Kerby Jean-Raymond à la Fashion Week de Paris, un invité pas banal

MODE - Le retour de Balenciaga, après 53 ans d’absence, ne sera pas l’unique événement de la Fashion Week haute couture qui s’ouvre ce lundi 5 juillet à Paris. Un autre nom du prêt-à-porter risque lui aussi de briller. C’est celui de Kerby...

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Kerby Jean-Raymond, ici au mois de juin 2021, a fondé Pyer Moss en 2013.

MODE - Le retour de Balenciaga, après 53 ans d’absence, ne sera pas l’unique événement de la Fashion Week haute couture qui s’ouvre ce lundi 5 juillet à Paris. Un autre nom du prêt-à-porter risque lui aussi de briller. C’est celui de Kerby Jean-Raymond, 1er designer afro-américain à être invité à ladite semaine.

La nouvelle est réjouissante, elle intervient un an exactement après un discours éloquent de Naomi Campbell, prononcé en préambule de la cérémonie d’ouverture, en juillet 2020. “La lutte pour la diversité et l’égalité dans la société actuelle et dans l’industrie de la mode a encore du chemin à faire”, soufflait cette dernière, vêtue d’un tee-shirt noir griffé “Phenomenally Black” (en français, “Profondément noire”).

“Le temps est venu de construire une industrie plus équitable. Il est aussi temps d’inclure tout le monde de manière permanente, et non pas par effet de mode, réclamait la mannequin dans un contexte de dénonciation des comportements racistes à l’oeuvre dans le secteur du luxe et de l’habillement. Il est temps d’avoir des discussions avec les minorités de tous les pays et toutes les cultures.”

À Paris, la Fashion Week haute couture, qui s’organise deux fois par an, vise à promouvoir le savoir-faire, l’excellence, la contemporanéité des créations et les techniques de fabrication à la pointe de l’innovation. Elle se distingue des autres semaines de la mode dédiées au prêt-à-porter masculin et féminin organisées le reste de l’année. Celle-ci réunit une petite poignée de maisons illustres, comme Chanel et Dior, et propose à des marques françaises, mais aussi étrangères, de postuler pour y dévoiler des pièces uniques. Cet été, c’est celle du créateur originaire de Brooklyn, Pyer Moss, qui a retenu l’attention du jury.

Rihanna et Pyer Moss

Fondée en 2013, la griffe est encore peu connue du public français. De l’autre côté de l’Atlantique, elle n’est plus à présenter. Récompensé à trois reprises par les CFDA Fashion Awards, son directeur artistique engagé présente ses créations au croisement entre l’art, le sport et la mode depuis 2016 au calendrier officiel new-yorkais. En 2015, il était déjà parmi les trente personnalités de moins de 30 ans à suivre, selon Forbes. Quatre ans plus tard, c’est le Time qui lui confère un titre similaire.

Usher, Regina King, Michelle Obama, Janet Jackson ou encore Dua Lipa. Le monde des célébrités s’arrache ses vêtements. Le manteau beige au col asymétrique qu’a portée Kamala Harris, la veille de son investiture, peut aussi en témoigner.

Mais voilà, c’est sans doute à Rihanna et son flair pour la jeune création que Kerby Jean-Raymond doit une fière chandelle. L’histoire explique que la marque est née le 28 janvier 2013. “Bien sûr, nous savons tous que rien ne se fait en un jour, peut-on lire dans Cultured Magazine, mais c’est le jour où une photo de [la chanteuse] portant une veste en cuir à motifs camouflages [du créateur] est devenue virale.” Sur Instagram, elle compte des dizaines de millions d’abonnés. Sans surprise, ils ont frappé à la porte de Kerby Jean-Raymond. Il monte en deux temps, trois mouvements son site Web et trouve un nom à son label.

“Quand ma mère a quitté Haïti pour les États-Unis, elle a dû abandonner son nom de jeune fille, Moss, pour celui d’un cousin, Pierre, explique-t-il dans une entrevue accordée à Vogue. C’est pour lui rendre hommage que j’ai baptisé ma marque Pyer Moss.”

