J'aurais aimé que les derniers jours de mon père en 2020 soient différents - BLOG

FIN DE VIE - Samedi 15 août 2020, je rentre de congés. Poussant la porte de la chambre du 1er étage de son EHPAD de la région parisienne, je pousse une inspiration d’effroi devant cette vision. Mon père au sol. Passées quelques secondes, je...

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Je garde la conviction que mon père a tout fait pour que ça dure le moins longtemps possible ces derniers jours, en refusant de manger et de boire. Je n’ai pas compris ses derniers mots lors d’une dernière visite. Et ces 3 dernières années ont été rudes à vivre pour nous tous. Il va falloir s’en remettre. (photo d'illustration)

FIN DE VIE - Samedi 15 août 2020, je rentre de congés. Poussant la porte de la chambre du 1er étage de son EHPAD de la région parisienne, je pousse une inspiration d’effroi devant cette vision. Mon père au sol. Passées quelques secondes, je sais qu’il dort, car il respire assez fort pour que je n’aie pas de doutes.

Retour en arrière...

En avril 2017, il a 89 ans, quand sorti d’une hospitalisation commune avec ma mère, on nous annonce qu’ils ne pourront pas rentrer chez eux. Entré en résidence Sénior, il dû en sortir en février 2019 nouvelle hospitalisation, car sa Dégénérescence Fronto-Temporale a progressé. Nous décidons alors de chercher à l’installer en région parisienne et de le rapprocher de moi. Un moteur de recherche se substitue à tout autre accompagnement, pour trouver une place en EHPAD.

Une place en EHPAD

Après quelques dizaines de demandes, coups de fil, dossiers remplis, visites improbables… le tout en travaillant à temps plein…. avec des horaires de rendez-vous proposé en plein après-midi,

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!

Une 1re place en Ehpad public pour une entrée en avril 2019. Mauvais étage, celui des gens enfermés dont beaucoup hurlent jours et nuits, établissement assez triste, une entrée sans fanfare. Une nouvelle place dans un autre établissement arrive en janvier 2020, un dossier rempli presque 1 an plus tôt… comme quoi les listes d’attente c’est parfois utile. L’EHPAD est situé à 15 minutes du précédent.

Il a commencé à voir un dentiste quelques semaines plus tôt, et des problèmes nécessitant une intervention chirurgicale surgissent. Il doit voir un chirurgien le 13 mars 2020 pour fixer une date d’intervention.

Je le déménage le 13 février 2020. Nouvelle chambre, nouvelle équipe, une admission plus personnalisée. Un établissement associatif, plus familial. Un soulagement pour ma sœur et moi.

Confinement

On parle de confinement, de coronavirus… fermeture complète des Ehpad le 13 mars justement.

Ce 13 mars, la direction de l’Ehpad m’autorise toutefois à sortir mon père pour me rendre à ce rendez-vous à la condition que je porte un masque, et que je ne rentre pas dans leur établissement. J’appelle 3 pharmacies, pour trouver celle qui accepte de sortir 1 masque de la “réserve d’état” pour ce rendez-vous.

Le chirurgien assez tendu ne regardera pas mon père. Ni sa bouche, ni ailleurs. Je réponds aux courtes questions. Il regarde la radio faite chez le dentiste en décembre. Et fixe une date d’opération en clinique en ambulatoire le 2 juin 2020. Opération précédée d’une visite à fixer chez l’anesthésiste. Je me demande pourquoi mon père est présent à ce rendez-vous.

Opération annulée par la clinique en mai, reportée en juillet, puis annulée à nouveau “il a toutes les caractéristiques des patients qu’on me demande de ne pas opérer” aurait dit le chirurgien. Mon père restera donc avec de graves problèmes dentaires qui l’empêchent de se nourrir normalement. Il n’a pas moins de 8 dents cassées dans la bouche, et un appareil qui ne tient plus à grand-chose. Mais il a eu entre temps 92 ans. Qu’aurais-je pu faire de différent?

Les troubles cognitifs majeurs de mon père n’ont fait que s’accentuer avec le confinement. Chaque appel débutera par une question: “Pourquoi tu ne viens plus me voir?” J’ai beau parler d’un virus mondial, il n’enregistre pas, il n’enregistre plus. Les retrouvailles se font dans un mode totalement déshumanisé: charlotte, masque, blouse, protège chaussures, 1 mètre, pas d’embrassade, pas de cadeaux, 1 heure, 1 table nous sépare. Il se précipite sur moi, arrêté par les infirmières, il ne comprendra jamais ce qui se passe à ce moment-là. Et moi j’ai l’impression de visiter un prisonnier.

