Les origines créatives d’Abbas Kiarostami dans un coffret DVD

Lorsqu’en 1990 surgit en France Où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami, le bonheur cinéphile est redoublé par la félicité de découvrir un auteur inédit. Or, pas tout à fait. Cette année-là, Kiarostami a 49 ans et si Où est la maison…...

Les origines créatives d’Abbas Kiarostami dans un coffret DVD

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Lorsqu’en 1990 surgit en France Où est la maison de mon ami ? d’Abbas Kiarostami, le bonheur cinéphile est redoublé par la félicité de découvrir un auteur inédit. Or, pas tout à fait. Cette année-là, Kiarostami a 49 ans et si Où est la maison… est son 1er long métrage de fiction depuis la “révolution” iranienne de 1979, il a déjà à son actif quantité de films (courts ou longs), dont la majorité fut tournée avant l’accession des religieux au pouvoir.

Cette production est liée à la création en 1965 du Kanoon (Institut pour le développement intellectuel des enfants), dans la foulée de la relative modernisation du pays décrétée par le Shah.

Sous la direction conjointe de Kiarostami et Ebrahim Forouzesh, la branche cinéma du Kanoon va produire une foultitude de documentaires, fictions et dessins animés. Dès 1970, Kiarostami y réalise Le Pain et la Rue, fiction de onze minutes. L’histoire en noir et blanc est celle d’un petit garçon qui, au retour de l’école, est tétanisé par la vision d’un chien pas commode, posté dans une ruelle.

L’enfance de l’art

Le suspense est noué à l’apaisement du supposé molosse par l’enfant et, réciproquement, à l’adoption de l’enfant par le chien. La maîtrise de Kiarostami est d’évidence. La lumière (dialectique de l’ombre et du soleil), le cadre (plan large apaisant, gros plan inquiétant) et, en gésine, ce qui deviendra une antienne de ses films : on ne s’en sort individuellement qu’à condition de compter sur un·e Autre (fût-ce un chien).

A lire aussi : La révolution Abbas Kiarostami

Au fil des dix-huit films (de 1970 à 1989) réunis en coffret DVD et Blu-ray par les éditions Potemkine, ces fondamentaux ne font que se confirmer, s’affirmer mais aussi “rhizomer” dans des variations intempestives et des schismes qui battent en brèche l’idéologie de la fatale continuité d’une œuvre.

De cette enfance de son art, on peut extraire quelques autres merveilles, dont Le Passager (1974), dans lequel un gamin se démène pour acheter un ticket de bus pour Téhéran, où il veut assister à un match de foot. Arrivé au but, l’enfant épuisé s’endort sur un coin d’herbe et laisse passer le match tant désiré. Eloge de la fugue et requiem de la déception.

Après 1979, Kiarostami doit composer avec la nouvelle censure des autorités chiites. On est d’autant plus stupéfait·e par Le Chœur qui, en 1982, comme un défi discret, met en vedette des petites filles. Plantées devant une maison, deux gamines exhortent leur grand-père à ouvrir sa porte. Rendu sourd par son Walkman, il ne les entend pas. Elles rameutent donc une palanquée de copines d’école qui, en un chœur joyeux, scandent à tue-tête un “ouvre la porte !” vivement symbolique.

Les bambins, sujet majeur de Kiarostami

Même pas de côté dans les documentaires censément pédagogiques. Déjà, en 1976, dans Les Couleurs, le bambin, à qui s’adresse une ciné-leçon sur la polychromie, finit par tirer au pistolet sur des bouteilles remplies de couleurs primaires qui éclaboussent le plan. De même dans Rage de dents (1980), où un dentiste débite son laïus sur l’hygiène bucale tandis que sur le fauteuil d’à côté, à égalité de son, un enfant hurle sous la roulette.

Summum de cette résistance de l’intérieur avec Devoirs du soir (1989). Le dispositif kiarostamien est à son paroxysme : le réalisateur comme acteur et metteur en scène, l’exhibition des coulisses de la représentation (caméra, lumière, prise de son) et des écoliers-acteurs mis à la question d’une interrogation lancinante et un rien sadique : “Pourquoi tu ne fais pas tes devoirs ?” N’était que la revanche des “victimes” sur leur tourmenteur y est éclatante. Ils mentent tellement que la vérité est ailleurs : du côté des dessins animés qu’ils avouent aimer (dont Pinocchio, évidemment), voire, sur le front du refus, en se claquemurant dans le silence et les larmes.

Les enfants, majoritairement des garçons, sont un des sujets majeurs de Kiarostami. D’un film à l’autre, il·elles se ressemblent autant qu’il·elles s’éparpillent en moult personnages qui, chacun à sa fenêtre, semblent écrire un journal intime réfractaire à tout projet de reliure.

“24 Frames”, un film posthume formidablement juvénible

Au terme de cette rétrospective, on peut s’adonner à 24 Frames, sorti après la mort de Kiarostami en 2016 et décrété à ce titre testamentaire. Et si c’était, nettement moins funèbre, un formidable coup de jeune ? Un geste juvénile destiné à se délester d’un passé vieilli en faveur d’une avant-garde artistique, nourrie de numérique.

A lire aussi : notre critique de “24 Frames”

Chaque séquence est un plan fixe de quatre minutes trente entrecoupé d’un carton (“Frame 1”, “Frame 2”…). Des animaux, domestiques ou sauvages, des paysages brumeux, extraits de photographies prises par Kiarostami : “J’y ai ajouté ce que j’ai imaginé avoir eu lieu avant ou après chacun des moments capturés.” En introduction programmatique, le tableau de Brueghel, Chasseurs dans la neige (1565), où soudain de la fumée sort d’une cheminée, un chien pisse au pied d’un arbre. La stase comme condition de l’extase.

A l’embouchure d’un fleuve qui remonte à sa source, 24 Frames est comme le titre d’une ritournelle fredonnée dans le noir par un·e enfant terrorisé·e, et qui, sortilège, esquisse ainsi un espace vivable au milieu des chaos menaçants.

Abbas Kiarostami : Les années Kanoon en coffret collector DVD et Blu-ray (Potemkine)

24 Frames d’Abbas Kiarostami, en coffret collector DVD, Blu-ray et livre (Potemkine)