Covid: sans le Brexit, la polémique AstraZeneca aurait-elle eu lieu?

CORONAVIRUS - On ne badine pas avec les vaccins. Alors qu’il vient à peine d’être approuvé par le régulateur européen, le vaccin AstraZeneca contre le Covid-19 suscite depuis plusieurs jours l’agacement de Bruxelles. En cause, les retards de...

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Le Premier ministre britannique Boris Johnson tenant une dose du vaccin holds Oxford/AstraZeneca, le 30 novembre 2020 (Paul Ellis/PA via AP)

CORONAVIRUS - On ne badine pas avec les vaccins. Alors qu’il vient à peine d’être approuvé par le régulateur européen, le vaccin AstraZeneca contre le Covid-19 suscite depuis plusieurs jours l’agacement de Bruxelles. En cause, les retards de livraisons annoncés par le laboratoire suédo-britannique à cause d’une “baisse de rendement” dans une usine en Belgique. Au final il ne pourra livrer qu’“un quart” des doses initialement promises à l’UE au premier trimestre.

L’affaire aurait pu en rester là. Après tout, l’ensemble des laboratoires qui produisent des vaccins contre le coronavirus accusent des retards de livraisons,  mais Bruxelles fulmine depuis que le PDG d’AstraZeneca, Pascal Soriot, a expliqué qu’il ne pourrait pas rattraper ce retard en Belgique en utilisant son site de production au Royaume-Uni. Selon lui, le contrat signé entre AstraZeneca et Londres en juin 2020 stipule que la production “issue de la chaîne d’approvisionnement britannique irait d’abord au Royaume-Uni”. 

Dans cette situation, nombre d’observateurs sont tentés de dire que le Brexit met de l’huile sur le feu de la pénurie de vaccins. La réalité n’est pas si simple. 

Cavalier seul face au Covid depuis le début

Pour le comprendre, il faut se replonger au début de la crise du Covid. Alors que le Vieux continent écume les fonds de tiroir pour trouver des masques à ses soignants, l’Union européenne annonce qu’elle va lancer des achats groupés d’équipements de protection et de respirateurs. Déjà, le Royaume-Uni tergiverse. Ce n’est finalement que sous le feu des critiques que Boris Johnson plaidera un problème de communication et rejoindra le programme.

Au début de l’été, tout s’accélère. Mi-juin, la Commission européenne présente sa stratégie vaccinale. Mandatée par les 27, elle vante notamment des achats groupés moins chers et rapides. “Les sociétés qui trouveront le vaccin avec le soutien de l’UE offriront un accès garanti aux États membres pour leur procurer des centaines de millions de doses”, assure Bruxelles. Il est en revanche d’ores et déjà précisé que le Royaume-Uni, alors en pleines négociations sur les termes de son divorce, ne pourra intégrer le programme.

Mais Londres n’a pas attendu et soutient financièrement depuis déjà plusieurs mois les recherches menées par les laboratoires britanniques et Oxford. Les investissements s’élèvent à plusieurs centaines de millions de livres sterling. En juin, le ministère de la Santé britannique, Matt Hancock, assure même que, de toute façon, le Royaume-Uni est “en avance” sur l’UE en termes de négociations avec des producteurs de vaccins. Il faut dire que, dès la mi-mai, AstraZeneca s’engageait à fournir au moins 100 millions de doses au Royaume-Uni sur l’année. Un accord sera signé en juin. Côté européen, il faut attendre le 14 août pour que la Commission européenne annonce avoir signé un accord de préachat pour 300 millions de doses, auquel elle a également ajouté 336 millions d’euros pour accroître les capacités de production du laboratoire.

“Les Britanniques, se sachant en dehors de l’Union européenne, ont estimé qu’il fallait rapidement commander le vaccin AstraZeneca pour ne pas être dépassé ou englouti par la commande européenne. D’autant qu’avec le Brexit et la situation sanitaire, il y avait un vrai risque que leurs frontières se retrouvent fermées”, estime auprès du HuffPost une source gouvernementale française proche de Bercy et qui connaît bien le dossier vaccins.

C’est d’ailleurs aussi en ce sens que le régulateur britannique a autorisé beaucoup plus tôt que l’Union le vaccin AstraZeneca. À cet égard, si le gouvernement de Boris Johnson a assuré que c’était grâce au Brexit qu’il avait pu aller plus vite, il s’est en réalité appuyé sur un règlement européen qui permet aux États membres d’utiliser en urgence un traitement pas encore approuvé par les instances européennes...  

Solo même sans Brexit?

