Shygirl, l’audace et l’expérimentation jusqu’au bout des ongles

Cela fait un certain temps maintenant que les années 1990 sont de retour. On cause de rave, de trance, de dub, de Matrix. Récemment, la rétromania a atteint le début des années 2000 avec la fameuse mode Y2K (an 2000) à base de lunettes teintées,...

Shygirl, l’audace et l’expérimentation jusqu’au bout des ongles

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Cela fait un certain temps maintenant que les années 1990 sont de retour. On cause de rave, de trance, de dub, de Matrix. Récemment, la rétromania a atteint le début des années 2000 avec la fameuse mode Y2K (an 2000) à base de lunettes teintées, crop-top, gloss et r’n’b sucré. La Londonienne Shygirl participe certainement de cette double renaissance, tout comme elle y puise son inspiration.

Et pourtant, ne voir chez elle qu’un effet de mode, un pâle reflet du monde contemporain dans lequel nous gravitons avec difficulté, bousculé·es par l’explosion des repères dans la grande horizontalité d’internet, serait une erreur. Shygirl dit autant quelque chose de sa génération (elle est née en 1993), qui semble chercher dans le fantasme des années 1990-début 2000 les principaux traits de son identité esthétique et musicale, qu’elle propose une musique bien à elle.

Il y a un peu d’hyperpop chez elle,  particulièrement dans son 1er album, Nymph, attendu fin septembre. Cette pop électronique maximaliste et hypertrophiée où les voix sont surtrafiquées, tordues pour singer la robotisation en marche, où la culture dite populaire embrasse les expérimentations dites underground, où le curseur de l’irritation est poussé au maximum.

Depuis une dizaine d’années, l’hyperpop est creusée par le label PC Music et son fondateur A.G. Cook, feue Sophie, Arca, 100 Gecs, Danny L Harle et bien d’autres, qui toutes et tous empilent des couches et des couches de pistes afin de réaliser d’immenses millefeuilles sonores pour mieux dire la volonté de s’autodéterminer voire de se transcender. Mais ce n’est qu’une influence, incomplète, puisque les productions de Shygirl conservent un minimalisme terrien, une présence charnelle, sa voix à elle ne s’aventurant pas dans les lacérations et distorsions métalliques.

Peut-être est-ce un certain érotisme humide qui lie tous ses morceaux depuis ses débuts en 2016

Au contraire, Shygirl l’enroule en caresses r’n’b affirmées sur des mélodies pop électroniques qui naviguent entre la trance, la jungle, le UK garage, voire plongent dans la plus pure déconstruction lorsque la productrice Arca est aux manettes, mais nous y reviendrons. Le résultat est d’une moiteur bravache. Et peut-être est-ce un certain érotisme humide qui lie tous ses morceaux depuis ses débuts en 2016. Shygirl aime causer de sexe (nous l’avions d’ailleurs interrogée sur la question dans notre numéro sexe 2021).

La 1ère claque (mentale et charnelle) que nous nous sommes prise avec elle s’appelait Uckers, morceau sombre et vrillé reposant sur une boucle du cri poussé par Marion Crane dans Psychose, léché par un groove dancehall. Shygirl y déposait alors sa voix en spoken word, aussi envoûtante qu’inquiétante : “I don’t give a fuck about you but I really keep on fucking/Till I fuck all of you/No kissing, no hugging” (“Je n’en ai rien à foutre de vous mais je vais continuer à vous niquer jusqu’à ce que je vous ai tous niqués/pas de baiser, pas de câlin”).

“J’aime repousser mes limites jusqu’à me mettre dans une situation inconfortable”

Aînée d’une fratrie de trois enfants, Shygirl grandit dans le sud de Londres, bercée par les CD de ses jeunes parents férus de soirées et de musiques – Aphex Twin, Björk, Destiny’s Child, Mary J. Blige. Son père lui passe une VHS compilant certains clips de Chris Cunningham, dont Frozen de Madonna et All Is Full of Love de Björk, qu’elle regarde en boucle. En parallèle, l’adolescente se gave de jungle et de trance piochées sur Internet. Ça m’a projetée dans le cyberespace et emmenée loin de la grisaille londonienne qui m’entourait”, nous racontait-elle lors de notre 1er entretien en 2020.

