Séparatisme: comment Macron renégocie son virage régalien

POLITIQUE - Il y a plusieurs façons de négocier un virage. On peut utiliser la manière douce, consistant à ralentir pour ménager la trajectoire sans trop de remous. Ou alors agir plus brusquement, en braquant d’un coup de sec, au risque de...

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Des manifestants brandissent des pancartes à l'effigie d'Emmanuel Macron, du ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin et du préfet de Police de Paris Didier Lallement place de la République à Paris, le 28 novembre 2020 lors d'une manifestation contre la loi Sécurité globale. (Photo JOEL SAGET / AFP)

POLITIQUE - Il y a plusieurs façons de négocier un virage. On peut utiliser la manière douce, consistant à ralentir pour ménager la trajectoire sans trop de remous. Ou alors agir plus brusquement, en braquant d’un coup de sec, au risque de s’exposer à la sortie de route. Le “virage régalien” entamé à l’été par l’exécutif emprunte plutôt la deuxième méthode. En nommant Gérald Darmanin à l’Intérieur au cœur de l’été, dans un contexte rendu encore plus compliqué par la plainte pour viol dont il fait l’objet, Emmanuel Macron n’y est pas allé par quatre chemins pour serrer encore à droite dans la dernière partie de son quinquennat. 

Une nomination qui agit comme un coup double de la part d’Emmanuel Macron: réparer le lien entre Beauvau et les policiers qui s’estimaient “lâchés” par Christophe Castaner, mais aussi répondre aux procès en “laxisme” instruits par la droite. Pour acter le changement d’ambiance, l’ex-maire de Tourcoing a multiplié les déplacements, utilisant le moindre fait-divers ou la première cérémonie venue pour occuper le terrain. Au rythme harassant d’au moins un déplacement par jour.

Fidèle au style de son mentor Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin jouait en parallèle la transgression dans les médias. En assumant fin juillet dans Le Figaro le terme “ensauvagement” prisé par Marine Le Pen, le ministre promu mettait le feu à une majorité déjà circonspecte sur sa nomination jugée “problématique”. Des critiques prévisibles que l’exécutif ne pouvait ignorer, au regard des divisions déjà étalées au moment de la loi Asile et immigration en avril 2018, révélant le caractère sensible des questions régaliennes au sein du groupe macroniste. 

Crise politique

Un schéma qui s’est répété à la fin de l’année 2020, marquée par les débats enflammés autour de la loi Sécurité globale, et de son très controversé article 24 introduit par Gérald Darmanin. Répondant à une demande des syndicats policiers relative à la diffusion d’images des forces de l’ordre en intervention, la disposition du ministre de l’Intérieur a provoqué une véritable crise politique au sein de la macronie. Au point que le Premier ministre a été accusé par sa propre majorité de dévoyer le travail parlementaire. Alors que le texte est actuellement à l’étude au Sénat, le ministre de l’Intérieur reconnaissait le 12 janvier en audition à la Chambre haute que l’article avait été “mal écrit”.  

En parallèle de ces querelles, l’actualité offrait son lot d’images ajoutant du sel sur la plaie des tensions. À titre d’exemple, l’évacuation (très) musclée de migrants place de la République fin novembre n’a vraiment pas aidé les députés LREM à défendre un article accusé de restreindre la diffusion d’images de forces de l’ordre en pareille situation. Un mois auparavant, c’était l’assassinat de Samuel Paty qui venait rappeler à quel point deux visions opposées de la laïcité s’affrontaient au sein du parti présidentiel, jusqu’à installer une ambiance de “chasse aux sorcières” de la part d’une partie du gouvernement à l’égard des deux responsables de l’Observatoire de la laïcité: Jean-Louis Bianco et Nicolas Cadène, jugés par leurs détracteurs trop complaisants avec l’islamisme. 

Autant de signaux qui laissaient à penser que l’arrivée de la loi “confortant les principes républicains” à l’Assemblée nationale promettait de reproduire les mêmes antagonismes, nourris par un “en même temps” déséquilibré sur sa droite et une inclination croissante à la surenchère. Or, en ce début d’année 2021, certains veulent croire que l’exécutif a su redresser la barre pour éviter les dérapages et les accidents inutiles. 

Le voile occupe la dizaine de députés laïcardsUn proche du chef de l'État

Pour preuve, la façon dont l’amendement d’Aurore Bergé et de Jean-Baptiste Moreau sur l’interdiction du port du voile pour les petites filles a été tué dans l’œuf. “On a su anticiper les choses pour éviter les pollutions du texte”, explique le député LREM de la Vienne Sacha Houlié, en référence au coup de pression fait par Matignon auprès de Jean-Michel Blanquer pour qu’il “débranche” les députés partisans d’une laïcité intransigeante qui voudraient soutenir cette initiative.

Au sein du gouvernement en effet, on craignait moins une instrumentalisation venant de Beauvau que du ministère de l’Éducation nationale. “Même si on a dû rattraper certains dérapages de Darmanin, on n’avait pas d’inquiétude sur le fait qu’il déborde sur ce texte. Contrairement à Blanquer, dont les propos sur la ‘tenue républicaine’ et les accompagnatrices scolaires sont ambigus”, souffle un conseiller ministériel.

