Le combat de Tran To Nga, victime de l'agent orange, face à l'industrie agrochimique

JUSTICE - C’est son “dernier combat”. Lundi 25 janvier s’ouvre au tribunal d’Évry un procès que Tran To Nga espère historique. Franco-vietnamienne, elle porte plainte contre 14 multinationales agrochimiques accusées d’avoir fourni à l’armée...

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JUSTICE - C’est son “dernier combat”. Lundi 25 janvier s’ouvre au tribunal d’Évry un procès que Tran To Nga espère historique. Franco-vietnamienne, elle porte plainte contre 14 multinationales agrochimiques accusées d’avoir fourni à l’armée américaine de l’agent orange, un herbicide ultra-puissant.

Pendant la guerre du Vietnam, des millions de litres de produits chimiques ont été déversés sur les forêts vietnamiennes et laotiennes dès les années 60, avec pour objectif de décimer la flore et de freiner ainsi l’avancée des troupes indépendantistes. Sans considération pour la santé des populations ainsi aspergées.

Parmi ces défoliants toxiques, l’agent orange, nommé en référence aux bandes de couleur peintes sur ses fûts de stockage, aurait fait 4 millions de victimes au Vietnam, au Laos et au Cambodge, selon les ONG qui les défendent. Puissant perturbateur endocrinien, il serait à l’origine de milliers de cancers et pathologies chez les personnes ayant été en contact avec ce produit, mais aussi chez leurs enfants et petits-enfants. 

Parmi les victimes de ce drame se dresse Tran To Nga, bientôt 79 ans. Elle a fait de la lutte contre l’agent orange, aussi appelé l’agent orange-dioxine, le “dernier combat de sa vie”. Et se veut le porte-voix de toutes les autres.

“C’est là que j’ai reçu le poison”

C’est à l’âge de 22 ans qu’elle raconte avoir été contaminée. Née en 1942 dans l’Indochine française, elle a rejoint après ses études le mouvement indépendantiste du Nord du Vietnam, dont l’objectif est de libérer la partie Sud, soutenue par les Américains.

Elle fait alors partie d’un groupe de 200 jeunes, partis à pied à travers forêts et montagnes pour rallier le Sud du Vietnam, sur la piste “Hô Chi Minh”, longue de 1000 km. 

“C’était en 1966, lors d’une mission près de Saïgon, se souvient-elle, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus. Un jour, j’ai entendu le bruit d’un avion qui circulait et faisait des épandages. Nous étions dans des abris souterrains. Je suis montée et c’est là que j’ai reçu le poison.”

Un poison aux lourdes conséquences. Sur la santé de Tran To Nga, en premier lieu: cancer du sein, diabète de type 2, taux de dioxine élevé dans le sang, hypertension, tuberculose, anomalie génétique...

“Quand vous me regardez, vous n’avez pas l’impression que je suis malade, mais je suis bien malade”, sourit-elle, en soulignant que son cancérologue lui a donné en 2017 un sursis de 5 ans à vivre. Des séquelles qui ont aussi touché toute sa famille.

13 fois plus toxique que le glyphosate

En premier lieu, sa fille aînée, Viêt Hai, née trois ans après sa contamination. Elle décèdera âgée seulement de quelques mois. “Elle avait quatre malformations au cœur, elle ne pouvait pas survivre”, explique Tran To Nga. Elle aura ensuite deux autres filles, porteuses elles aussi de malformations à leur naissance, et des petits-enfants. Tous souffrent de problèmes de santé.

Car la dioxine contenue dans l’agent orange a contaminé les sols, l’eau, la végétation... Et ce pour des générations. Le taux de fausses-couches dans certaines régions du Vietnam a explosé depuis les années 70. 

Sa puissance toxique “absolument phénoménale” est 13 fois plus importante que les herbicides comme le glyphosate par exemple, rappelle Valérie Cabanes, juriste en droit international. “Environ 6000 enfants naissent au Vietnam avec des malformations congénitales par an”, ajoute-t-elle.

Pourtant, Tran To Nga s’estime “chanceuse”. “Moi, je peux vivre et vous parler. Mais j’ai rencontré d’autres victimes, au Vietnam ou aux États-Unis, raconte-t-elle. Et je pense que si je pouvais inviter nos juges ou les avocats de la partie adverse à les rencontrer, ils n’auraient plus le cœur à défendre des criminels.” 

Jurisprudence pour ”écocide”

C’est en 2009, après avoir constaté l’étendue du drame au Vietnam qu’elle décide de se lancer dans ce combat pour la justice. “Je me suis demandée qui allait s’occuper de ces enfants handicapés une fois que la première génération, dont je fais partie, aurait disparu”, explique-t-elle.

Mais il faudra attendre 2013 pour que le Parlement français restaure la compétence du juge français en matière de droit international: l’ouverture d’une procédure par une victime de nationalité française pour un tort extraterritorial commis par un tiers étranger redevient possible. 

Tran To Nga porte plainte en 2014 contre une vingtaine de compagnies américaines, parmi lesquelles figurent Bayer-Monsanto et Dow Chemical. Mais  de reports en nouvelles audiences, la date du procès est sans cesse repoussée. Il doit s’ouvrir lundi 25 janvier, après de longues années d’attente. 

Les multinationales ont bien tenté de proposer un accord amiable à Tran To Nga. Qu’elle a refusé. “Dédommager Tran To Nga, pour ces multinationales, ce n’est rien. Mais derrière moi, il y a des milliers de victimes. C’est pour ma famille que je me bats, bien sûr, mais aussi pour elles, pour créer un précédent judiciaire”, explique-t-elle, déterminée.

Un combat long et inégal

Soutenue par de nombreuses associations, elle espère que ce procès au civil fera “jurisprudence” et contribuera à la création d’un crime international “d’écocide”. 

“Aujourd’hui en France naissent des enfants sans bras, ni jambes, victimes du glyphosate et des pesticides. Leurs souffrances et les séquelles de ces poisons sont identiques”, affirme Tran To Nga, qui souhaite ouvrir la voie à toutes les victimes de ce que l’on appelle les “pollutions diffuses”. 

Mais le chemin promet d’être encore long et difficile. Face à elle, 14 sociétés internationales sont assignées. Avec une myriade d’avocats et autant d’heures de plaidoirie.

“Dans ces cas d’atteinte à l’environnement et à la santé des êtres humains, cela met toujours extrêmement longtemps, reconnaît la juriste internationale Marie Toussaint. Car les multinationales ont extrêmement peur.” À l’issue du jugement, l’une ou l’autre partie feront sans aucun doute appel. 

En 1984, les États-Unis ont accordé 180 millions de dollars à certains vétérans, intoxiqués par les pesticides maniés sans précaution pendant la guerre. Les Vietnamiens, eux, n’ont rien obtenu. L’Association des victimes de l’agent orange-dioxine du Vietnam (VAVA) a été déboutée trois fois aux États-Unis, puis par la Cour suprême.

“Lundi 25 janvier, le combat ne fait que commencer, rappelle Tran To Nga. Alors que le procès approche, je ressens de la sérénité, de la conviction et de l’espérance.” Elle est prête à y consacrer les “dernières années de sa vie”.

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