© Jacqueline Landvik

Très tôt, Shygirl comprend qu’il s’agit moins, dans la vie, de plaire à tout le monde que de se trouver soi-même et d’asseoir sa personnalité. “J’ai accepté assez jeune de ne pas être normale. […] J’aime repousser mes limites jusqu’à me mettre dans une situation inconfortable. J’aime me lancer des défis : pourquoi est-ce que je me sens mal à l’aise à ce moment précis ? Est-ce parce que j’ai peur du regard des autres ?” Elle se trouve une famille de cœur et d’esprit dans les soirées PDA, où gravitent des “creative people” lié·es au milieu de la mode, comprend qu’elle est moins intéressée par la fête en tant que telle que par une certaine façon de la faire, tournée vers la musique et la notion de safe space.

Mannequin, Shygirl arrondit les fins de mois en mixant. “Un jour, je tombe sur un mix d’un certain Sega Bodega qui me met en transe. Il jouait le lendemain, donc je suis allée le trouver et depuis nous sommes les meilleurs amis du monde.” Avec la DJ et productrice Coucou Chloé, ils montent leur label, Nuxxe, pensé comme un collectif, qui accueille notamment Oklou comme les 1ers morceaux de Shygirl, produits par Sega Bodega. Une fois encore, l’audace et la modernité déferlent d’Angleterre.

Références musicales déterminantes

Huit ans après leur 1er morceau, le perturbant et efficace Want More, Shygirl et Sega Bodega travaillent toujours ensemble. Mais la jeune artiste a ouvert les portes de son univers à d’autres, dans un souci de bousculade, de curiosité, d’expérimentation. Ainsi de la productrice vénézuélienne Arca qui, plus qu’aucun·e autre, dit parfaitement le son de l’époque : exploration, saturation, membranes déstructurées, crissements de dents, freinages, accélérations, ruades, comme si le morceau pop de facture classique ne suffisait plus à dire les évolutions de notre temps. Arca donc, avec qui elle enregistra l’autotuné Unconditional en 2020 et que l’on retrouve à la production du fracturé Come for Me sur Nymph.

Elle y invite également Mura Masa, Danny L Harle, Karma Kid, Cosha, Noah Goldstein, BloodPop, Vegyn, Kingdom. Si Shygirl écoute énormément de musique, elle ne met pas la main à la composition et ne s’en cache pas. À elle de communiquer le paysage sonore, l’ambiance sur laquelle elle souhaiterait poser sa voix. Les références sont déterminantes dans son approche musicale, et pourtant ne bouffent pas tout, laissant la création éclore et s’épanouir, loin du pastiche.

Sur la terrasse de l’hôtel parisien où nous la retrouvons en pleine canicule estivale, elle nous explique écrire les textes de ses morceaux à partir de phrases ou de mots chopés ici et là, puis soigneusement conservés dans la section “notes” de son smartphone. Elle le dégaine, pour nous montrer. La dernière note porte le titre sublime du 1er roman du poète Ocean Vuong, Un bref instant de splendeur (dont nous vous recommandons, au passage, la lecture). À partir de ces bribes, elle freestyle, rédige, rature, recommence à blanc ou sur des beats que lui propose son entourage artistique. Tout, ou presque, tient à cette confiance solaire et frondeuse qu’elle cultive soigneusement, prenant garde à ne pas s’épuiser, s’essorer, se perdre dans le regard des autres.

“Je ne veux pas faire de concessions. Ce qui m’intéresse, c’est toujours d’expérimenter”

Une confiance bien éloignée de tout nombrilisme. Plutôt le sentiment profond et insouciant que le geste artistique ne tient pas de la posture mais de l’expression de sa propre personnalité, détachée des attentes, militante mais accueillant la légèreté. Si ses clips malaxent son image à bloc, la Shygirl qui nous explique son histoire joue plus d’un rire communicatif dévoilant un bijou accroché à ses dents de devant. “Je ne veux pas faire de concessions. Ce qui m’intéresse, c’est toujours d’expérimenter”, nous assure celle qui a enregistré des featurings avec Slowthai et FKA Twigs.

Dans cette double quête d’allégresse et de secousses, de pop et de radicalité se niche le secret de la beauté de sa musique, qui, au fil des ans, ne perd rien de son audace, extatique et mélancolique. “I need somebody who’s gonna remind me”, chante-t-elle sur Missin U. Elle l’a déjà trouvée.

Nymph (Because). Sortie le 30 septembre. Concert le 10 décembre à Paris (Trianon).