énorme surprise. Quand le film est sorti, on espérait faire 400 000 entrées. Il a dépassé les deux millions. L’impact du film a été un choc. Ça me touche beaucoup aussi que le film ne cause pas seulement aux gens qui vivent en France. Plein de gens à l’international s’y sont reconnus. Ça donne une énorme pression pour le film suivant.

Bâtiment 5 est né à quel moment ?

L’idée du film est née quand j’ai commencé à écrire Les Misérables. Mon projet global était de décrire Montfermeil durant ces trente dernières années. Les Misérables traite du présent, Bâtiment 5 se déroule en 2005 et le prochain sera situé dans les années 1990. J’avais le sujet en tête depuis longtemps car il est proche de ce que j’ai vécu. Ma famille était propriétaire d’un appart et s’est fait exproprier. Tout dans le récit est inspiré de véritables faits. Le seul truc qu’on a peut-être un peu exagéré au scénario, c’est la scène finale de prise d’otages chez le maire. Mais après le tournage, il y a eu l’attaque au domicile du maire de L’Haÿ-les-Roses.

Pourquoi la ville du film n’a-t-elle pas de nom,  et le parti politique du maire n’est-il pas identifié ?

Je n’avais pas envie de pointer une ville en particulier. Ce que explique le film concerne toutes les cités de France. Quant au maire, je voulais montrer qu’on pouvait être parachuté à ce poste sans être élu, sans aucune expérience du terrain. Il doit gérer une ville sans connaître les gens, sans savoir comment ils vivent. C’est un vrai problème. Même si son parti n’est pas cité, on peut comprendre qu’il est d’extrême droite. De toute façon, aujourd’hui, il se produit un glissement où même les partis traditionnels de droite soutiennent des idées d’extrême droite sans assumer l’étiquette.

Le film décrit l’abandon des politiques municipales…

J’ai vécu pendant quarante ans à Montfermeil et pendant quarante ans, je n’ai vu aucun travail de rénovation. Même pas un coup de peinture dans la cage d’escalier. Jamais. C’est une situation qu’on laisse pourrir et, ensuite, quand les bâtiments sont déclarés insalubres, on vire les gens en rachetant leur bien pour une bouchée de pain. C’est une arnaque organisée dont ceux qui paient les frais sont les habitants des quartiers.

Avez-vous envisagé de mettre en scène un homme politique vertueux ?

Le personnage d’Haby incarne une autre forme d’investissement. Elle n’a pas d’expérience en politique mais c’est une militante, très engagée dans le quartier. Elle incarne l’espoir. C’est peut-être ce genre de profil qui fera changer les choses. C’est quand même ce que j’ai envie de faire passer : la violence ne fait pas bouger les choses, engagez-vous politiquement.

Y a-t-il un travail de recherche préalable à l’écriture du scénario ?

Ah oui, très long ! On a mis trois ans à écrire le film parce qu’on a rencontré tous les maires adjoints du département ! J’en ai rencontré une trentaine. Beaucoup de gens qui ont grandi dans les quartiers et ont fini par être élus. Beaucoup de militants. Avec mon coscénariste, avant d’écrire une scène, par exemple avec un maire, on passe deux ou trois semaines à rencontrer des gens sur le terrain qui nous permettent d’écrire la scène de la façon la plus juste possible. La justesse, c’est vraiment ma priorité. Quand j’ai montré Les Misérables à un public de flics par exemple, j’étais assez fier qu’ils constatent que le film était juste.

Avez-vous vu en début d’année la série de Jean-Pascal Zadi sur Netflix, En place ?

Oui. Il traite des questions proches des miennes mais de façon comique. Son message est aussi “engagez-vous en politique”. Son personnage a grandi dans le quartier, connaît bien tous les problèmes, pourrait apporter des solutions, mais c’est très difficile de se faire entendre.

Est-ce que ce qui s’est déroulé en 2023, la mort du jeune Nahel par exemple, les manifs qui ont suivi, va influencer l’écriture du troisième volet de ton triptyque ?

Je suis toujours influencé par l’actualité quand j’écris. Donc oui, même si je ne sais pas encore de quelle façon. Et l’actualité de l’année est vraiment terrifiante. Ce n’est que mon sentiment, mais j’ai l’impression qu’on va droit dans le mur. On voit bien qu’avec les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, on a franchi un nouveau cap dans la violence. Aussi bien celle des jeunes que celle des policiers. Quand on a sorti Athena [de Romain Gavras, coécrit par Ladj Ly], on a entendu qu’on exagérait. En fait, les scènes qu’on a tournées se sont déroulées presque à l’identique dans la réalité. C’est effrayant.

