“ENA, pourquoi tant de haine” : un documentaire très sage mais éclairant

Soyons honnêtes : voir un documentaire sur l’Ecole Nationale d’Administration qui sera diffusé sur la très sérieuse chaîne Public Sénat n’entrait pas dans la liste de nos désirs les plus pressants. Eh bien c’est un tort, car ces 52 minutes...

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Soyons honnêtes : voir un documentaire sur l’Ecole Nationale d’Administration qui sera diffusé sur la très sérieuse chaîne Public Sénat n’entrait pas dans la liste de nos désirs les plus pressants. Eh bien c’est un tort, car ces 52 minutes certes plutôt plan-plan dans leur forme (entrevues d’anciens élèves devant un rideau, parmi lesquels des ministres et des présidents ; archives papiers ou filmées ; plans de coupe sur les bâtiments de l’école), ont tout de même le mérite d’être clair comme de l’eau de roche et de n’éviter aucune question, même celles qui pourraient fâcher. Car oui, l’ENA est le sujet de toutes les polémiques et de toutes les critiques, et l’affaire n’est pas nouvelle.

Un documentaire qui vient à point nommé

Alors que le président de la République, Emmanuel Macron, vient de décider de supprimer l’ENA (dont il est issu) et de la remplacer par une nouvelle école qui devrait répondre au nom affriolant d’ « Institut du Service Public » (ISP), le documentaire d’Alix Etournaud et Emilie Lançon vient à point nommé nous expliquer l’histoire de cette école, née à la Libération, mais imaginée avant-guerre par un brillant ministre du Front Populaire, Jean Zay, à qui l’on doit aussi, parmi ses nombreuses initiatives, la naissance du festival de Cannes. Jean Zay, assassiné par la Milice française sous l’Occupation – et panthéonisé en 2015 – ne vit hélas pas le fruit de son travail.

L’idée de Zay était sensée et républicaine : en finir avec la cooptation et le copinage qui présidaient à la nomination des hauts fonctionnaires. Créer l’ENA, c’était d’abord en finir avec la prévarication et l’impéritie, et donner toute sa place au mérite républicain : les grands fonctionnaires du pays devaient obéir au pouvoir et non aux partis, et être recrutés parmi sa progéniture la plus intelligente. Noble démarche. Mais rapidement, comme le expliquent très bien Etournaud et Lançon, les ambitions des élèves de l’ENA vont évoluer et coller à l’esprit de leur époque, dont ils sont bel et bien le reflet – ce qui pourrait être rassurant, d’une certaine manière. Les meilleurs, ceux sortis de ce qu’on appelle « la botte » (les quinze élèves les mieux classés au concours de sortie de l’école), vont bientôt se tourner vers la politique, et grimper les marches de son « cursus honorum ». Jusqu’à la distinction suprême, en 1974, quand Valéry Giscard d’Estaing devient le 1er énarque à remporter l’élection présidentielle. Les « petits messieurs » (dans les archives des années 50, notamment, beaucoup d’entre eux ont vraiment un air péteux), comme les appelaient leurs détracteurs, sont enfin arrivés au sommet de l’État. Et de qui Giscard se presse-t-il de s’entourer ? D’énarques – dont Jacques Chirac au 1er chef.

Certes, mai 68 et l’émergence d’une génération d’élèves plus à gauche (représentée notamment par Jean-Pierre Chevènement et ses amis), avait un peu fait évoluer le modèle. Mais l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir, en 1981, va projeter les énarques dans un autre monde : celui de l’entreprenariat. Ils deviennent PDG d’entreprises nationalisées (par Mitterrand, qui ne sortait pas de l’ENA) ou nationales, puis privatisées (par Chirac) et privées, accédant à des fonctions, des pouvoirs et des salaires dont leurs prédécesseurs n’auraient jamais pu rêver.

En réalité, une minorité d’énarques se lancent dans la politique

Le documentaire se termine sur une note d’espoir : la nouvelle génération d’énarques serait-elle aussi en phase avec le reste de la société, plus sensible à l’avenir de son pays et de la planète qu’à ses comptes en banque. Le grand mérite d’Ena, pourquoi tant de haine ? est aussi de relativiser les choses, et notamment de rappeler qu’en réalité une minorité d’énarques se lancent dans la politique ou le grand business : la plupart des énarques font toute leur carrière dans les Grands corps de l’État. Le film ne néglige évidemment pas le fait, comme l’indique le titre du film, que l’énarque est devenue aujourd’hui – avec celle du journaliste ? – la figure plus honnie de France, accusée de tous les maux : ce qu’on lui reproche le plus, c’est de ne pas connaître la “vraie vie”, de vivre dans un monde privilégié qui n’a aucune conscience de ce que vivent la majorité des Français.

Reproche récurrent que l’on entend dans la bouche des opposants les plus farouches de l’ENA et de son esprit monarchique, comme les Gilets jaunes. Mais les présidents de la République récents, énarques (Hollande) ou pas (Sarkozy), en ont pris conscience, tentant sans succès de réformer cette Institution. Aujourd’hui, Emmanuel Macron la supprime. Mais il ne suffit pas de substituer un nom à un autre pour qu’il ne recouvre pas la même réalité. Reste qu’il ne faudrait pas non plus revenir au mode de recrutement de la 3e république, et que l’intuition de Jean Zay garde toute son acuité : un pays a besoin d’une école qui forme des gens à diriger efficacement son administration. Mais de quelle manière ?

ENA, pourquoi tant de haine ?, documentaire d’Alix Etournaud et Emilie Lançon (Fr., 2021, 52 min). Le dimanche 11 avril à 9 heures puis disponible en replay sur Publicsenat.fr.