Isha : “Je ne vais pas tout bâcler pour une histoire de deadline”

Tout était prévu : après la sortie de La vie augmente vol.3 en 2020, Isha devait enchainer avec son 1er véritable album. Il n’en est rien. Stressé par l’exercice, en pleine remise en question créative, le rappeur bruxellois a jeté le travail...

Isha : “Je ne vais pas tout bâcler pour une histoire de deadline”

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Tout était prévu : après la sortie de La vie augmente vol.3 en 2020, Isha devait enchainer avec son 1er véritable album. Il n’en est rien. Stressé par l’exercice, en pleine remise en question créative, le rappeur bruxellois a jeté le travail réalisé ces derniers mois pour revenir avec une mixtape au titre éloquent : Faites pas chier, j’prépare un album. Rencontre.

Le titre de cette mixtape est assez atypique : Faites pas chier, j’prépare un album. Tu souhaites que l’on te laisse créer tranquillement ou c’est une façon pour toi de dire : “Ne le prenez pas trop au sérieux, le meilleur arrive” ?

Isha – Avec ce projet, j’avais simplement envie de causer du manque d’inspiration, de la pression qu’il peut y avoir autour de la sortie d’un disque, de sa préparation, etc. C’était une manière de communiquer mon stress, de faire comprendre aux gens que je suis à un moment un peu crucial de ma carrière. C’est aussi un message aux proches : étant donné que je ne voyais pas grand-monde ces derniers temps, j’avais envie de trouver un titre qui expliquait mon état d’esprit.

Est-ce à dire que les derniers mois, très isolés, ont été essentiellement créatifs ?

Lors du 1er confinement, au printemps 2020, j’étais hyper productif. Arrivé en novembre, j’avais quatorze titres, j’étais super content et j’avais l’impression d’avoir presque fini mon album. Le problème, c’est que j’ai réécouté tout ce que j’avais enregistré un matin et que j’ai eu l’impression d’avoir réalisé La vie augmente vol.4. Ça ne me satisfaisait pas. J’ai tout jeté, et je n’ai conservé que la matière un peu plus saine, qui constitue donc la grande majorité des titres présents sur cette mixtape. Avec mon équipe, on s’est dit que ces huit morceaux étaient quand même costauds, qu’il fallait les sortir malgré tout.

À t’entendre, on a l’impression que tu n’as pas énormément d’affection pour ce projet…

Oui, et c’est pour ça qu’il n’a pas vraiment de nom. Son titre est simplement là pour rappeler que je prépare un autre projet. Il est au service de l’album, un peu comme dans les années 2000 où les artistes sortaient un street CD avant leur disque. Je sais que ce n’est pas très vendeur ce que je suis en train de dire, je tiens donc à préciser qu’il y a des morceaux de la mixtape que j’aime beaucoup. C’est juste que je me sais capable de beaucoup de mieux. Là, j’ai l’impression que ça manque d’âme. C’est pour ça que je ne vais faire qu’une entrevue en France pour le défendre, pour ça aussi que je ne voulais pas de clip à la base. Bon, finalement, on a réalisé une vidéo de Maudit, mais c’est surtout pour faire plaisir aux fans de la 1ère heure.

Est-ce que, au fond, tu ne te mets pas trop de pression avec ce fameux 1er album ?

Si, bien sûr. À la base, le plan était celui-ci : sortir trois EP’s et enchainer avec l’album. Sauf que je ne savais pas à l’époque que ces EP’s pourraient me permettre de faire des tournées, de signer en maison de disques, de donner des entrevues, etc. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les trois volumes de La vie augmente ont fait tellement de bruit que je me dois de trouver le moyen de passer dans une autre dimension. Ce serait facile de faire La vie augmente vol.4, mais c’est très difficile de réaliser un album. Tout simplement parce que j’ai envie de expliquer une histoire, de trouver une ambiance générale.

Tu as l’impression de ne pas réussir à expliquer de nouvelles choses, sachant que tu t’es déjà beaucoup livré par le passé ?

C’est exactement ça ! Il y a toujours ce côté écorché-vif dans ma musique, mais la vérité, c’est que tout va beaucoup mieux pour moi ces derniers temps. Je sais que j’écris mieux quand je déprime, et c’est bien là le problème : ça crée une espèce de vide artistique… Je suis moins confronté à la rue, j’ai moins de problèmes financiers et je n’ai plus à gérer ma surconsommation d’alcool, avec toutes les dérives que cela comporte. Par exemple, je suis toujours étonné de me réveiller sans recevoir d’appels de gens me racontant ce que j’ai pu faire de louche la veille. Mon comportement s’étant apaisé, mes proches n’ont plus rien à me reprocher aujourd’hui. Le challenge, sur le plan créatif, est donc de pouvoir expliquer de belles choses. Par exemple, j’ai envie d’être capable de expliquer que ma mère est heureuse, avec une plume à même de faire verser autant de larmes à l’auditeur qu’à l’écoute de Mp2m, où je cause du décès de mon père.

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As-tu parfois l’impression de devoir nourrir cette mélancolie pour pouvoir créer ?

Ça se vérifie même dans ma vie quotidienne. Il y a des moments où j’ai besoin de me saboter, sans même en avoir conscience. À l’époque, par exemple, j’avais un boulot et une meuf : tout allait bien pour moi. Puis, un matin, sans trop savoir pourquoi, je me suis dit que je n’étais plus heureux, qu’il fallait que je quitte mon job. Il a fallu l’intervention de Stan, mon manager. Il m’a dit qu’il ne m’avait jamais vu aussi heureux depuis 15 ans, et c’est à ce moment-là que j’ai réalisé à quel point j’étais bien. Sans lui, j’aurais démissionné, quitte à être de nouveau dans la merde.