“Fan-club de Blanquer”

Sur ce dernier point, la majorité a également accordé une fin de non-recevoir à l’amendement du député LREM du Cher François Cormier-Bouligeon visant à étendre la neutralité aux collaborateurs occasionnels du service public. Ou dit autrement: à remettre sur la table l’interdiction du port du voile pour les mères accompagnatrices en voyage scolaire. ”Le voile occupe la dizaine de députés laïcards qui sont sur une ligne ‘franc-mac’ (franc-maçonne, NDLR), mais ça s’arrête là”, ironise un proche du chef de l’État, savourant la marginalisation du “fan-club de Blanquer” dans la majorité. 

Au sein de l’aile gauche du groupe macroniste, on reconnaît que le projet de loi “séparatismes” présenté par le gouvernement est moins sensible que ce qui avait été anticipé. “Il y a eu des inquiétudes dans le groupe en amont de la présentation du texte, on ne savait pas où le curseur se situerait. Finalement, au regard de sa rédaction, je constate qu’on est moins inquiets à ce stade”, admet Éric Bothorel, député LREM des Côtes-d’Armor, décrivant le projet de loi comme un texte “ambitieux” ayant su écarter les sujets “démagos”. Seule réserve émise par l’élu breton: l’absence d’un volet portant sur le “suprémacisme blanc, qui est aussi une menace pour la République”.

On a su tirer les leçons de la loi Sécurité globaleSacha Houlié, député LREM de la Vienne

“Sur le fond du texte, le PS et LR ne trouvent pas vraiment d’angles pour nous attaquer. Sauf sur l’intention: ‘vous vous trompez de cible’ pour la gauche et ‘vous n’y allez pas assez fort’ pour la droite. Mais ils n’ont rien d’autre à dire, ce qui montre qu’on a trouvé l’équilibre”, veut croire le patron du groupe LREM, Christophe Castaner.

Rapporteur de la loi séparatisme, Sacha Houlié vante également un texte moins explosif que ce qui avait été redouté ainsi qu’une manière plus apaisée d’aborder les questions régaliennes. “On a su tirer les leçons de la loi Sécurité globale”, avance l’élu de la Vienne, estimant que l’exécutif a été sensible aux alertes émises par plusieurs députés du groupe ces derniers mois. “Entre le moment tout feu tout flamme de cet été, et celui où Darmanin liste en Commission les ‘7 péchés capitaux de la police’, je me dis qu’intellectuellement on a marqué des points”, se félicite celui qui était monté créneau contre l’article 24 de la loi sécurité globale. 

Jambe gauche et ”égalité des chances”

Comme pour donner corps à la renégociation de ce virage, l’entourage de Jean Castex insiste sur la notion d’égalité des chances que le Premier ministre souhaite insuffler en parallèle de l’examen du texte. Une sorte de “jambe gauche” du projet de loi séparatisme que le Premier ministre a investi vendredi 29 janvier en se rendant à Grigny dans l’Essonne. Sur place, il a annoncé “un effort sans précédent” pour les banlieues: une enveloppe supplémentaire de deux milliards d’euros pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), portant ainsi son budget à 12 milliards.

Ce qui, en plus du milliard annoncé dans le cadre du plan de relance, porte l’effort à 3,3 milliards d’euros pour les seuls quartiers populaires. Une rallonge conçue comme le premier chapitre d’une série d’initiatives visant à réduire les inégalités. “Le Premier ministre a entendu les appels dans la majorité nous disant ‘il nous manque des éléments dans notre panier’, sur le volet social et l’égalité des chances”, soulignait-on à Matignon en janvier. 

Il faut dire qu’au sein du gouvernement, plusieurs poussent en faveur de ce rééquilibrage, à l’image de Jean-Yves Le Drian qui, dès le mois de décembre, jugeait “indispensable que des efforts soient faits en faveur de l’égalité des chances”. Même chose pour Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du Logement, qui considérait début décembre dans Le Parisien qu’il manquait “une brique justice sociale” dans le projet séparatisme. 

Pour l’heure, il est exclu que ces initiatives trouvent une traduction dans la loi, que ce soit par le biais du texte “renforçant les principes républicains” ou via un nouveau projet de loi. La tendance est davantage à la production de décrets et de circulaires, ainsi qu’à “la mise en valeur de tout ce qui a été fait sur ce thème”. Ce qui, au regard de la primauté de la crise du coronavirus sur l’agenda politique et de la façon dont les efforts conséquents annoncés par Jean Castex à Grigny ont été éclipsés par ses annonces sanitaires, paraît bien difficile. 

Surtout s’il s’agit de compter sur ce plan -dont le lancement pourrait déjà, selon Le Parisien du 2 février être reporté- pour rééquilibrer une trajectoire qui pencherait trop à droite. Car si l’égalité des chances a droit aux préoccupations de l’exécutif, la question régalienne retrouve un espace bien plus important, avec l’ouverture ce lundi 1er février du “Beauvau de la sécurité”, dans un contexte où le gouvernement n’en a pas fini avec les manifestations contre la loi Sécurité globale, offrant chaque samedi son lot d’images violentes et festives.

Alors que le chef de l’État avait admis chez Brut l’existence de “violences policières”, Jean Castex a tenu ce lundi à corriger le tir devant les policiers, échaudés par cette déclaration présidentielle. Une façon de souligner que, malgré un léger coup de freinage apporté à une trajectoire trop brusque, le cap régalien prime toujours, malgré tout, sur le reste. 

À voir également sur Le HuffPost: Macron et Castex n’ont pas la même approche sur les causes du “séparatisme”