Des t-shirts pour expliquer l’electro : DJ Deep revient sur ses souvenirs dans un livre singulier

“Autre souvenir : avoir longtemps écrit au feutre noir les lettres U et R [pour Underground Resistance] sur chacun des deux poches arrières de mes jeans.” D’anecdote en anecdote, Chaotic Harmony : Chaotic Harmony : A Tee-Shirt Non-collection...

Des t-shirts pour expliquer l’electro : DJ Deep revient sur ses souvenirs dans un livre singulier

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“Autre souvenir : avoir longtemps écrit au feutre noir les lettres U et R [pour Underground Resistance] sur chacun des deux poches arrières de mes jeans.” D’anecdote en anecdote, Chaotic Harmony : Chaotic Harmony : A Tee-Shirt Non-collection by DJ Deep, nouveau livre publié chez Headbangers Publishing (la maison d’édition dédiée aux beaux-livres du label Ed Banger), trace le parcours d’un stakhanoviste et passionné des musiques électroniques en injectant dans sa (non-)collection de t-shirts, 30 ans de culture underground, d’engagement, d’idéaux politico-culturels, de fête et de danse.

En tant qu’ambassadeur des musiques électroniques au sein des soirées Respect au Queen ou Wake Up et Legends au Rex Club et à la radio, DJ Deep s’est autant illustré en sa qualité de fan que de spectateur privilégié des trois dernières décennies. Mais derrière les murs de vinyles de house et de techno qui garnissent son appartement, Cyril Étienne des Rosaies (de son vrai nom) a accumulé de nombreux t-shirts, sweatshirts, hoodies de labels et d’artistes cher·ères à son cœur et à ses valeurs. L’occasion d’élaborer, aux côtés de Pedro Winter et de la photographe Emma Le Doyen, un voyage dans les différentes époques de la musique électronique, des États-Unis jusqu’en France, dans un livre où un simple vêtement charrie souvenirs et gestes quasi-politiques.

Tu peux nous expliquer la genèse du livre ?

DJ Deep – C’est parti d’une discussion où Pedro parlait d’un t-shirt Masters At Work qu’ils donnaient lors de leur célèbre soirée à la Winter Music Conference. Après cette discussion, je fouille un peu dans ma collection, je retrouve le T-shirt en question mais je renoue surtout avec ma collection et j’envoie une photo à Pedro pour rigoler. Et là, il me dit : “Vas-y, on fait un projet avec ça. Il y a trop de t-shirts, il y a des choses à partager. Ça explique l’histoire des labels.”

C’est donc parti d’un échange de textos un peu anodin. C’est de là que l’idée de expliquer des anecdotes sans prétention, de pourquoi j’adore tel label, tel artiste, est venue. J’ai commencé à écrire, et je me suis rendu compte que ce n’était pas facile parce que je ne suis pas un écrivain. Ensuite, Pedro m’a dit : “Écoute, ce serait super, dans cet univers assez masculin, de faire entrer en scène deux jeunes femmes.” Emma Le Doyen, qui est une super photographe, et Laure-Anne Kayser, qui est la directrice artistique qui a mis en forme le livre. Emma a eu l’idée de faire porter les t-shirts à des danseurs pour les mettre en vie. Moi qui suis méticuleux, collectionneur, j’avais un peu peur qu’on touche à mes t-shirts mais finalement ça s’est très bien passé (rires). Dans ces pages, on voit donc que c’est un amour de cette musique mais aussi de la danse.

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Qu’est-ce que ça veut dire “non-collection” ?

Je l’ai appelée non-collection parce que j’ai perdu beaucoup de t-shirts, je n’ai jamais eu les t-shirts de tous les labels que j’aimais contrairement à ma collection de disques. Quand j’étais plus jeune, je n’avais pas beaucoup de sous et j’avais déjà du mal à acheter tous les disques que je voulais, donc si je voulais m’acheter un t-shirt, c’était Utensile ou Underground Resistance, des maisons de disques pour lesquelles je militais, plutôt que Strictly Rhythm ou Nervous qui étaient des plus gros labels que j’adorais, avec des disques qui sont des classiques pour moi, mais j’avais cette idée de soutenir les indépendants. Donc ce n’est pas une vraie collection dans le sens où ça ne couvre pas tout ce que j’aime ou tout ce que peut être la house ou la techno. Mais c’est malgré tout une collection parce qu’elle permet de expliquer un petit parcours.

Est-ce que tu avais l’idée de faire un livre contemporain et pas une sorte de catalogue de musée ?

Exactement. J’ai toujours eu la trouille de regarder en arrière. Je n’avais pas envie que le livre soit prétentieux (d’une voix pompeuse) : “Attention, ceci est mon exposé sur la house music.” Je voulais que ce soit un livre souple, que tu peux balancer à un ami en lui disant : “Regarde ça, il y a des histoires marrantes sur ce label.” J’avais envie que ce soit vivant.

Les photos d’Emma Le Doyen s’inscrivent dans cette démarche.

