Pourquoi il faut (re)découvrir “Kung-fu Master” d’Agnès Varda

Mary-Jane (Jane Birkin) approche de la quarantaine lorsqu’elle rencontre Julien (Mathieu Demy), un camarade de classe de sa fille (Charlotte Gainsbourg), tout juste âgé de 14 ans. Sans comprendre pourquoi, le regard du jeune homme la trouble,...

Pourquoi il faut (re)découvrir “Kung-fu Master” d’Agnès Varda

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Mary-Jane (Jane Birkin) approche de la quarantaine lorsqu’elle rencontre Julien (Mathieu Demy), un camarade de classe de sa fille (Charlotte Gainsbourg), tout juste âgé de 14 ans. Sans comprendre pourquoi, le regard du jeune homme la trouble, "on ne pouvait pas avoir l’air plus minable qu’il était et je l’ai trouvé magnifique". Lui, est obsédé par un jeu vidéo, Kung-fu Master, dans lequel il doit délivrer une femme. Et si c’était elle, tout simplement ?

C’est bien d’un récit brûlant dont s’empare Varda en 1988 - sûrement plus encore aujourd’hui, qu’il y a trente ans - lorsqu’elle décide de raconter le trouble d'une femme adulte pour un jeune garçon de 26 ans son cadet. Une "relation" qui pourrait la conduire devant les tribunaux. De ce sujet problématique - qui aurait pu se transformer en un objet polémique - on ne garde pourtant le souvenir d’une douceur infinie. La nature scandaleuse du scénario est subjuguée par l'œil lucide de la cinéaste, qui restitue à ce destin de femme - interprétée par l'intemporelle Jane Birkin - complexité et mystère, à l'abri des regards lubriques. Loin de Nabokov, donc, la réalisatrice s'improvise grande magicienne et joue à tordre les rôles qu'elle distribue, pour un drôle de Freaky Friday.

>> A lire aussi : Un court-métrage inédit d'Agnès Varda est en ligne sur YouTube

Une affaire de famille

C’est lorsqu’elle tourne sa folle biographie Jane B. par Agnès V., que Birkin lui soumet la trame d’un potentiel sketch. Fort du succès de Sans toit ni loi et puisqu’elle en a soudainement les moyens, Varda décide d’en faire immédiatement un long-métrage. S’amusant à réduire la frontière entre le réel et la fiction depuis son premier film, La Pointe Courte, la cinéaste transforme le projet en affaire de famille, comme le fera Pialat quelques années plus tard avec Le Garçu. Elle filme les parents Birkin dans leur maison de Londres, et surtout les enfants, Charlotte Gainsbourg (Lucy), Lou Doillon (qui doit à peine avoir 4 ans) et son propre fils, Mathieu Demy, qui interprète Julien.

Avant Kung-Fu Master, Charlotte et Mathieu avaient déjà tourné dans les films éminemment intimes et ouvertement autobiographiques de leurs parents légendaires : Charlotte for Ever pour l’une et Documenteur, pour l’autre. On ne les avait jamais vu·es tels que Varda les montre : ordinaires. Pas communs pour autant, Charlotte et Mathieu, loin de Serge et de Jacques, se font charmeurs et insolents en vacances, sur fond d'intrigue peu orthodoxe. Grande documentariste, la réalisatrice témoigne avec soin de leur époque : posters de Madonna dans les chambres d'ado, Bérurier Noir et Rita Mitsouko en bande-son des premières boums.

Mélancolie du quotidien 

Que vient motiver cette obsession de Mary-Jane pour Julien ? La cinéaste nous offre une multitude de réponses, chacune fragmentaire et toutes intriquées. Chez elle, dans sa merveilleuse maison, il y a des fleurs et des photos à craquer, un trop-plein de vie qui ne fait que contraster avec le vide et la mélancolie de son quotidien. Elle souffre "de l’absence dans l’air", confie-t-elle en voix off. Elle s’émeut devant un dessin d’enfant avec trois mots griffonnés, qu’elle prend pour une véritable lettre d’amour. Blessée par un douloureux divorce, elle qui assure dans une crise de larmes que "les gens ne restent pas ensemble", fonce tête baissée.  

Comme Myrtle Gordon dans Opening Night, Mary-Jane est une de ces femmes supportant mal la vieillesse qui la guette, le désir qui faiblit chez les autres. Jalouse de la jeunesse et des amours adolescentes qu’elle a manquées, elle devient obsédée par l’idée que Lucy les rate à son tour. Elle tente de remonter le temps. Il lui suffit d’apprendre leurs jeux, leur langage, de retourner dans sa chambre d’enfant chez ses parents. "Est-ce que tout se répète ?", s’interroge-t-elle.

Fuyant toujours plus loin dans son passé, elle ira se réfugier avec Julien et Lou sur une île (illusoire Neverland) dans une maison qui tient office de cabane, où les journées sont consacrées aux courses en sacs de couchage ou à grimper sur les rochers. Dans ces images d’une beauté époustouflante, Varda sait bien qu’elle ne filme que des enfants, le corps de (Mary-)Jane redevenant aussi gauche que celui de ses 10 ans. 

Game over

Cette "relation" supposément enfantine ne durera pas. Elle ne cesse d’ailleurs d’être menacé par le VIH, dont on évoque sans cesse les dangers : à la télévision ou dans la rue, en France comme en Angleterre. La maladie plane comme une angoisse sourde, très présente dans le film, alors que paradoxalement Varda a longtemps caché le fléau dont son mari, Jacques Demy, mourut deux ans plus tard, en 1990. 

Le retour en arrière est impossible, il est d’ailleurs le propre de la nostalgie soulignait Jankélévitch. La réalité attend, toute autre : le scandale éclate, Lucy retourne chez son père et Julien change de lycée. Qu’importe, Mary-Jane se demande toujours s’il pense à elle, restant fidèle au brasier qui l’a ranimé. Elle sera d’ailleurs folle de joie quand Lucy lui annonce qu’elle aime L’Ecume des jours de Boris Vian, elle, qui l’a lu à son âge et pour qui l’ouvrage évoquera toujours "la passion". 

Le film s’ouvrait sur le rideau d’une devanture de magasin, rouge bien sûr, annonçant le spectacle à venir de Mathieu en professionnel de Kung-fu, imitant le fameux jeu d’arcade. Il se clôt sur un autre numéro, celui qu’il donne à ses copains, la clope au bec, raillant le physique de Mary-Jane et annihilant par là leur "relation". Lui aussi, approche désormais la quarantaine et connaîtra bientôt les affres de la mélancolie. 

Kung-fu Master d’Agnès Varda avec Jane Birkin, Mathieu Demy et Charlotte Gainsbourg (FR, 1h20, 1988). Disponible sur Mubi.

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