Je suis comédienne et je suis lasse d'attendre que ce soit la télé qui me dise si je peux ou non travailler - BLOG

COVID-19 —Il y a besoin de faire un topo, comme un compte-rendu de tout ça, de ces épreuves, de ce métier mis à l’épreuve, de ce métier arrêté, puis repris, puis qualifié de non essentiel donc arrêté de nouveau, de ce métier que je commence...

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Je suis lassée d’attendre une allocution pour avoir des réponses qui concernent ma vie profonde, ma vie professionnelle, personnelle. (photo d'illustration)

COVID-19 —Il y a besoin de faire un topo, comme un compte-rendu de tout ça, de ces épreuves, de ce métier mis à l’épreuve, de ce métier arrêté, puis repris, puis qualifié de non essentiel donc arrêté de nouveau, de ce métier que je commence seulement même si j’ai l’impression de l’avoir toujours exercé, de ce métier en attente, qu’on ne peut plus faire, qu’on ne doit plus faire, qu’on ne sait plus quand on le fera, de ce métier qui me faisait me lever le matin, de ce métier qui m’habite, me tourmente et m’occupe, quelques fois, de ce métier précieux et nécessaire, de ce métier pour les autres, ce métier de dons, de partage, de pour vous. Où se trouve maintenant l’utilité?

En pleine semaine, pleine journée, le temps est libre de tout, habité de rien, et c’en n’est plus reposant du tout. Ça dure encore, sans date de fin, ça dure sans qu’on ne sache plus pourquoi. Est-ce que ça sauve vraiment des vies? Est-ce qu’on n’est pas en train de perdre un temps fou, un temps précieux qui nous achève davantage?

Je suis lassée d’attendre une allocution pour avoir des réponses qui concernent ma vie profonde, ma vie professionnelle, personnelle. On apprend nos conditions à la TV, pas un communiqué en privé avant, pas une once de nouvelle donnée, on est parmi d’autres, on n’est personne, on est une foule et pourtant si seul, on est du rien, des pions, des comme tout le monde, on vaut si peu qu’on ne prend pas la peine de nous prévenir avant, de nous dire attention demain à la TV on annonce aux gens que vous ne pourrez plus travailler, on ne nous a pas prévenus, on a appris ça d’un coup, en même temps que des millions de personnes, on a appris ça, on avait plus qu’à ramener notre décor chez nous, laver nos costumes, les ranger, on avait plus qu’à fermer nos gueules et attendre, on avait plus qu’à attendre, attendre on ne sait même pas quoi.

Vous avez envie de raconter votre histoire? Un événement de votre vie vous a fait voir les choses différemment? Vous voulez briser un tabou? Vous pouvez envoyer votre témoignage à temoignage@huffingtonpost.fr et consulter tous lestémoignages que nous avons publiés. Pour savoir comment proposer votre témoignage, suivez ce guide!

Lasse d’attendre

Plus qu’à attendre que la TV nous parle encore, qu’un jour peut-être elle nous dise enfin qu’on peut retourner bosser. Elle nous l’a dit une fois, avant l’été, elle nous a dit allez-y, on l’a fait, on n’a pas râlé, on a bossé comme avant, encore plus dur même, quelques semaines on s’y est remis quelques semaines, et la TV nous a de nouveau dit de tout ranger.

Alors on a de nouveau ramené nos décors et costumes, de nouveau jeté les flyers, modifié les dates, annulé les affiches, de nouveau on a répété seuls chez soi, pour personne, on a répété pour personne de nouveau, et là on attend de nouveau. On attend que la TV nous parle. Combien auront la force d’y retourner encore en prenant le risque de devoir tout ranger encore? Combien ont tenu? Certains diront que ça a fait le tri, d’autres diront que ça a achevé les plus fragiles.

Vous, vous dites quoi? Vous qui dirigez la TV, vous qui parlez dans la TV, vous dites quoi? Vous qui choisissez, vous qui faites les lois, vous qui les annoncez, vous qui nous commandez, vous dites quoi? Vous et vos costards, et vos sourires figés, et vos manières robotisées, vous à la TV vous dites quoi? Vous allez nous remercier c’est ça?

