“Hit Me Hard and Soft”, le journal pop intime de Billie Eilish

Une guitare tendre, un chant sur le fil, avec toute l’âme d’une pop-soul décharnée : “Feelin’ off when I feel fine / 21 took a lifetime.” Absence de rythmiques et introduction des cordes de l’excellent Attacca Quartet (formé par Amy Schroeder,...

“Hit Me Hard and Soft”, le journal pop intime de Billie Eilish

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Une guitare tendre, un chant sur le fil, avec toute l’âme d’une pop-soul décharnée : “Feelin’ off when I feel fine / 21 took a lifetime.” Absence de rythmiques et introduction des cordes de l’excellent Attacca Quartet (formé par Amy Schroeder, Domenic Salerni, Nathan Schram et Andrew Yee), réputé dans sa pratique de la musique baroque comme de Philip Glass. Et qui offre l’un des fils sonores les plus captivants de Hit Me Hard and Soft. Du pur Billie Eilish : ultra-sentimental et néanmoins sophistiqué dans l’exorcisme de ses affres existentiels.

Convoquant les démons de l’anorexie, l’inaugural Skinny traite de son mal-être, dont elle a fait son principal paradigme narratif depuis le succès en ligne de Ocean Eyes, composé par son frère. Il y a presque une décennie – une éternité. Entre-temps, les maisons de disques l’ont courtisée, un 1er album est paru, When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, elle a été choisie pour interpréter un morceau de James Bond, avant d’être avalée par le raz-de-marée de Happier Than Ever, savant mélange organico-électro de pop éthérée et de R’n’B.

Sincérité pop

Dans la grande arène du divertissement pop, la dépression est un outil de communication imparable, et Eilish l’a bien compris. Sur la pochette, elle est plongée dans des abysses, quasi noyée. “I’m still so blue”, chante-t-elle dans Blue, qui triture sa veine mélancolique. L’amour déçu, la difficulté d’être soi, l’incompréhension et la quête de l’autre, superbement interprétés dans le récit d’apprentissage évidemment miyazakiesque Chihiro, aux envolées synthétiques bien senties. Ici et là, des éclaircies, comme le très efficace Lunch, ode à l’amour lesbien d’une ludique sensualité  : “I could eat that girl for lunch / Yeah she dances on my tongue / […] Oh my God her skin’s so clear / Tell her ‘bring that over here’.”

Rien de neuf, donc, sous la lune de Billie Eilish, mais rien de lassant non plus. Décidément inspiré, le frère, ange gardien et couteau suisse Finneas O’Connell, veille au grain. À la coécriture, production et direction d’arrangements, il supervise chaque seconde de ces dix morceaux très maîtrisés, cherchant, plutôt que de l’esbroufe instrumentale, des respirations, des microfailles spatiotemporelles. En témoigne The Greatest, qui se contente de chœurs et de sa guitare sèche, avant un crescendo romanesque : “You said your heart was jaded / You couldn’t even break it / I shouldn’t have to say it / You could’ve been the greatest.

L’éducation sentimentale

En 43 minutes, Eilish signe un manifeste de pop émotionnelle qui se veut à contre-courant de ses pairs américains, loin des tracklists à rallonge et de la surcharge de featurings. Sans surprise, elle affirme sa sincérité par la persistance de son récit (je vais mal. Enfin, je vais bien mais je vais mal, comme vous tous) et manie avec talent l’hybridité rythmique du bien nommé Hit Me Hard and Soft – tel L’Amour de ma vie, entre charmante ritournelle et ébouriffante démonstration dance-disco. C’est d’ailleurs là qu’elle brille le plus, dans la déconstruction et l’arythmie, et non dans les ballades confessionnelles trop attendues (Birds of a Feather ou Wildflower). Il n’en reste pas moins que ce troisième album pourrait, et devrait, conclure une trilogie du récit d’apprentissage de la chanteuse.

Si les textes ne constituent toujours pas son point fort, ressassant sans grand éclat stylistique un journal intime young adult, avec clins d’œil et rappels sonores, les mélodies sont suffisamment accrocheuses pour être chantées en chœur lors de la prochaine méga tournée de l’artiste californienne. Bien que l’absence de marqueurs d’une époque emphatique soit revendiquée comme gage d’authenticité, la pop de chambre, chez Billie Eilish, devient également pop de stade – jamais aussi fédératrice que lorsqu’elle fait couler les larmes. 

Hit Me Hard and Soft (Darkroom/Interscope Records/Universal Music), sortie le 16 mai