Géorgie: Comment Stacey Abrams permet aux démocrates de rêver à une victoire

ÉTATS-UNIS - “Si la puissance qu’offre le droit de vote était réellement accessible à tous les Américains, l’avenir de ce pays en serait bouleversé...” C’est sur ces mots que s’ouvre la bande-annonce de “All In - The Fight For Democracy”, un...

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Stacey Abrams, ici photographiée en octobre à l'occasion d'un meeting de soutien à Joe Biden, est vue comme celle qui a permis aux démocrates de revenir sur le devant de la scène politique en Géorgie, un État passé sous la coupe des républicains depuis des années.

ÉTATS-UNIS - “Si la puissance qu’offre le droit de vote était réellement accessible à tous les Américains, l’avenir de ce pays en serait bouleversé...” C’est sur ces mots que s’ouvre la bande-annonce de “All In - The Fight For Democracy”, un documentaire mis en ligne à l’automne par Amazon Prime. Une phrase qui intrigue forcément dans l’état de droit que sont censés être les États-Unis, et qui jette la lumière sur son autrice: Stacey Abrams. 

Un personnage majeur de l’histoire politique récente des États-Unis, et une actrice singulière des deux élections sénatoriales qui se jouent ce mardi 5 janvier dans l’État de Géorgie. Des scrutins qui décideront de la couleur politique du Sénat américain, et donc des deux premières années de Joe Biden à la Maison Blanche, puisque si les démocrates remportent la chambre haute du Congrès, l’ancien vice-président de Barack Obama aura tous les leviers à sa disposition pour mener les réformes promises. 

Mais comment cette femme afro-américaine quarantenaire, romancière au parcours universitaire exemplaire, a-t-elle pu influencer à ce point la vie politique d’un pays de 330 millions d’habitants? En luttant contre l’un des principaux travers de son système électoral, tout simplement. 

“Jim Crow 2.0” 

Car ce qui a rendu Stacey Abrams célèbre, c’est son combat contre les stratégies de voter suppression, un large concept anglophone englobant différentes techniques visant à remporter une élection en décourageant et en empêchant ses opposants de voter. Une tactique qui peut paraître machiavélique d’un point de vue européen, mais qui préside pourtant à la destinée électorale de millions d’Américains depuis des décennies. 

Files d’attente interminables pour accéder aux bureaux de vote dans certains quartiers, processus d’inscription sur les listes électorales rendu pratiquement insoluble pour des populations spécifiques, bulletins surchargés au point d’en devenir presque illisibles, assesseurs refusant de comptabiliser certaines voix ou insuffisamment formés, à dessein, en vue de leur faire commettre des erreurs... Les manœuvres sont multiples et parfois incroyablement perfides. Car oui, comme le dit Stacey Abrams, aux États-Unis, “il y a des lois conçues pour empêcher certains citoyens de voter”, sombres réminiscences selon elle des lois “Jim Crow” qui organisaient la ségrégation jusque dans les années 1960. 

Or ces stratégies sont extrêmement efficaces, et c’est ce qui a poussé Stacey Abrams à s’engager. Élue locale d’opposition au Parlement de Géorgie depuis 2007, la juriste de formation est devenue, en 2018, la première afro-américaine à représenter l’un des deux principaux partis dans une élection pour devenir gouverneur d’un État. Alors qu’on lui promettait une débâcle terrible, elle s’est finalement inclinée de peu face à Brian Kemp, un homme qu’elle accusait justement d’avoir recours à ces pratiques. 

En lutte contre des pratiques ”épouvantables”

En effet, à l’époque du scrutin, l’adversaire de Stacey Abrams était en charge de la surveillance des élections en Géorgie, ce qui lui permit de refuser pour divers prétextes des dizaines de milliers de voix, principalement au sein de l’électorat noir qui aurait pu faire basculer le vote (plus de 50.000 votants ont été rayés des listes au sein de cette population, soit l’écart final entre les deux candidats).

