Comment continuer à vivre en zone de guerre ? L’insoluble question que sonde “Notturno”

S’il fallait trouver à Gianfranco Rosi un équivalent français, le choix se porterait sur Alain Cavalier. Filmeurs du et au quotidien, ils déplacent notre rapport au réel par l’extraction d’une poésie qui jaillit de la trivialité, par l’entremise...

Comment continuer à vivre en zone de guerre ? L’insoluble question que sonde “Notturno”

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S’il fallait trouver à Gianfranco Rosi un équivalent français, le choix se porterait sur Alain Cavalier. Filmeurs du et au quotidien, ils déplacent notre rapport au réel par l’extraction d’une poésie qui jaillit de la trivialité, par l’entremise de leur regard. Les œuvres des deux hommes sont aussi hantées par la mort, de ses proches pour le Français, des victimes de grandes tragédies contemporaines pour l’Italien (des cartels d’Amérique du Sud dans El Sicario, Room 164 (2010) des périlleuses traversées de la Méditerranée dans Fuccoammare, par-delà Lampedusa (2016) et des conflits au Moyen-Orient dans Notturno).

Là où ils se différencient l’un de l’autre, c’est dans la place accordée au filmeur. Chez Cavalier, ce dernier est souvent un protagoniste du film et/ou sa voix off et, dans une démarche intimiste et modeste, le film est aussi une écriture de soi. Chez Rosi, c’est tout l’inverse. Il est invisibilisé par la mise en scène et sa caméra semble presque dotée du don d’ubiquité, comme si le filmeur était libéré des contingences humaines, un quasi demi-dieu pratiquant une écriture des autres.

Des images trop esthétiques ?

Dans Notturno, son cinquième film, présenté en compétition à la Mostra l’an dernier, les autres sont les habitant·es des zones frontalières de l’Irak, du Kurdistan, de la Syrie et de la Libye. Gianfranco Rosi a passé trois ans aux côtés de combattant·es, d’enfants réfugié·es et de familles luttant pour continuer à habiter ces territoires ravagés par la guerre.

Les partis pris du cinéaste, déjà récompensé par le Lion et l’Ours d’or, sont clairs, parfaitement atteints mais discutables. Il y a d’abord dans ce film, comme dans le précédent, un désir manifeste d’extraire ces réalités tragiques de leurs représentations télévisuelles. En plus de se tenir à distance des combats et de ne jamais montrer la mort frontalement, le film ne délivre aucune information contextuelle sur la géopolitique très complexe qui caractérise ces conflits, pour mieux nous immerger dans le quotidien de celles et ceux qui les subissent.

Soit, mais cette entreprise d’immersion est contrariée par l’extrême esthétisation dont fait preuve Notturno. Cadre, couleurs, composition, lumière : le film est d’une beauté crépusculaire époustouflante. Le problème est que cette beauté le confine au livre d’images et finit par nous mettre à distance du vécu de la population.

les civil·es sont trop souvent traité·es comme les figurant·es mis·es au service d’une photographie contemplative haut de gamme, plutôt que comme ses sujets. Le film pâtit d’une carence de témoignages. Et c’est dommage parce que c’est lorsqu’ils adviennent que le documentaire retrouve de l’ampleur. On pense à cette scène bouleversante où des enfants yézidis·es expliquent le sens de leurs dessins décrivant leur expérience des persécutions de Daech.

Malgré ce gênant souci de dosage entre recherche du beau et restitution de la parole, Notturno parvient à expliquer la sourde désolation générée par la guerre, la façon dont elle produit des personnes et des territoires en ruine et dont elle s’installe insidieusement dans le quotidien. Regrettons qu’il le fasse de façon trop abstraite.

Notturno de Gianfranco Rosi (It., 2020, 1 h 40). En salle le 22 septembre