Boycott à Berlin d’artistes soutenant la Palestine : Carlo Chatrian, le directeur de la Berlinale, réagit

La polémique a débuté le 4 janvier, lorsque le sénateur chargé de la Culture pour la ville de Berlin, Joe Chialo, membre de la CDU (centre droit), a décrété une clause “antidiscriminatoire” que devaient signer tous les bénéficiaires de fonds...

Boycott à Berlin d’artistes soutenant la Palestine : Carlo Chatrian, le directeur de la Berlinale, réagit

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La polémique a débuté le 4 janvier, lorsque le sénateur chargé de la Culture pour la ville de Berlin, Joe Chialo, membre de la CDU (centre droit), a décrété une clause “antidiscriminatoire” que devaient signer tous les bénéficiaires de fonds publics de la ville. Celle-ci engageait, entre autres, les signataires à ne tenir aucun propos antisémite. 

La définition de l’antisémitisme de ce texte juridique était basée sur celle de l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA) : “L’appel au meurtre des Juifs, la diabolisation de l’État d’Israël, la comparaison de la politique israélienne avec les actions des nazis et le déni du droit du peuple juif à l’autodétermination.”

Mais de nombreux·ses acteur·rices du monde de la culture se sont inquiété·es que cette clause serve de base légale à une forme de censure d’État envers toute critique visant Israël, le gouvernement Netanyahou et le conflit avec la Palestine. Depuis son instauration, plusieurs artistes soutenant la Palestine avaient été déprogrammé·es dans la capitale allemande, notamment le DJ Arabian Panther qui devait jouer au Berghain le 12 janvier.

Un millier d’artistes signataires

La création de cette clause fait suite à une polémique entourant la fermeture du centre culturel de gauche Oyoun en décembre dernier : après avoir accueilli un événement organisé par Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East, une association juive antisioniste, celui-ci avait vu ses fonds publics être coupés.

Lancée le 8 janvier, la pétition du mouvement Strike Germany dénonçait la portée de cette nouvelle clause, demandant son retrait et documentant les nombreux cas de censure étatique produits contre des artistes défendant la Palestine depuis le 7 octobre. Elle appelait plus largement à la suppression de la loi anti-BDS (pour “boycott, désinvestissement et sanctions”) – interdisant les appels au boycott d’Israël en les qualifiant d’antisémites, et en vigueur en Allemagne depuis 2019 – et au remplacement de la définition de l’antisémitisme de l’IHRA par celle de la Jerusalem Declaration on Antisemitism (JDA), qui fait une distinction entre antisémitisme, antisionisme et soutien à la cause palestinienne.

Cette pétition a obtenu la signature de plus de 1 000 artistes, notamment les autrices Annie Ernaux et Judith Butler, et appelle à boycotter les institutions culturelles de la capitale, et donc également la Berlinale qui doit se tenir à partir du 15 février prochain. 

Des tensions malgré la suspension de la clause

Si la fameuse clause a été suspendue le 22 janvier, officiellement pour des raisons de légalité, la société allemande et, plus particulièrement, le secteur culturel semblent plus que jamais polarisés autour de cette question. Malgré cette suspension (il ne s’agit donc pas d’un retrait, comme a eu soin de le préciser Joe Chialo), les boycotts se multiplient. Une vingtaine d’artistes invité·es dans le cadre du CTM Festival, qui se déroule à partir d’aujourd’hui dans plusieurs lieux de Berlin – dont le Berghain –, ont annulé leur venue, en soutien à Strike Germany. 

En ce qui concerne la Berlinale, deux artistes ont fait de même. Le Ghanéen Ayo Tsalithaba et l’Indo-Américain Suneil Sanzgiri ont chacun publié un communiqué sur Instagram, annonçant qu’ils retiraient leur œuvre de la section Forum Expanded, où elles étaient programmées. Contactées par message, les équipes des films français invités n’ont, elles, pas souhaité réagir pour le moment. 

“La Berlinale demeure un endroit de discussion et d’ouverture”

Joint par téléphone ce matin, le directeur artistique de la Berlinale, Carlo Chatrian, nous en dit plus sur la position du festival : “Je ne veux pas jouer les pompiers, mais il faut tout d’abord préciser une chose. Cette clause ne concernait pas le Festival de Berlin, puisque nous ne sommes pas soutenus par la ville mais par le gouvernement fédéral allemand directement. Elle a été suspendue parce qu’elle serait contraire à la Constitution allemande, mais il est possible qu’elle soit à nouveau appliquée une fois ce rempart constitutionnel surmonté. Cette clause s’inscrit dans un contexte de polarisation très forte en Allemagne, avec notamment l’annulation du prix qui revenait à l’auteure palestinienne Adania Shibli à la Foire du livre de Francfort en octobre.”

Chatrian affirme respecter la décision des cinéastes qui refuseraient de venir à la Berlinale dans ce contexte, mais estime que celle-ci “demeure un endroit de discussion et d’ouverture” : “On peut dialoguer à travers les films. Nous avons pas mal de films issus du monde arabe. Je suis directement en contact avec eux sur ces questions. Pour l’instant, il ne me semble pas qu’un mouvement de boycott du festival se dessine. Nous sommes une institution indépendante, aucune de mes décisions n’est influencée par les directives du gouvernement, et la parole des artistes sera libre durant le festival. Je n’ai jamais subi de pression gouvernementale, que ce soit à propos du nombre ou du choix des films. Par exemple, le film d’Amos Gitaï est un film israélien, mais avec des acteurs israéliens et palestiniens. Je pense aussi à No Other Land, sélectionné au Panorama, un documentaire signé par un collectif de cinéastes palestiniens et israéliens.

“La liberté de choix artistique n’est pas secondaire dans un festival”

Nous avons également interrogé le directeur artistique du festival sur son départ après cette édition. Espérant le renouvellement de son mandat de cinq ans, Carlo Chatrian sera finalement remplacé par l’Américaine Tricia Tuttle. Ancienne directrice du Festival du film de Londres, elle dessine un profil davantage consensuel. Une lettre ouverte adressée à Claudia Roth, ministre de la Culture, et signée par plus de 300 personnalités du monde du cinéma, dont Martin Scorsese, Olivier Assayas, Joana Hogg, Claire Denis ou encore Ryusuke Hamaguchi, appelait en vain à sa reconduite. 

À la fin de la précédente édition, nous avions trouvé un accord avec la ministre pour continuer de travailler ensemble lors d’un nouveau mandat. Après le départ à la retraite de mon binôme, Mariette Rissenbeek, j’avais bien compris que l’intention était de revenir à une direction unique. Ça ne me posait pas de problème de travailler sous la direction d’une personne qui représenterait le festival, mais je ne voulais pas que cette personne ait son mot à dire sur le choix des films. Cela me semblait clair, et pourtant, il a dû y avoir un malentendu entre nous, puisque, lorsque les choses sont devenues concrètes à la fin de l’été, cette place de directeur artistique ne m’était plus garantie. J’étais devant le fait accompli et je n’avais pas d’autre choix que de partir. Cette lettre de soutien m’a bouleversé. Je l’ai pris comme un soutien à ma personne, mais aussi plus largement au rôle aujourd’hui menacé de directeur artistique de festival. La liberté de choix artistique n’est pas secondaire dans un festival. Mais je garde de bonnes relations avec la ministre, et je suis très fier du travail accompli avec Mariette depuis le début de notre mandat.”