Avec les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, on a aussi vu que la contestation et sa répression touchaient une jeune bourgeoisie blanche…

Disons que depuis la répression du mouvement des Gilets jaunes, toute la France a mieux mesuré la violence dont étaient capables les forces de l’ordre. Tout à coup, elle ne touchait plus seulement les populations des quartiers.

Est-ce que les questions d’injustice et d’inégalité que vous traitez dans vos films pourraient un jour vous affecter au point de ne plus arriver à écrire, à faire des films ?

Non, je ne dirais pas ça. D’abord parce que j’ai toujours connu une situation très tendue. J’ai grandi aux Bosquets [à Montfermeil], qui était l’une des pires cités de France. Quand on a grandi dans ce contexte, on finit par le trouver normal. Ce n’est qu’avec le temps qu’on se dit que ça ne l’est pas. Donc non, je ne pense pas que la violence d’un contexte politique puisse m’atteindre au point que je n’arrive plus à en faire des films.

Est-ce qu’une initiative comme la cagnotte de Jean Messiha en soutien à la famille du policier responsable de la mort de Nahel vous paraît être le signe d’une haine accrue envers la population des banlieues ?

Les signaux, franchement, on les trouve facilement. Il n’y a qu’à allumer la télé. Quand on regarde certaines chaînes d’info, on est quand même choqués par le champ laissé à des éditorialistes pour cracher toute leur haine. Quand on repense à la phrase de Sarkozy sur les Kärcher en banlieue [en 2005], ça paraît presque gentil par rapport à ce qu’on peut entendre aujourd’hui.

Les Misérables était un film qui visait le stupéfiant. Bâtiment 5 est beaucoup plus dépouillé formellement…

Les Misérables était mon 1er film, je l’ai monté dans la difficulté, je n’avais pas d’autre choix que de prendre mes couilles et d’y aller. Je voulais qu’il soit vraiment impactant. Là, j’avais envie d’un film beaucoup plus posé. Parler du délogement ne m’aurait de toute façon pas vraiment permis d’aller dans le stupéfiant. Beaucoup de choses se jouent dans des bureaux. En matière de mise en scène, le film est beaucoup plus réfléchi que Les Misérables, qui était filmé surtout caméra à l’épaule et à l’énergie.

Le film s’ouvre sur une famille endeuillée autour d’un cercueil. Le cercueil est à la fois un outil dramatique et un symbole…

Je voulais commencer le film par une scène forte qui montre dans quelles difficultés vivent et meurent ces gens. Il faut descendre le cercueil, l’ascenseur est en panne, alors la famille prend l’escalier mais la cage d’escalier est trop étroite et le cercueil ne passe pas… Tout est dit. Le film s’ouvre par un plan de drone qui permet d’en situer la géographie et introduit le bâtiment 5, l’un des personnages principaux. On termine par ce même plan de drone sur le bâtiment, vu de haut, voué à la destruction. En effet, la tour filmée comme ça fait penser à un cercueil.

Vous portez aussi un projet pédagogique, Kourtrajmé, des écoles de cinéma en banlieue, gratuites et sans conditions de diplôme, offrant une formation aux métiers de l’image.

Oui, la 1ère a été ouverte en 2018 à Montfermeil. Il en existe quatre maintenant. En très peu de temps, on forme de jeunes gens. Ils ont six mois pour faire un court métrage, l’écrire, le tourner. On leur offre un cadre, un enseignement, un peu de moyens, mais on les incite aussi à la débrouillardise, à apprendre à faire un film avec deux bouts de ficelle.

Quelles sont les œuvres qui vous ont marqué cette année en musique ou au cinéma ?

J’ai mis du temps à voir Saint Omer d’Alice Diop. C’est relou parce que je la connais bien. Mais je n’ai vu le film que le mois dernier : je me suis pris une belle claque. C’est pas évident de filmer un procès et j’ai été passionné par ce qu’elle a fait en matière de mise en scène. C’est vraiment un très bon film ! En musique, je choisis Omah Lay, que j’aime beaucoup. Le Nigeria explose tout dans le monde de la musique en ce moment, tous les streams. Les stars américaines veulent faire des feats avec des musiciens nigérians. Ils apportent un souffle nouveau, font exister l’Afrique très fortement à l’échelle mondiale, et c’est vraiment trop bien.