Mourir dans la dignité, son souhait

Après ma période de congés d’été, son état s’est encore dégradé. Il ne se nourrit plus beaucoup. Et ce jour du 15 août il est tombé de sa chaise tout simplement de sa position assise. Le personnel a finalement réussi à l’aliter, et j’ai pu prendre la mesure des dégâts sur cet homme qui nous avait demandé de ne pas laisser la médecine d’acharner sur lui, plusieurs années plus tôt. Son souhait était de mourir dans la dignité, et cela je ne vais pas pouvoir lui offrir. Mais il va nous aider.

Je n’ai pas eu le courage de lui parler de suicide assisté il y a 3 ans. Est-ce qu’on aurait pu partir dans un pays étranger pour ça? Quel médecin aurait pu nous accompagner? Était-ce même possible?

Sa vie s’est réduite à une chambre de 15 m2 depuis, nous avons de moins en moins d’échanges et il est bien triste. Je pleure à l’issue de la plupart de mes visites. Quel être humain a envie de vivre ces moments, et de les faire vivre à son enfant!

Des débats ont occupé la scène médiatique plusieurs mois, pour que quelques heureux élus aient accès à de nouveaux droits familiaux. La possibilité de choisir de mourir dignement devrait tous nous concerner et encore plus dans une société où le progrès médical permet aux cœurs de taper encore plus longtemps, sans se soucier de l’état général de leurs porteurs.

À quand un vrai débat sur le Droit de Mourir dans la Dignité?

16 août j’y retourne, car “il va mieux”, m’a annoncé l’infirmière, la perfusion de la veille au soir lui a fait “beaucoup de bien”. Je me réjouis de pouvoir l’aider à déjeuner. Il ne mangera presque pas, alité, et le regard bien lointain. Je ne comprends plus le peu de mots qu’il prononce. Et je commence à réaliser.

19 août Appel du médecin. On me propose une hospitalisation. Son cœur bat à 140. Objectif de cette hospitalisation? Lui faire de plus amples examens. Prenant mon courage à 2 mains, je refuse cette nouvelle hospitalisation, rappelle qu’il a signé le document du dossier rempli en février dernier sur le non-acharnement thérapeutique, que mon souhait est que l’établissement le garde. Au cours de ma visite du 20 août, la cadre de santé m’explique qu’elle va ouvrir un dossier de soins palliatifs pour lui. Ils ont bien compris qu’on souhaite qu’il reste tranquille chez eux, et l’établissement m’assure qu’ils sont aussi là pour ça. Ma sœur monte du sud le 24 août, et réitère cette demande, nous prenons bien conscience que c’est la fin. L’Ehpad nous a écoutés et a tout fait pour que ces dernières volontés soient exhaussées. Les perfusions se substituant aux dîners sont arrêtées. Seule l’assistance respiratoire est conservée, quand il ne la retire pas…

Un suicide sans suicide assisté

31 août Appel du médecin. Depuis quelques jours il ne s’alimente plus, il ne boit plus, et maintenant déglutir sa propre salive est devenu un problème. Il est alité tout le temps. Un patch antidouleur (morphine) a été posé. Un dossier de soins palliatifs est prêt que je dois aller signer. Aux dires du médecin, “il n’en a plus que pour quelques jours”, et il faut prévenir la famille. Cette impression d’attente de la mort me fait penser au dossier Vincent Lambert, oui je sais que la comparaison ne vaut rien. Mais je pense à cette attente quand tout est arrêté, et je me demandais déjà à l’époque, mais est-ce qu’il souffre, est-ce qu’il sent qu’il va mourir. Réponse délicate…

1er septembre 15 h je pousse la porte de sa chambre, mon père est figé. Plus rien de bouge, le cou est inerte. J’ouvre sa chemise. Il ne respire plus. Mon père est mort. L’assistance respiratoire ne remplit plus sa fonction, même si le bruit de l’appareil est bien présent. Le personnel est navré que ce soit moi qui le découvre. Comme ils étaient navrés que ce soit moi qui le vois au sol 15 jours plus tôt.

J’ai assisté à son suicide. Sans suicide assisté. Et sans que nous nous soyons préparés, ni lui, ni nous.

Je garde la conviction que mon père a tout fait pour que ça dure le moins longtemps possible ces derniers jours, en refusant de manger et de boire. Je n’ai pas compris ses derniers mots lors d’une dernière visite. Et ces 3 dernières années ont été rudes à vivre pour nous tous. Il va falloir s’en remettre.

Après cette expérience si éprouvante pour mon père (être le spectateur souvent conscient de sa propre déchéance) et pour nous, spectatrices impuissantes du déclin de notre père, je me demande si le prochain progrès de l’humanité pourra être de réussir sa mort, après avoir cherché à réussir sa vie.

La question mérite d’être débattue, au nom d’une certaine dignité.

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