DMX, Le bruit et la fureur

Le rap se divise en deux catégories : ceux qui ont une voix reconnaissable entre mille, et les autres. C’est simple, non ? Et c’est encore plus limpide lorsque l’on entend DMX pour la 1ère fois. Dans la tête des amateurs de rap résonnent encore...

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Le rap se divise en deux catégories : ceux qui ont une voix reconnaissable entre mille, et les autres. C’est simple, non ? Et c’est encore plus limpide lorsque l’on entend DMX pour la 1ère fois. Dans la tête des amateurs de rap résonnent encore les aboiements hallucinés d’un artiste qui a été l’incarnation d’une autre manière de faire du rap à New York, synthétique et virulente, toutes griffes dehors et en rupture totale avec une old school que l’industrie tentait de mettre peu à peu au placard.

A la fin du dernier millénaire, il fallait avancer, et DMX fut une locomotive bruyante et effrénée, défonçant la concurrence et les enceintes avec une récurrence insolente. Lorsqu’un artiste s’éteint, les chiffres ne signifient plus grand-chose. Mais tout de même : les cinq 1ers albums du rappeur ont été classés numéro Un des charts aux Etats-Unis. Ça n’est pas un gage de qualité, mais ça marque l’histoire. Et pas qu’un peu.

King Of New York

X Gon’ Give It To Ya, Ruff Ryder’s Anthem, Party Up (Up In Here), Where The Hood At ?… La quête du titre de “King Of New York”, jamais achevée, s’est faite à grands renforts de hits mondiaux. Entre 1998 et 2003, DMX était à son sommet, leader du crew Ruff Ryders (Eve, The LOX…) qui marqua cette période grâce notamment aux productions ravageuses de Swizz Beatz.

Ce dernier fut l’architecte du son du rappeur, celui qui maria sa voix inimitable à une musique martiale, des beats prêts à en découdre, tape-à-l’œil au possible. Et dans le bon sens du terme. Avec ce duo et l’équipe en soutien, le groove était redéfini dans le rap East Coast, le volume sonore terriblement accru, et l’agressivité à son paroxysme.

La bête se réveille

Il faut dire que DMX, Earl Simmons dans le civil, est arrivé dans le rap comme il est arrivé dans la vie : les deux pieds décollés. C’était le 18 décembre 1970, à l’hôpital de Mount Vernon, à quelques centaines de mètres de Yonkers, ville coincée juste au Nord de New York, réputée prospère jusque dans les années 1960, puis délaissée par les pouvoirs publics comme le Bronx voisin. Les parents sont jeunes et violents. Le père n’est que de passage, sa mère se débat avec la vie et explose les dents de son fils avec un balai alors qu’il n’a que six ans. Earl découvre vite la rue et ses vices les plus durs comme le crack. Il file dans une prison pour mineurs après avoir volé… un chien. Il n’en sort que deux ans plus tard à dix-huit ans, mais emprunte de nouveau le chemin inverse, cette fois avec les adultes, en 1988. C’est là, derrière les barreaux, que le virus de l’écriture le contamine définitivement.

Voilà donc d’où viennent cette rage et cette musique éreintante. Ses débuts sont remarqués, attirent les responsables de Ruffhouse Records et de Columbia, qui lui signent son 1er contrat en 1992 et lui permettent, en plus de son talent, de se faire une place de choix parmi les noms les plus prometteurs de la scène locale.

Son 1er single s’appelle Born Loser, et se situe dans la lignée d’un boom-bap lourd et funky, à des années lumières de la suite de sa carrière. La voix est bien plus haut perchée, mais on décèle par instant une rugosité tapie dans l’ombre, qui n’attend qu’une étincelle pour s’enflammer. Le déclic arrive deux ans plus tard avec Make A Move, son deuxième fait d’armes. La bête se révèle et gravit les échelons à grands renforts de collaborations fructueuses.

En quête de rédemption

Parallèlement à son arrivée chez Def Jam, sa signature sur le nouveau label Ruff Ryders change absolument tout. Les beatmakers attitrés de la maison de disques, P. Killer Trackz, Swizz Beatz et le mentor de ce dernier, Dame Grease, bâtissent la patte d’une écurie tournée vers un futur sonore symbolisé par son 1er album, It’s Dark And Hell Is Hot, où figure le hit Ruff Ryder’s Anthem et ses punchlines savoureuses : « Let a dog roam and he’ll find his way home« . Mais pas question de renier totalement ses origines musicales. Beaucoup d’instrus se basent sur une tradition solide, notamment celle de Crime Story, toutes congas et lenteur dehors, ou de The Convo, proche de l’esthétique du Wu-Tang Clan.