Mais si le Brexit n’avait pas été imminent, le Royaume-Uni aurait eu tout même beaucoup de mal à ne pas se soumettre au mandat de la Commission européenne. “La décision du Conseil européen qui a chargé la Commission a été prise à l’unanimité. Londres aurait pu s’y opposer mais ça me paraît très improbable parce que l’idée de l’époque c’était quand même de créer une force de frappe. Cela aurait été un pari très risqué de la jouer solo alors que tout le monde était perdu à ce moment-là”, estime Jean-Paul Tran-Thiet, ancien administrateur de l’Institut Montaigne et ancien haut fonctionnaire français et européen, contacté par Le HuffPost

Le texte européen qui régit le mandat de négociations de la Commission européenne interdit les négociations parallèles des États membres et l’encadre dans certains cas de figure. 

Les articles 4  et 7 précisent que dans le cas de figure où l’accord de préachat conclu entre la Commission et un laboratoire ne convient pas à un État membre signataire, il dispose de 5 jours pour le faire savoir et donc se retirer. Ce n’est qu’une fois que cette démarche est faite qu’il peut alors légalement négocier directement avec le laboratoire en question, sans passer par l’UE. Les États membres ont également l’autorisation de négocier des doses de vaccins qui ne font pas l’objet d’un contrat avec l’Union européenne.

Le Brexit amplifie la crise

Si le Brexit n’est donc pas à l’origine de la crise ouverte entre AstraZeneca et l’UE, il joue cependant comme un amplificateur. “Concrètement, s’il y avait eu une commande groupée, le Royaume-Uni n’aurait pu obtenir qu’une partie des lots soit uniquement pour ses ressortissants et la mutualisation aurait été complète”, détaille Jean-Paul Tran-Thiet. Le Brexit empêche aussi en partie l’Union européenne de se retourner rapidement vers le Royaume-Uni, ajoute-t-il. 

Mais attention tout de même, pointe auprès du Huffpost notre source proche de Bercy. Car dans ce contexte, “le Brexit est surtout un argument politique, alors que l’UE tente d’instaurer un rapport de force avec le Royaume-Uni et les labos. C’est une façon de taper du poing sur la table aussi face aux retards de Pfizer”. “Ce qui compte vraiment c’est la nature des contrats qui ont été signés”, ajoute-t-elle.

Et en matière de contrat justement, AstraZeneca et la Commission européenne ne cessent de se renvoyer la balle, au point que cette dernière a publié ce vendredi après-midi des pages biffées du contrat. Aurélien Antoine, professeur de droit public à l’université Jean Monnet de Saint-Étienne, et directeur de l’observatoire du Brexit questionne: “Est-ce que l’Europe est allée trop vite et n’a pas été assez précise par rapport à ce qu’a négocié le Royaume-Uni? Soit le contrat est bien ficelé et une action juridique est possible, soit il a été fait à la hâte et l’embargo sanitaire restera la seule solution. Tout cela pose en tout cas la question de la latitude qu’on a laissée au secteur privé et de la confiance qu’on lui accorde”.

L’UE dévoile contrat avec AstraZeneca

Si jusqu’à maintenant, la situation semblait surtout donner à Boris Johnson des arguments en faveur du Brexit, la lecture du contrat diffusé par la Commission laisse plutôt entrevoir que l’UE a pris ses précautions... Dans le point 13, il est notamment stipulé que le laboratoire ne fait l’objet d’aucun autre accord qui entraverait le respect de ses obligations. Dans le point 5.4, il est également stipulé “qu’“AstraZeneca fera de son mieux pour produire le vaccin dans des sites de fabrications à l’intérieur de l’UE (qui pour ce point 5.4 uniquement, inclut le Royaume-Uni)”. 

Deux leviers de poids pour Ursula Von der Leyen, qui s’ajouteront aux possibles interprétations données à la notion de “meilleurs efforts raisonnables”, ou “best efforts” en anglais. Ce terme revient régulièrement dans le contrat. Ainsi le laboratoire s’engage à fournir les doses promises à l’Europe en mettant en place “les meilleurs efforts raisonnables” possibles. “Quand on écrit cela dans un contrat, ce n’est pas je fais ce que je peux, mais plutôt ‘je vais mettre en œuvre tous les efforts possibles’ pour remplir ce qui a été contractuellement signé. Le premier recours juridique peut se porter sur ce non-respect d’un engagement contractuel. AstraZeneca a le choix de faire un effort ou de se retrouver à devoir payer très cher son jeu d’équilibriste si la Commission européenne obtient gain de cause”, détaille Jean-Paul Tran-Thiet.

En attendant, ce vendredi Bruxelles a validé un mécanisme permettant de contrôler les exportations hors de l’UE des vaccins anti-Covid qui y sont produits et empêcher la sortie de doses destinées aux Européens, a annoncé le commissaire européen au Commerce Valdis Dombrovskis.

À voir également sur Le HuffPost: Doses de vaccin Pfizer: pourquoi Véran refuse d’étendre le délai entre deux injections