De l’activisme dans la mode

Né à New York il y a 33 ans, Kerby Jean-Raymond dit avoir appris les rudiments de la couture très tôt dans sa jeunesse, notamment auprès de sa maman, infirmière le jour et couturière la nuit. “Je la voyais en permanence faire des robes à̀ partir de rideaux, de couvertures, de vieux bouts de tissu”, explique ce dernier. Elle est décédée alors qu’il n’avait que 7 ans.

Grand passionné de sport, il intègre, à 14 ans, la High School of Fashion Industries, un lycée de Manhattan spécialisé dans les métiers de la mode, dans l’espoir de concevoir des baskets. Il y suit finalement les cours de patronage et de stylisme, un peu par défaut. Pourquoi? “Le cours dédié aux sneakers a été supprimé juste après mon arrivée dans cette école”, ironise-t-il. Son diplôme en poche, il multiplie les expériences ici et là, travaille un temps chez Audi, puis revient pour de bon à son secteur de prédilection pour fonder sa propre marque.

Son credo? “Ramener de la substance dans la mode.” Anti-raciste et défenseur de la culture noire, il cherche à combiner “storytelling, militantisme, débat, théâtre et commentaire social” dans ses collections.

“Beaucoup des créateurs que je connais ne viennent pas de mon milieu, ne causent pas comme moi ou n’ont pas vécu les choses que j’ai vécues, commente-t-il dans les colonnes de Dazed. Mon expérience est unique, mes productions sont uniques. Vous voyez ce que je veux dire? Je n’ai pas fait Saint Martins [célèbre école de mode londonienne, ndlr] et je ne suis pas à Paris la majeure partie de l’année. Je cause d’une perspective différente.”

“Une expérience sociale”

Ses défilés le montrent bien. En 2016, il glisse en guise d’introduction à son show une vidéo pour dénoncer les violences policières montrant des individus en uniforme en train de tabasser des hommes noirs.

En 2018 et ce, deux mois après une campagne intitulée “American, also” revisitant la conquête de l’Ouest avec une flopée de cowboys noirs contemporains, il présente sa collection à Weeksville, quartier de Brooklyn fondé en 1838 par des Afro-américains. Sur un pantalon en satin est écrit “See Us Now?” [en français, “Vous nous voyez maintenant?]. Une manière pour lui de dénoncer l’invisibilisation des populations noires dans la culture du pays.

En 2019, sa collection “Sister” explore, elle, les origines noires du rock, accompagnée sur scène d’une soixantaine de choristes au cours d’un concert d’une trentaine de minutes.

Dans la vie de tous les jours, Kerby Jean-Raymond tient le même discours. En 2019, alors que le prestigieux magazine Business of Fashion vient de le nommer parmi les 500 noms les plus influents de l’industrie de la mode, le créateur publie un article sur Medium intitulé “Business of Fashion 500 is now 499” dans lequel il annonce qu’il quitte le classement. Pourquoi? Il est écoeuré par la présence, lors du gala annuel du titre, d’une chorale de gospel pour accueillir les invités majoritairement blancs.

“Je suis tellement confus. Ne sommes-nous pas censés célébrer la diversité? Et l’inclusion? Pas l’appropriation? Nous sommes à une cérémonie de remise de prix de la mode, a-t-il écrit en parallèle dans une story sur Instagram. La mode exploite plus de femmes de couleur que n’importe quelle autre industrie. Pourquoi y a-t-il une chorale de gospel noire?”

Ce n’est pas nouveau, Kerby Jean-Raymond l’a exprimé à plusieurs reprises: il ne veut pas causer ”éternellement des questions de racisme”. La pression et les enjeux ne sont pas sans impact sur sa santé mentale. “Si une nouvelle marque débarque et fait ça mieux que moi, je n’aurais peut-être plus besoin de le faire. Alors, je pourrai passer à autre chose, a-t-il confié à Cultured Magazine. Peut-être que je me mettrai à la poterie ou à autre chose. Pour l’heure, c’est une expérience sociale.”

Sa collection haute couture est présentée en clôture de la Fashion Week, ce vendredi 8 juillet. Elle laisse à croire que Kerby Jean-Raymond et Pyer Moss n’ont pas dit leur dernier mot.

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