Dave Harrington : “Darkside est la troisième entité quand Nicolas Jaar et moi sommes ensemble”

Dans l’ombre de Nicolas Jaar, il est la moitié tout aussi mystique que son acolyte du duo Darkside. Mis en relation avec le producteur chilien qui cherchait, début 2010, “le meilleur musicien de New York” pour l’accompagner défendre son 1er...

Dave Harrington : “Darkside est la troisième entité quand Nicolas Jaar et moi sommes ensemble”

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Dans l’ombre de Nicolas Jaar, il est la moitié tout aussi mystique que son acolyte du duo Darkside. Mis en relation avec le producteur chilien qui cherchait, début 2010, “le meilleur musicien de New York” pour l’accompagner défendre son 1er album sur scène, Dave Harrington est un joueur de jazz invétéré. Depuis le hiatus en 2014 du duo qui l’a propulsé hors des scènes d’improvisation underground de Brooklyn, il est retourné vers ses 1ers amours le temps de quelques années, avant de réactiver Darkside, de retour avec un deuxième disque inespéré, paru le 23 juillet.

L’occasion de faire le point avec le discret musicien sur son rapport à l’improvisation, le jazz et le processus créatif de Spiral. Entretien.

Première question aussi lourde qu’inévitable : que s’est-il passé pour toi depuis le break annoncé de Darkside en 2014 ?

Dave Harrington – Beaucoup de choses. La tournée de Psychic, le 1er album de Darkside, a été aussi intense qu’excitante dans la mesure où l’on a donné beaucoup de concerts en un temps assez réduit. Après ça, je suis retourné m’installer à Brooklyn pour m’immerger dans les différentes scènes locales. D’abord du côté électronique, mais rapidement aussi vers les scènes jazz et de musique improvisée.

J’ai repris les concerts dans ces milieux en restant à New York [il a publié deux albums avec Dave Harrington Group, en 2016 et 2019, ndlr], ce qui m’a offert la possibilité de travailler avec de nombreux musiciens, en plus de produire des bandes-originales pour des films et d’endosser le rôle de producteur sur quelques projets. En fait, j’ai surtout passé du temps à apprendre davantage et multiplier mes expériences en improvisation.

C’était important pour toi de retrouver cet ancrage local ?

Oui, je voulais revenir à un point fixe après avoir eu l’opportunité de voyager autant. Comme j’ai grandi à New York, j’ai senti que c’était le moment idéal pour revenir et prendre le temps de connaître mieux les différentes cultures au milieu desquelles j’ai vécu. J’ai fini par rencontrer des musiciens que j’avais vu jouer en grandissant, des gens comme Brian Chase [membre des Yeah Yeah Yeahs, ndlr], Joe Russo, qui est un très grand improvisateur de jazz rock très célèbre dans le monde du jam, ou encore des musiciens de l’entourage de John Zorn.

À quel point l’improvisation est structurante dans ton travail ?

J’ai grandi en apprenant le jazz. L’improvisation est à la base de tout ce que je produis, c’était donc inévitable que ça imprègne ce qu’est Darkside. Autant dans la performance que dans la composition, c’est fondamental pour moi. C’est d’ailleurs comme ça qu’on a enregistré notre 1er morceau avec Nicolas : en jammant à deux, avec un ordinateur et une guitare, jusqu’à ce qu’on trouve notre patte.

Il y a quelque chose de volatile, de presque abstrait, dans le registre de l’improvisation. De la même façon, Darkside a un peu cette aura mystique, dont on ne sait pas quoi attendre.

[Rires] J’aime beaucoup l’esprit de cette lecture, mais ce n’est pas à moi de le formuler tel quel.

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Tu peux revenir un peu sur le break du groupe ?