Avant cela, durant ses six ans dans l’exécutif local, Brian Kemp avait aussi radié 1,4 million de citoyens des listes électorales (sans les informer), toujours parmi les populations les plus susceptibles de voter contre lui (les classes populaires et les minorités, comme l’a expliqué le Atlanta Journal Constitution).

“La démocratie a échoué en Géorgie”, clamait Stacey Abrams dans son vibrant discours de défaite. “Je sais que l’ancien secrétaire d’État de Géorgie Brian Kemp sera reconnu vainqueur de l’élection du gouverneur de 2018”, poursuivait-elle. “Mais voir un élu censé représenter les habitants de notre État remporter une telle victoire simplement parce qu’il a privé des gens de leur droit démocratique de voter, c’est réellement épouvantable.” 

Ainsi, la dénonciation des pratiques anti-démocratique par Stacey Abrams lui a attiré l’attention des médias nationaux et donné une tribune d’importance pour lancer “Fair Fight Action”, une association visant justement à combattre les stratégies de voter suppression (elle avait déjà créé The New Georgia Project dès 2014 pour aider des dizaines de milliers de citoyens à s’inscrire sur les listes électorales). En plus du soutien de personnalités de premier plan telles que Barack Obama, Stacey Abrams devint au même moment un visage connu à Washington, put multiplier les prises de paroles sur la scène nationale et émergea même comme une candidate crédible au poste de vice-présidente de Joe Biden. 

La continuité logique du travail effectué jusqu’alors pour pour inciter les habitants de Géorgie à s’inscrire sur les listes et à se rendre aux urnes les jours de scrutin, de manière à élargir l’électorat, à le rendre plus représentatif de la démographie réelle de l’État et à permettre en fin de compte à la politique locale de changer de bord.

Faire boule de neige

Selon le média américain Politico, ce sont ainsi 800.000 électeurs supplémentaires qui se sont inscrits sur les listes à l’occasion de la présidentielle de 2020 et des sénatoriales de ce mois de janvier, principalement grâce aux efforts de Stacey Abrams et des associations dont elle a suscité et encouragé la création. “Elle a eu la lucidité de voir qu’il existait de très nombreux électeurs latents en Géorgie, et de les pousser à s’inscrire”, salue par exemple le politologue Andra Gillepsie. 

Bien plus que d’œuvrer seule, Stacey Abrams a surtout été (et continue d’être) la voix et le visage médiatique d’un vaste mouvement de “recrutement” de ces électeurs écartés des scrutins depuis tant d’années. Des associations de proximité l’ont par exemple imitée auprès des populations asiatiques et des femmes noires dans les banlieues, expliquant les démarches aux électeurs radiés pour revenir sur les listes, précisant les documents à apporter dans les bureaux, détaillant la présentation du bulletin et ce qu’il faut nécessairement y remplir... “Le message à véhiculer”, précise l’intéressée, “ce n’est pas de persuader ces électeurs en puissance de partager les valeurs démocrates, c’est de leur montrer que leur vote peut effectivement avoir un impact tangible”. 

Car avant cela, la mainmise des républicains sur la Géorgie était totale ces dernières années. Depuis 2002, tous les sénateurs élus dans l’État sont des républicains, et avant que Stacey Abrams n’entre en scène, c’était toujours le candidat du parti qui l’avait emporté à la présidentielle depuis 1992. Une donne qui a désormais changé avec la victoire sur le fil de Joe Biden en Géorgie fin 2020, et qui pourrait se concrétiser avec la victoire d’un ou deux démocrates lors des sénatoriales de ce mardi.

Et si ce n’est pas pour cette année, reconnaissent les deux candidats du parti de Joe Biden, le travail de Stacey Abrams et de ceux qu’elle a inspirés aura d’ores et déjà prouvé que les démocrates peuvent croire à la victoire dans des bastions auparavant imprenables, en dépit des failles du système américain. En Géorgie comme ailleurs, espèrent-ils. 

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