Mais sauf exception, tout crime contient sa part de rédemption. Au fil de ses albums, DMX n’aura de cesse d’exorciser ses démons et ses addictions dans des titres profondément spirituels. A chaque album, il offre un nouvel épisode de ses Prayers. Des acapellas bibliques, sorte de confessions au cœur de l’immoralité de sa musique, chargées de sa quête de rachat et du désir d’être sauvé. De ses beefs successifs avec des rappeurs tels que 2Pac, Ja Rule ou K-Solo, mais surtout de lui-même.

Car son décès met malheureusement en lumière son incapacité à se défaire définitivement des drogues dures et d’une violence ancrée au plus lointain de son être, et qui lui vaudra de très nombreux démêlés avec la justice : cruauté envers des animaux, violation de liberté conditionnelle, possession illégale d’armes à feu, fraude fiscale… La vie de DMX fut aussi rythmée par la fatalité et par ses vaines tentatives d’en réchapper.

Numéro un du rap mondial ?

De l’avis de beaucoup, ses deux 1ers albums sont ses meilleurs. Flesh Of My Flesh Blood Of My Blood, sorti en 1998 quelques mois avant son 1er effort, regorge de morceaux fabuleux tels que Keep Your Shit The Hardest, une nouvelle fois produit par Swizz Beatz, ou le classique We Don’t Give A Fuck en featuring avec son pote Jadakiss et Styles P. Il fricote avec maladresse avec des esthétiques très différentes, notamment sur The Omen, collaboration satanique avec Marylin Manson. Il invite également The LOX et surtout Jay Z sur Blackout, prouvant que le futur boss du rap new-yorkais avait une grande estime pour DMX, à condition qu’il ne lui vole pas sa couronne. Y est-il parvenu ou non ? Le débat fait rage.

Au début des années 2000, DMX est devenu une superstar, une valeur sûre, peut-être même le numéro un du rap mondial pendant quelques temps, mais va progressivement perdre de sa superbe musicale. Avant cela, il enchaîne trois albums de très bonne facture : …And There The Was X, The Great Depression et Grand Champ, hantés par ses plus gros hits, regorgeant aussi de trouvailles qui symbolisent encore mieux la carrière du rappeur. L’anarchique Dogs Out, avec ses aboiements, cette production signée Kanye West et faite d’un superbe sample du titre Dedicated To The One I Love de Stacy Lattisaw, sorti en 1979. Ou le rugueux Get It To The Floor, sur lequel les synthétiseurs sont assourdissants, totalement décomplexés. Il y en a à la pelle.

« I sold my soul to the Devil« 

On a tendance à l’oublier, mais DMX était également une bête de scène, un musicien qui faisait courir ses Timberland sur toute la largeur de la scène, capable d’électriser une foule gigantesque à lui tout seul. Dans le rap, ça n’a rien de si courant que cela. Il fut aussi un acteur confirmé avec à son actif, entre autres, plusieurs films avec Jet Li (Roméo doit mourir, En sursis…). Mais malgré les tentatives de retour au 1er plan, son instabilité et l’épuisement d’une recette sonore l’empêchent de retrouver son lustre d’antan. En 2012, il sort l’album Undisputed, très inégal, puis Redemtion Of The Beast, un gigantesque raté. Ces deux disques ont pourtant le mérite de remettre de la lumière sur ce qui, au milieu de la violence, rendait cet artiste si attachant : son besoin d’être pardonné et sa voix de bête meurtrie.

De DMX, restent forcément les hits et l’impression qu’un seul homme peut à lui seul incarner toute une ère musicale. Cette brutalité électronique l’aura placé en haut de la pyramide, lui le gamin qui traînait la nuit dans les rues de Yonkers au milieu des chiens, compagnons qu’il ne lâchera plus jamais. Lui, le rappeur décrié pour son vocabulaire limité, lui l’abonné aux rubriques faits divers d’une presse qui ne lui a jamais fait de cadeau, et à qui il donnait finalement peu d’entrevues pour un homme de sa stature. Lors de ses quelques dernières sorties médiatiques, il parlait régulièrement de la mort, comme un écho aux paroles de son titre Let Me Fly, sorti sur son 1er album It’s Dark And Hell Is Hot : « I sold my soul to the Devil / And the price was cheap ». Le Diable et venu récupérer son dû. Trop tôt.