Jon Hassell, à jamais dans son quatrième monde

“Il chérissait la vie et quitter ce monde a été pour lui une épreuve alors qu’il souhaitait partager encore plus de choses dans le domaine de la musique, de la philosophie et de l’écriture.” En annonçant par un communiqué officiel le décès...

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“Il chérissait la vie et quitter ce monde a été pour lui une épreuve alors qu’il souhaitait partager encore plus de choses dans le domaine de la musique, de la philosophie et de l’écriture.” En annonçant par un communiqué officiel le décès à 84 ans de Jon Hassell – survenu avant-hier, samedi 26 juin –, la famille de l’artiste américain a précisé qu’il luttait, depuis plus d’une année, contre de gros problèmes de santé. Surtout, elle a ajouté qu’il nourrissait toujours plein de projets et d’envies.

L’homme n’en a jamais manqué ! Que Jon Hassell soit né à Memphis, Tennessee, en 1937, n’a finalement pas plus d’importance qu’une coordonnée spatiotemporelle : au lieu de devenir bluesman ou chantre de l’americana, Hassell avait la vision d’une “monde globalisé constamment en train d’intégrer et d’hybrider, où les différences sont célébrées et honorées”, pour reprendre des mots de Brian Eno datant de 2007. Sa trajectoire qui l’a vu être présent et actif sur tous les épicentres des séismes expérimentaux du XXème siècle prend cependant racine de manière traditionnelle.

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Explorateur sonique

Le cornet à piston qui traîne à la maison, utilisé avant par son père, le fascine comme le big band du chef d’orchestre Stan Kenton. Après avoir suivi un enseignement académique, Hassell est trompettiste mais déjà sensible à l’avant-garde. Après avoir enseigné la théorie musicale à Washington et déménagé à New York, il part à Cologne (Allemagne) au milieu des années 1960 pour une grande aventure à la fois intellectuelle et humaine. Là-bas, il reçoit les leçons de Karlheinz Stockhausen qui lui ouvre le champ des possibles, composant ses 1ères pièces associant orchestre et bidouillages. Parmi ses camarades d’études se trouvent deux futurs membres de Can, le bassiste Holger Czukay et le claviériste Irmin Schmidt, avec qui il vit son 1er trip d’acide.

De retour à New York, il continue d’apaiser sa soif d’expérimentations en rejoignant La Monte Young, le pionnier de la musique minimaliste américaine – il a aussi joué sur le 1er enregistrement d’In C, composition fondatrice de Terry Riley. Sa 1ère œuvre d’importance, Solid State, sorte de création invisible mais sonore, sculptée par les fréquences et les filtres, le montre tel le funambule qu’il sera toute sa vie, en équilibre entre les disciplines. Autant inspiré par le Miles Davis de Bitches Brew que par les écrits de Guy Debord ou Italo Calvino qu’il cite volontiers, il va défricher des territoires dans lesquels plein d’autres – Erik Truffaz, Nils Petter Molvaer – trouveront la lumière.

Après trois années à apprendre auprès du chanteur Pandit Pran Nath, Hassell publie en 1978 le rêveur et méditatif Vernal Equinox. Alors installé à New York, Brian Eno y entend, derrière le chant étrange de la trompette, une hybridation inédite de cultures indienne, africaine et américaine. “Il a planté une graine solide et fertile”, loue l’ex-Roxy Music qui prolongera le concept avec My Life in the Bush of Ghosts, conçu avec David Byrne. Frères d’ambient, Hassell et Eno sont faits pour se rencontrer et, en 1980, ils cosignent Fourth World, Vol.1: Possible Musics où la vision inclusive de Hassell s’exprime de manière encore plus claire. Électronique et musiques ethniques s’allient pour dessiner un univers esthétique où les frontières entre les cultures (mais aussi entre le passé et le futur) s’effacent de plus en plus.

Quatrième monde

Ce concept de Fourth World irriguera une grande partie de la discographie d’Hassell qui ne dédaigne pas non plus s’impliquer dans des projets plus pop – on l’entend notamment sur Remain in Light des Talking Heads, chez Lloyd Cole ou Tears for Fears. En 1983, Hassell franchit un palier technologique en utilisant un des 1ers samplers numériques, le Fairlight, sur Aka/Darbari/Java conçu avec Daniel Lanois et son équipe. Dans les notes intérieures, il écrit à propos du sampling : “La possibilité de mêler le son de musiques d’époques et d’origines géographiques différentes dans la même forme de composition marque un tournant dans l’histoire.”

À partir de là, il ne cessera d’accumuler les idées, les pistes et les couches sonores pour concevoir des collages sophistiqués, creusant le même sillon expérimental, allant fureter là où son inspiration aventureuse l’amène. En 1990, avec City : Works of Fiction, il imagine ainsi la bande-son d’une ville futuriste à la Blade Runner et sample aussi bien des chants des Massaïs que Public Enemy – il a été fasciné par Takes a Nation of Millions To Hold Us Back, le deuxième album du groupe de rap.

Cette ouverture d’esprit l’amène à flirter avec la house naissante – les Anglais de 808 State remixent d’ailleurs son morceau Voiceprint. Avec les années, son influence grandit, ce que reflète le nombre croissant de ses collaborations éclectiques – Ry Cooder, le Kronos Quartet, Peter Gabriel, David Sylvian, k.d. lang, Ani DiFranco, etc. Les années 2000 le voient poursuivre dans la même veine atmosphérique – cf. Last Night the Moon Came Dropping its Clothes in the Street pour le label ECM en 2009.

Neuf ans plus tard, avec Listening to Pictures, il s’exprime comme un peintre et revendique l’utilisation du repentir, cette notion picturale où une partie du tableau est recouverte, modifiée et transformée. Seeing Through Sound, son enregistrement finalement testament paru en 2020, réaffirmait cette vision d’une musique où les sons dessinent des images. Si sa mort nous attriste, on pourra se consoler avec une œuvre qui n’a pas pu prendre une ride tant elle était, à l’origine, intemporelle.

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