La blitzkrieg au Haut-Karabakh est le laboratoire des guerres de demain

Le Haut-Karabakh ou république d’Artsakh est un petit territoire montagneux de 12.000 kilomètres carrés, enclavé en Azerbaïdjan, avec une population de 150.000 habitants, à majorité Arméniens. Depuis la chute de l’empire soviétique, le Haut-Karabakh...

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Des soldats des armées de Turquie et d’Azerbaïdjan prennent part à la parade de la victoire pour célébrer la victoire de l'armée d’Azerbaïdjan dans le Haut-Karabakh, le 10 décembre 2020 à Baku, Azerbaïdjan. (Photo by Mustafa Kamaci/Anadolu Agency via Getty Images)

Le Haut-Karabakh ou république d’Artsakh est un petit territoire montagneux de 12.000 kilomètres carrés, enclavé en Azerbaïdjan, avec une population de 150.000 habitants, à majorité Arméniens. Depuis la chute de l’empire soviétique, le Haut-Karabakh a été l’objet de trois guerres entre Arméniens et Azéris: la première, de 1988 à 1994, s’est soldée par un bilan de 30.000 morts et une victoire de l’Arménie; la deuxième, appelée “Guerre des Quatre jours”, eut lieu en avril 2016; la troisième, d’une durée de 44 jours, entre le 27 septembre et le 10 novembre, s’est conclue par une victoire azérie dont la fulgurance a surpris le monde militaire. Grâce à la manne pétrolière, en quelques années, l’Azerbaïdjan est parvenu à constituer une armée dotée d’une technologie et d’un équipement modernes qui leur a permis de gagner la guerre.

Par ses dimensions géopolitiques, ses alliances, ses caractéristiques militaires, ce conflit, passé relativement inaperçu dans le monde européen, est une source inestimable d’enseignements pour les États-majors du monde entier. Il s’agit du premier conflit conventionnel de “haute intensité” combinant drones, avions de combat, artillerie, systèmes de défense anti-aériens, systèmes de brouillage électroniques, forces spéciales et réseaux sociaux. 

Le retour du 19ème siècle 

Après 20 années de conflits meurtriers dominés par des guerres civiles (Libye, Syrie, Yémen…), la plupart “asymétriques”, et caractérisées par l’importance du fait religieux, voici une guerre entre une nation musulmane et une nation chrétienne qui ne se lit pas selon des lignes de fracture confessionnelles. Comme l’Arménie, l’Azerbaïdjan est une ancienne république soviétique. C’est aussi un pays turcophone de confession chiite. La Turquie s’est impliquée dans le conflit au nom de la solidarité avec le peuple azéri (“Une nation avec deux États”) en fournissant soutien diplomatique, drones armés, et en déployant plusieurs milliers de mercenaires syriens et libyens. Quant à la Russie, elle dispose de deux bases militaires en Arménie et est tenue par l’Organisation du Traité de Défense Collective (OTSC) de défendre son territoire en cas d’agression. L’Iran, de confession chiite comme l’Azerbaïdjan, soutient l’Arménie, en partie par hostilité vis-à-vis d’Ankara. Israël, fort de sa nouvelle diplomatie d’“engagement” de ses “voisins” pour contrer l’Iran, appuie discrètement les Azéris en leur livrant du matériel moderne.

 

Cette guerre a souligné la propension de puissances moyennes comme la Turquie ou l’Azerbaïdjan à s’inspirer des méthodes des groupes terroristes pour traumatiser les populations civiles.

 

En conclusion, un pays orthodoxe et un pays chiite soutiennent une nation chrétienne contre un pays… chiite, lui-même aidé par un pays sunnite et l’État hébreu. D’un point de vue géopolitique, on est bien plus proche des conflits “d’aire d’influence” (russe, ottoman, perse) du 19ème siècle que des conflits “religieux” du dernier quart du 20ème siècle. 

Une nouvelle blitzkrieg 

En 44 jours, les forces de l’État chiite ont repris un tiers du territoire du Haut-Karabakh, au prix de 3000 morts de chaque côté, et en détruisant une partie de l’armée arménienne: 250 tanks, 150 autres véhicules militaires, 270 pièces d’artillerie, 60 systèmes antiaériens etc.

Les drones turcs (déjà utilisés dans les conflits libyen et syrien), Bayraktar TB-2, et israéliens, Harop et Orbiter- 1K (déjà essayés lors de la guerre des Quatre jours), en dirigeant les efforts de l’artillerie, des chasseurs et bombardiers, ou en utilisant leur propre armement, ont fait des ravages parmi les défenses anti-aériennes, les blindés et les convois arméniens. De plus, les TB-2 ont démontré leur efficacité par rapport aux drones “occidentaux”; moins chers et de longue autonomie, ils ont prouvé leur valeur sur le théâtre moderne et surtout leur versatilité: reconnaissance et surveillance, attaque et destruction, propagande. Tirant déjà les leçons du conflit, l’État-major britannique vient d’annoncer une nouvelle stratégie de drones armés.