Sur la mixtape, il y a un morceau positif, du moins dans le titre : J’dors bien. Comment est née la rencontre avec Hatik ?

Je connaissais déjà ses producteurs, notamment Medeline. Par la suite, on s’est croisé lors d’un événement Deezer, on a discuté et c’est quelqu’un que j’apprécie humainement. Surtout, j’ai été touché parce qu’il a tout de suite accepté le feat. Il m’a dit qu’il n’en faisait plus pour le moment, mais que s’il y a bien un rappeur qu’il ne pouvait pas refuser, c’était moi. J’étais flatté. Aussi, il s’est vraiment impliqué dans le morceau. À la base, je voulais un titre un peu plus chanté, mais j’ai cette malédiction heureuse qui veut que tous ceux qui collaborent avec moi veulent kicker.

Tu as l’impression que les artistes font appel à toi pour un style en particulier ?

Soit c’est pour faire du kickage ; soit c’est en lien avec ce que j’ai pu faire aux côtés de Georgio ou Scylla : des couplets un peu plus écrits et mélancoliques. Je tente toujours de suggérer quelque chose de différent, mais ils m’encouragent sans cesse à revenir vers un de ces styles. C’est normal, en fin de compte. Et puis ça rejoint mon envie d’aller vers une esthétique plus homogène. Je ne veux plus qu’il y ait plusieurs Isha, ça ne me correspond plus. J’ai envie de développer un projet comme Laylow ou Green Montana ont pu le faire, avec un mood général. Pour ça, il faut trouver le bon producteur.

“On nous prend encore pour des clochards avec les poches pleines” : tu as ce sentiment que, peu importe ton succès, ta longévité ou la qualité de ta discographie, tu n’arriveras pas à gagner le respect d’une supposée élite ?

C’est moins lié au hip-hop qu’à ma couleur de peau ou à ma provenance. Pas plus tard qu’il y a deux-trois mois, j’étais dans un magasin, prêt à acheter une veste. Là, le vendeur me dit : “Oui, elle est belle, mais elle est à 150 euros”. C’est quoi cette remarque de merde ? L’étiquette est là, j’ai déjà l’info, en quoi est-ce important de me le préciser avec un air dédaigneux ? C’est là que j’ai compris que je resterai toujours ce clochard avec des poches pleines aux yeux de certains.

Ce qui est intéressant, c’est que ces expériences ne se transforment jamais en colère dans ta musique.

Tout simplement parce qu’on a appris à vivre ainsi. Ce vendeur, je préfère le regarder et en rire : c’est juste de l’ignorance. Et puis ça rejoint ce que je dis dans Maudit : “On arrive, les palaces se transforment en taudis”.  C’est-à-dire que même si on débarque au Hilton avec du Versace ou du Gucci, on ne sera jamais des clients comme les autres. On est ghetto, et on reste rattaché à ces stéréotypes qui nous représentent.

“Mon rap n’est pas accessible à tout le monde” : j’ai pourtant l’impression que certaines de tes mélodies, comme celle de Crossroad, sont plus ouvertes et accessibles que par le passé.

Tu peux avoir les mélodies et les productions qu’il faut, rien ne changera si ton discours reste le même. Et moi, c’est clair que mon propos n’est pas très vendeur. Aujourd’hui, il faut causer de kichta, de mangas, être assez concis dans son flow. Or, j’ai 35 ans, j’utilise beaucoup de mots et il y a des choses que je ne peux plus dire. On peut me le reprocher, mai je ne peux pas me travestir, donner des références qui ne sont pas les miennes ou dire qu’il y a des bouteilles d’alcool sur ma table alors que je ne bois plus.

C’est vrai que, dès l’intro, tu mentionnes Dry et la Demi-Lune : indirectement, tu t’adresses à un public très érudit.

Mes références sont très ancrées dans une certaine génération. Je sais que d’autres rappeurs avancent avec les mêmes. Ce qui veut dire qu’il y a un public pour ce rap, un amour commun pour cette génération d’artistes ayant émergé au croisement des années 1990-2000. Nessbeal, Despo Rutti, Sefyu, Zesau, avec qui j’ai posé récemment : tous ces rappeurs ont été victimes du stream et n’ont pas connu le succès qu’ils auraient mérité. Ils ont été exposés à ce que l’on pourrait connaître avec le Coronavirus : passer d’une époque où les projets rencontrent un écho populaire à une période nettement plus compliquée, avec moins d’argent et de possibilités. En cela, ce sont mes héros, des modèles en termes d’intégrité artistique.  

D’où vient cette photo utilisée sur la pochette de la mixtape ?

Elle a été prise à la Boule Noire, et montre bien ce que j’aime faire quelques minutes avant de monter sur scène : des exercices de respiration, me rappeler que je suis là où j’ai toujours rêvé d’être, et m’isoler, comme pour fuir les angoisses.

À présent, tu as conscience que tu ne peux plus repousser ton album ?

Je vais te expliquer une histoire. Il y a environ quatre ans, je parlais avec le tourneur d’Alpha Wann. Il me disait, un peu désespéré, qu’Alpha venait encore de repousser son album. Finalement, il sort Une main lave l’autre deux ans plus tard et tu comprends à ce moment-là que ça valait largement le coup d’attendre. Il faut que les gens captent que l’on fait de la musique, et que l’on doit sortir des projets pour les bonnes raisons. J’ai connu les boulots avec une badgeuse ou des horaires, et ce n’est clairement pas pour retrouver ces contraintes que je fais de l’art. Je crée quand j’ai de l’inspiration. Si elle n’est pas là, tant pis, je ne vais pas tout bâcler pour une histoire de deadline.

Propos recueillis par Maxime Delcourt

Mixtape : Faites pas chier, j’prépare un album (Papa Shango/Warner)