Ça, c’est vraiment l’idée de Pedro. Il a eu le bon instinct de me dire : “Ta collection est toujours en mouvement, t’es toujours en mouvement, t’achètes toujours des disques, tu fais toujours tes émissions de radio, tu me causes toujours de nouveautés, t’es pas un vieux papy qui radote donc il faut que ton truc soit aussi en phase avec les gens d’aujourd’hui.” Et je trouve que c’est une super idée d’Emma d’avoir mis en scène cette fête en plein confinement avec un vrai-faux dancefloor.

© Emma Le Doyen

Est-ce que tu avais pour idée d’aller à l’encontre de la figure de l’homme-sandwich en réinjectant des valeurs et des idéaux dans ses vêtements ?

Tu sais, c’est marrant parce que, depuis que je fais la promo du livre, j’entends beaucoup le terme merchandising, et c’est un terme que je n’ai jamais utilisé. Pour moi, ces t-shirts-là, quand je les achetais, c’était presque comme une deuxième vie du disque. Pour prendre l’exemple du label de Claude Young, Utensile, il avait fait un t-shirt, il l’a fait une fois et ce n’était pas possible que je ne l’achète pas. C’était presque comme un disque finalement. Plus 8, le label de Richie Hawtin, avait fait un fanzine et un sweatshirt, et les deux étaient un numéro de son catalogue de disques. Il y a un côté “en symbiose avec les disques”. Mais on a eu cette discussion avec Pedro sur les T-shirt Uniqlo de la sélection parce qu’ils avaient reproduit un flyer du Sound Factory. Moi je m’en fous que ce soit Uniqlo, moi c’est le flyer de Sound Factory que je soutiens. C’était défendre un label, une culture, une idée. L’afficher en tout cas.

Comme lorsque tu expliques que tu inscrivais les initiales d’Underground Resistance sur tous tes jeans.

Oui. J’étais amoureux de cette musique, quoi. Je me souviens de Laurent Garnier qui se moquait de moi parce que j’avais des UR sur mes poches de jeans, sur mes baskets. Il y avait même pas assez de supports pour que je dise qu’il fallait écouter la musique d’Underground Resistance (rires). Il fallait vraiment revendiquer les valeurs de l’underground, d’être authentique, de connaître les racines de cette musique, de l’aider à se développer et d’arrêter de donner du crédit à des gens qui sautaient dessus comme des opportunistes. J’étais toujours dans cette idée-là.

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Qu’est-ce qui t’as motivé à proposer des playlists dans le livre ?

C’est mon boulot. Le seul petit intérêt que je peux avoir comme bonhomme c’est d’être fourré dans les disques tout le temps et de proposer une sélection qui me fait vibrer. C’est Pedro qui m’a proposé cette idée. Au début, on voulait faire des QR codes. Mais Pedro m’a dit : “Non, comme dans ta mentalité à toi, il faut encourager les gens à aller chercher.” Aujourd’hui, c’est un coup sur Google et tu trouves. Je pense qu’il avait raison. C’est cool de proposer, et après, les gens ont envie ou non d’être curieux.

Tu avais aussi envie de proposer ça dans les textes qui accompagnent les photos ?

Je vais te faire une réponse honnête et peut-être maladroite : j’ai fait comme j’ai pu. Au bout d’un moment, j’ai eu besoin de souffler. Je ne suis pas écrivain mais je me suis attelé à un gros truc, et je me disais : “Est-ce que j’ai vraiment les épaules pour aller au bout ?” Par exemple, un label comme Prescription, beaucoup de leurs disques me mettent les larmes aux yeux parce qu’ils ont le pouvoir de me transporter dans le temps. Je me retrouve à un moment où j’étais dans un rapport très émotionnel à la musique. Donc j’ai essayé, essayé, essayé d’écrire sur Prescription, et je n’y suis pas arrivé. J’adule Ron Trent et Chez Damier (les fondateurs du label, ndlr), mais je n’y suis pas arrivé. Parfois j’ai donc assumé de faire un texte court et une playlist que j’espère inspirante. C’est une manière de dire que je suis pas un écrivain mais que je l’ai fait avec beaucoup de cœur. En le relisant, j’ai assumé : “Ok, c’est comme ça.”

© Emma Le Doyen / DJ Deep

C’était une expérience inédite de se replonger dans ces années-là, non ?

C’est une expérience inédite. C’est beaucoup de souvenirs, de moments à essayer de tempérer les choses, à appeler les copains, leur demander leurs souvenirs. C’était sympa de confronter les idées et les mémoires de chacun. Je trouve que c’est super important de proposer aujourd’hui des clés, pas du tout pour faire un cours mais pour dire c’était ça le contexte à ce moment-là. J’ai beaucoup regardé des enregistrements de concerts de Louie Vega pendant le confinement, et il disait : “Giving you the classics in the right context.” (“Vous servir les classiques dans le bon contexte.”) Et en gros, il jouait des classiques disco et funk mais dans l’ordre dans lequel ils étaient joués à l’époque. Je trouve que la culture de cette musique a tendance à s’évaporer dans le “faire” : faire tout le temps des disques, des disques, des disques. Mais pour notre culture, tu ne peux pas faire l’économie de 30 ans de musiques électroniques parce qu’il y a des gens qui ont pavé la route.

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