Toutefois, si les drones ont été si efficaces, c’est avant tout en raison de la faiblesse des systèmes de défense anti-aériens, obsolètes pour la plupart, tels les S-300 russes, non adaptés aux drones, et en grande partie détruits dès le début de la campagne. Enfin, les systèmes de brouillage électronique Polye-21 russes se sont révélés en partie inefficaces contre les drones sophistiqués de l’Azerbaïdjan, engins plus lents, volant plus bas et dotés d’une autonomie supérieure aux chasseurs.

Beaucoup moins a été dit sur l’utilisation intensive de l’artillerie; en démultipliant les capacités de surveillance, de reconnaissance (ISTAR), et en l’absence d’engagement d’avions de combat, les drones ont permis au large éventail de capacités de frappe à distance (missiles, “kinetic interceptors”, “cluster munitions” etc.) de détruire le matériel, de bloquer le ravitaillement, l’acheminement de troupes, de paralyser les axes de communication, et de gagner la guerre.

Les forces spéciales, très sollicitées par les Azéris afin de créer l’avantage sur le terrain le plus vite possible, ont essuyé des pertes importantes. La doctrine de surutilisation des forces spéciales sur les théâtres asymétriques trouve ses limites dans les guerres de haute intensité, lesquelles requièrent non seulement une stratégie intégrée des divers corps d’armée, matériels, logistique etc. mais une capacité d’engagement sur un théâtre multidimensionnel dans la durée.

Pour faire face aux troupes arméniennes, réputées plus aguerries, l’Azerbaïdjan a bénéficié de l’envoi par la Turquie de milliers de mercenaires syriens et libyens. Chair à canon “invisible” des temps modernes (leur présence, pertes et atrocités sont toujours niées par le belligérant), ils sont un élément important de la guerre psychologique menée contre les populations civiles.

Cette guerre a encore une fois souligné la propension de puissances moyennes comme la Turquie ou l’Azerbaïdjan à s’inspirer des méthodes des groupes terroristes pour traumatiser les populations civiles. Les pires atrocités, les crimes de guerre, l’humiliation des prisonniers de guerre ont été largement diffusés sur les plateformes de réseaux sociaux, les vidéos de soldats tués ou torturés parfois envoyés à leurs familles afin de démoraliser la population arménienne. Il devient urgent pour les États-majors européens de développer leurs “défenses anti-propagande” et pour leurs gouvernements de reprendre le contrôle sur ces plateformes. 

Les enseignements du premier conflit conventionnel de haute intensité du 21ème siècle 

L’utilisation intensive des drones armés dans le cadre d’une campagne coordonnée représente une indéniable évolution stratégique. Elle permet à des puissances militaires moyennes de se lancer dans des conflits conventionnels de haute intensité. C’est grâce à la combinaison drones-missiles-mercenaires que la Turquie est capable de mener trois conflits (Libye, Syrie, Irak) de façon simultanée. L’utilisation des drones pour la surveillance, la reconnaissance, l’acquisition et la destruction de cibles a très tôt assuré la maîtrise du ciel à un adversaire soi-disant plus faible militairement. En détruisant les défenses anti-aériennes, l’armée azérie a provoqué un effet de dominos, permettant à son artillerie et à ses drones armés d’infliger de lourdes pertes en matériel et en hommes, de couper le ravitaillement, les flux logistiques, et de s’assurer la maîtrise du terrain et la victoire.

 

C’est grâce à la combinaison drones-missiles-mercenaires que la Turquie est capable de mener trois conflits (Libye, Syrie, Irak) de façon simultanée.

 

Pour les États-majors européens, les leçons sont claires: a) les drones font maintenant partie d’une stratégie intégrée de haute-intensité; b) Considérant que les avions de combat n’assurent plus à eux seuls la maîtrise du ciel, l’urgence est l’acquisition de systèmes de défense modernes, diversifiés et de systèmes de brouillage électroniques et anti-drones; c) Mais la clé de la guerre moderne reste la synergie entre tous les systèmes et tous les corps (défense aérienne, brouillage, drones anti-drones, coordination drones-avions de combat-artillerie, troupes au sol…). Le conflit caucasien a démontré qu’il suffisait d’une faille (défenses aériennes détruites par ou grâce à des drones sophistiqués au début du conflit) pour que l’ensemble de la chaîne intégrée s’effondre. d) Avec leurs capacités de défense en partie obsolètes, les pays européens (à l’exception de la France et de l’Allemagne) ne feraient pas le poids face à une puissance moyenne comme la Turquie ou même l’Azerbaïdjan.

La guerre du Haut-Karabakh est un avertissement lancé aux armées européennes pour accélérer la modernisation de leurs matériels et de leurs stratégies et relancer l’effort de défense dans un monde de plus en plus imprévisible. Il n’y en aura pas d’autres.

 

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