Beaucoup de nos obsessions créatives à moi et Nicolas se croisent. Ça avait du sens pour nous de mettre en suspens le groupe quand on l’a fait, et quand on s’est retrouvés [dans le New Jersey, en 2018, ndlr], l’envie de refaire de la musique ensemble est revenue naturellement. Ça nous avait manqué, c’est aussi simple que ça.

Est-ce tu ressens une frustration entre la liberté qu’offre l’improvisation et les contraintes du format enregistré ?

Pas vraiment, j’aime beaucoup le format enregistré… Les deux peuvent même se compléter : c’est une chance de pouvoir capturer la magie de l’improvisation. Il y a une question de présence dans les deux, l’enjeu est de vivre le moment en étant réactif à ce qu’il se passe. J’ai lu cette année une biographie de Derek Bailey, un Anglais expérimentateur de la guitare, qui parlait d’“improvisation non-idiomatique”. Toute sa recherche s’axait autour de l’émancipation des styles, du ton, du tempo, de toute structure musicale. Son idée est de se baser sur le moment, et donc sur la présence, pour atteindre une forme de pureté créatrice. Et c’est ce que je pense rechercher à travers l’improvisation et la performance, mais c’est aussi ce que je mobilise en enregistrant. Les deux ne sont pas opposés à mes yeux.

C’est un cadre valable pour Darkside aussi ?

Je ne sais pas si on a tant que ça en commun avec Derek Bailey [rires]. Disons plutôt que quand Nico et moi faisons de la musique, on ne pense pas à ce à quoi ça va ressembler, ce n’est pas ça qui nous dirige. Darkside est la troisième entité dans la pièce quand on est ensemble. On est immergés dans la création, mais il ne faut pas confondre liberté et coïncidence, tout ce qu’on fait est intentionnel. On peut voir cette idée de présence dont je parlais, détachée des structures, comme une forme d’intention. L’idée est de comprendre que tout peut arriver, et qu’on doit diriger cette liberté par notre ressenti. C’est comme ça qu’on fonctionne : ce n’est pas parce que n’importe qu’elle note peut être jouée qu’elle doit être jouée.

Concrètement, comment tout ça prend forme pendant l’enregistrement ?

On ne peut pas limiter l’album à une série de jams transcrite en morceaux. Il y a de l’improvisation, mais Spiral a demandé beaucoup de compositions : l’écriture n’est pas un accident qu’on cherche à éviter non plus. Les sessions d’enregistrement étaient comme un compromis entre les deux. On a terminé le disque fin 2019, on s’est vus avec Nicolas pour la dernière fois en personne juste avant le nouvel an de cette année. Après ça, Spiral a été mixé par Rashad Becker, un ingénieur incroyable qui vit à Berlin, et masterisé par Heba Kadry, un super technicien également, basé à Brooklyn. C’est une partie de la production, pour laquelle nous étions aussi investis, qui a pris plus de temps, et c’est jusqu’à ce moment-là que la direction qu’on voulait emprunter a vraiment pris forme.

C’est une trajectoire habituelle pour beaucoup de disques, mais ça ne fait pas bizarre de sortir maintenant un disque enregistré il y a trois ans ?

Pour être honnête, j’ai l’impression d’avoir encore la tête dedans. Mais c’est intéressant comme remarque, parce que je pense que la musique entretient justement une relation particulière à ce “maintenant”, qui peut correspondre au présent de la réalité sociale, comme à celui d’une présence plus symbolique, celle dont on discutait tout à l’heure. Je ne dis pas que c’est ce qu’on a réussi à faire avec Spiral, mais je pense que la musique a cette capacité de créer et recréer une forme de présence dans le temps. C’est ce que je sens quand j’écoute mes disques préférés, comme Alice de Tom Waits par exemple. Ça me transporte au moment de ma vie où je l’ai découvert, il y a quinze ans, et ça créé une relation entre cette “présence” et le “véritable” présent. Et c’est peut-être tout l’enjeu de ce qu’on fait.

Propos recueillis par Briac Julliand

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