Entre bling-bling et peine de cœur, Tyler, The Creator renouvèle son flow

À l’instar des films Pixar qui disséminent les pistes pour les prochaines productions du studio, Tyler, The Creator semble presque toujours avoir un temps d’avance. Alors que l’annonce soudaine de son nouvel album, CALL ME IF YOU GET LOST,...

Entre bling-bling et peine de cœur, Tyler, The Creator renouvèle son flow

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À l’instar des films Pixar qui disséminent les pistes pour les prochaines productions du studio, Tyler, The Creator semble presque toujours avoir un temps d’avance. Alors que l’annonce soudaine de son nouvel album, CALL ME IF YOU GET LOST, a embrasé la toile, certain·es internautes avisé·es ont remarqué que le porte-adresse de la valise qu’il transportait lors de la 62e cérémonie des Grammy Awards portait déjà cette inscription près d’un an et demi avant la parution, ce vendredi 25 juin, dudit disque.

Vêtu d’un costume de groom inspiré du Grand Budapest Hotel de Wes Anderson, il avait raflé ce soir-là le prix du meilleur album rap de l’année 2020, avant de fustiger les Grammys pour leur catégories ostracisantes : “Musique urbaine est juste un mot poli pour ne pas dire le N-word, pourquoi ne pouvons-nous pas être dans la catégorie pop ?”. Une déclaration qui n’entamera pas le bonheur de ses fans qui, alors, n’entrevoyaient rien du voyage et le retour au rap qui s’amorcent aujourd’hui.

Embarquement immédiat

“La meilleure chose qui me soit arrivée, c’est d’avoir presque vingt ans et de quitter Los Angeles pour la 1ère fois. Je suis sorti de ma bulle, les yeux écarquillés. Mon passeport est la chose la plus précieuse qui soit”. Dès l’introduction prosaïque de MASSA, septième extrait de CALL ME IF YOU GET LOST, le kid de Californie synthétise ce qui se joue sur son nouvel album. De ce passeport qui lui sert d’artwork, aux clips dépaysants qui siphonnaient une fois encore l’imagerie de Wes Anderson, en passant par les multiples endroits du globe mentionnés au fil des morceaux, le voyage est ici synonyme d’ouverture et de liberté, qu’elles soient musicales ou personnelles.

Mais derrière la référence évidente à la pochette du Return To The 36 Chambers d’ODB – avec qui Tyler partage le même flow incarné, parfois cartoonesque –, CALL ME IF YOU GET LOST est surtout un formidable moyen pour le rappeur d’ajouter un nouveau personnage à sa galerie d’alias (Bunny Hop, Wolf Haley, Dr. TC.) : Tyler Baudelaire, homme du monde exubérant et tape à l’œil.

Album à débordement

Sur ce sixième album, cette extravagance rompt avec la maniaquerie musicale du sidérant IGOR qui orchestrait le chaos amoureux de son auteur pour mieux articuler ses sentiments à fleur de peau. Autant dans sa débauche d’egotrip clinquant que dans ses productions débraillées (JUGGERNAUT) mais toujours aussi finement ciselées (HOT WIND BLOWS, RISE!), CALL ME IF YOU GET LOST est une véritable piscine à débordement où le chaos coule à flows.

Des réminiscences de l’expérimental Cherry Bomb, aux collaborations inattendues de 42 Dugg, Lil Uzi Vert et YoungBoy Never Broke Again, Tyler Baudelaire laisse, en apparence, de côté les plaies ouvertes d’IGOR pour étaler au monde son opulence, sa réussite matérielle et artistique : Roland-Garros, festivals, collaboration avec Converse, yachts, maisons secondaires, tout y passe. Pourtant, cette invitation à voir le monde, ce manifeste à la liberté décomplexée, où s’invitent les habitués Lil Wayne et Pharrell Williams, cache une meurtrissure.

S’il partage avec le poète français, le goût du voyage et la même aversion pour la morale, Tyler Baudelaire partage aussi sa malédiction sentimentale. En filigrane de cette démonstration de force sous gaz hilarant (BLESSED) et ces productions qui empruntent au horrorcore, aux musiques d’Amérique Latine ou au R&B, CALL ME IF YOU GET LOST narre en fait la perdition de son propre auteur.

Jouissant de sa réussite mais excédé d’être le maillon faible d’un triangle amoureux. Une persona à l’ego blessé qui trouve une parfaite illustration dans le format mixtape de l’album. Libre des conventions, Tyler, le poète maudit s’autorise toutes les fantaisies – faux départs, hésitations et flows marmonnés, freestyle de huit minutes (l’intimiste WHILSHERE) et productions cut-up – pour mettre en scène son flot de pensées erratiques.

>> À lire aussi : Tyler, The Creator : Cœur brisé dans “IGOR”

Mixtape extravaganza

De fait, CALL ME IF YOU GET LOST n’est pas qu’une fuite en avant par le voyage. Derrière le massif des Alpes, les vacances à Genève et les escales en Italie, il est une injonction pour Tyler Baudelaire à faire tout ce qu’il souhaite faire sans compromissions.

Cet esprit de liberté s’incarne par la présence prégnante de Tyree Simmons sur la quasi-intégralité du disque. Plus connu sous le nom de DJ Drama, le Philadelphien a contribué, au mitan des années 2000, à l’essor de la mixtape vendue sous le manteau à Atlanta. Avec sa fameuse série des Gangsta Grillz, il aura propulsé les carrières des futures stars de la trap Young Jeezy, Gucci Mane et T.I. en tête, avant de se faire rattraper par la justice et les maisons de disques mécontentes qu’on parasite leur mode de production désuet.

S’il n’est ni producteur, ni rappeur, DJ Drama, qui donne de la voix et lie les morceaux de CALL ME IF YOU GET LOST, est la manifestation de l’urgence bouffe-le-monde, typique de la mixtape, qui règne en maître sur le sixième album de Tyler, The Creator. En 2006, quelques mois avant la sortie de son album In My Mind, même l’idole devenue ami, Pharrell Williams s’était prêté au jeu des faces B aux côtés de DJ Drama sur In My Mind : The Prequel.

Opulence

À cet égard, la présence de productions chippées aux Gravediggaz de RZA, au Westside Gunn de Griselda et à Nas, les prises de paroles outrancières de DJ Drama qui participent du voyage – et de l’élévation de Tyler au rang de popstar – ou les cornes de brumes présentes çà et là, inscrivent ce nouvel album dans cet héritage d’une liberté créative qu’on arrache, qu’on s’auto-attribue coûte que coûte face à la grande machinerie de l’industrie musicale. Un comble pour ce disque en forme de cheval de Troie, fomenté en plein dans la gueule du loup Columbia Records, par un Tyler qui se couronne lui-même.

Avec la même appétence que les rappeurs trap pour la réussite matérielle et le drip, Tyler, The Creator déploie d’ailleurs in extenso la même tristesse existentielle qui semble planer sur ce genre désabusé de son propre succès. Sous la chapka de Tyler Baudelaire, l’euphorisant CALL ME IF YOU GET LOST semble être l’album le plus ouvertement intime de Tyler Okonma (WILSHERE, MASSA). Un disque où le vernis de la réussite personnelle s’applique, encore et toujours, sur une couche de faillite du sentiment amoureux. Un exercice introspectif de haute volée comme un tour de piste aussi triomphal et galvanisant que plombant.

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Album : CALL ME IF YOU GET LOST (Columbia Records)