Nous remercier d’avoir tenu, d’avoir été solidaires et compréhensifs comme de bons citoyens que nous sommes, nous remercier de ne pas avoir eu le choix, nous remercier parce que de toute façon nos revendications vous ne les avez pas écoutées, nous remercier de remonter sur scène divertir les Français, nous remercier pour des trucs que vous ne venez pas voir à moins que ce soit subventionné, nous remercier pour l’économie qu’on ne nourrit pas tant que ça, nous remercier maintenant on peut y retourner. Vous allez oser dire merci à des gens que vous avez cloués au lit, à des gens que vous avez catégorisés avec tant de mépris, vous allez oser dire merci à des non-essentiels, à ceux que vous ne regardez même plus dans les yeux, vous allez remercier les saltimbanques, vous allez remercier de ne pas avoir tout brûlé.

Et nous, qui est-ce qu’on va remercier?

On ne va même pas se remercier nous-mêmes parce qu’au fond on se déçoit de croire qu’on a une liberté. On ne va pas se remercier, ça non, on n’aura pas le temps pour ça quand il faudra y retourner. On ne va pas se remercier parce qu’on n’aura eu l’impression de ne rien faire, de ne pas se devoir cette victoire, d’avoir simplement obéi, simplement attendu qu’on nous donne l’autorisation d’exister de nouveau.

On ne va pas se remercier parce que beaucoup n’auront pas réussi à créer tant ils auront été asphyxiés par le désintérêt soudain pour ce qu’est leur vie, par cette ignorance hautaine pour leur métier, leur souffle et leur raison d’être. Alors si on ne se remercie pas nous-mêmes, qui va-t-on remercier?

Les quelques spectateurs qui savent pourquoi on existe peut-être. Ces quelques-uns qui seront assis si loin les uns des autres qu’ils auront eu l’impression d’aller au spectacle seuls, de ne pas l’avoir partagé avec qui que ce soit. Ces quelques spectateurs qui se seront retenus de rire parce que, merde, on étouffe sous le masque quand on rigole.

Ces quelques-uns qui se seront gratté les mains tout le long du spectacle, ces mains irritées par le gel hydroalcoolique premier prix fournis par le lieu, le lieu endetté par le mépris, lui aussi. Ça va être ça, nos mercis? Nos mercis pour ne pas avoir fait péter l’Élysée, pour ne pas avoir tout envoyé valser, ne pas avoir changé de pays, ne pas avoir trahi les nôtres, ne pas avoir jeté l’éponge, ça va être ça nos mercis?

Où est l’utilité?

Ça va être ça notre réponse à toutes ces heures de questionnement sur le sens de ce qu’on fait, notre réponse à tous ces doutes, à cette tristesse, cette peur, cette incertitude, ça va être ça? Des gens seuls, silencieux et irrités? Des gens qui sont là par geste symbolique de survie plutôt que par plaisir? Des gens qui ne savent plus ce qu’ils viennent chercher, qui voulaient juste être dehors parce que maintenant c’est autorisé? Des gens qui par curiosité viennent voir si les artistes craquent pendant le salut ou bien s’ils disent quelques mots sur la situation passée. Des gens qui poussent la porte parce que la lumière était allumée? Ce seront toujours des gens, ce sera toujours ça de pris, mais vraiment, est-ce que ça sera ça nos mercis?

Est-ce que tout ça, ça sert à ça? Est-ce qu’on pourra encore avoir le luxe de partager des idées qui n’ont rien à voir avec le virus, avec les protocoles, les restrictions? Est-ce qu’on aura la liberté de parler d’autre chose ou alors le faire sera signe d’égoïsme pur? Est-ce qu’on arrêtera enfin avec les “est-ce que”? Même si personne ne nous remercie, on sera là, et croyez bien qu’on en aura plein, des choses à dire.

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