"L'effort supplémentaire" demandé aux soignants pour ce 3e confinement tue - BLOG

SANTÉ - Pourquoi pleurer?De fatigue, de rage, de colère, d’angoisse, de tristesse, d’impuissance?Je pleure de ce nouveau suicide. Encore un. Encore un interne. Brisé. Pressurisé. Sacrifié.En silence il a souffert. En silence il est parti.De...

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Des internes en médecine et des familles déposent des fleurs alors que des internes en médecine et des familles rendent hommage aux cinq internes en médecine qui se sont suicidés depuis le début de l'année, lors d'un rassemblement devant le ministère français de la Santé pour dénoncer la lourdeur de la charge de travail, à Paris, le 17 avril 2021.

SANTÉ - Pourquoi pleurer?De fatigue, de rage, de colère, d’angoisse, de tristesse, d’impuissance?

Je pleure de ce nouveau suicide. Encore un. Encore un interne. Brisé. Pressurisé. Sacrifié.

En silence il a souffert.
En silence il est parti.

De quoi rêvait-il?

De soigner sûrement.

D’apporter sa pierre à ce qu’il croyait être un noble édifice, mais qui s’est révélé être une toxique machine à broyer.

Et maintenant quoi…

Pourquoi rêves-tu parfois de jeter ta blouse?

Serait-ce pour ne plus penser aux patients le soir?

Serait-ce pour cesser d’appréhender le jour d’après?

Toi qui n’as pas 30 ans, combien de fois as-tu pensé à tout plaquer?

À toi, mon ami, j’aimerais savoir te rendre la foi en ce que nous faisons et le courage de tenir…

À toi, mon ami, j’aimerais te montrer que ce que nous faisons pour les patients est plus important que tout, mais ne justifie pas tout…

À toi, mon ami, dont l’état psychique s’aggrave, j’aimerais savoir te convaincre de t’arrêter, j’aimerais trouver une façon de convaincre les pouvoirs publics de nous protéger.

À toi, mon ami, j’aimerais être la main que tu tiendras pour t’accompagner vers la sortie de ce tunnel qui semble hélas s’éloigner…

À toi, dirigeant, j’aimerais arriver à te faire ouvrir les yeux et que tu prennes conscience de l’impact de chacune de tes décisions sur nous petites fourmis de terrain

À toi l’orgueilleux qui te crois au-dessus de nous, petites gens, j’aimerais pouvoir te confronter à l’indécence de ton attitude… Tu trouves normal d’aller au restaurant, de t’offrir innocemment un déjeuner de luxe sous couvert d’une réunion de travail et tu feins l’ignorance lorsque ton attitude est mise à jour? Combien de temps les 1ers de cordée vont-ils encore bénéficier de cette intolérable impunité? Ont-ils seulement conscience du nombre de soignants qui n’ont pas même le temps d’engloutir ne serait-ce qu’un sandwich?  

Je ne compte plus le nombre de mes collègues internes, médecins, infirmiers, aides-soignants, qui rêvent de jeter l’éponge… Pourtant, nous ne voulons pas renoncer. Mais non, nous n’y arrivons plus. “L’effort supplémentaire” qu’on nous demande serait-il l’effort de trop? Les journées sont trop courtes. La ténacité n’est plus. Le courage s’étiole. Parce que l’année écoulée aura duré une éternité. Parce que la communication gouvernementale erratique ne rassure pas. Parce que la vérité n’est plus qu’un concept philosophique fracturé sur l’autel de contre-vérités, de langue de bois, d’assertions qui n’auront rien fait d’autre que d’accentuer une défiance jamais atteinte.

Nous ne voulons pas renoncer, mais j’ai bien peur que nous ayons atteint le point de rupture.

Démoral-usés: voilà ce que nous sommes 

Démoralusés: un concept créé par mon collègue Damien H. qui sait beaucoup mieux que moi faire usage du rire à usage thérapeutique. Comment fait-il pour rire encore? Je l’envie, je l’avoue. Depuis quand n’avons-nous pas ri? Depuis que nous avons perdu notre vie sociale? Notre vie associative? Notre vie culturelle? Ou bien depuis que les pouvoirs publics nous ont cantonnés à notre position de peuple ignorant? Ce qui me manque le plus depuis un an? Nos poignées de mains. Ces poignées de main qui servaient à dire bonjour, au revoir, à conclure les consultations, à se donner de la force, à montrer que nous sommes là, solidaires, présents, soutenants. Depuis un an, les poignées de main ont disparu et avec elles, bien plus que ça encore. Notre capacité de lien social. Un an que l’on sépare les travailleurs essentiels des autres, les personnels soignants des autres, comme si l’on avait besoin de diviser pour mieux régner, à l’image de ceux qui ont utilisé la peur pour se faire connaître. Ce qui m’attriste le plus? Que nous ayons raté cette occasion unique de comprendre ensemble, de grandir ensemble. Ce qui me manque le plus? Vos visages. Les masques nous serviraient-ils aujourd’hui tant à nous protéger qu’à masquer larmes et émotions? Derrière les masques, des yeux qui se baissent, des respirations stressées qui s’accélèrent. Derrière les masques, des larmes qui coulent en silence. Derrière nos masques, des illusions perdues.

Être soignant c’est veiller sur l’autre en le rassurant, en lui expliquant les tenants et les aboutissants de son état, en l’éduquant dans ce qu’il ne sait pas pour le guider vers un mieux-être.  

Être soignant c’est comme être enseignant: c’est croire en la possibilité d’éduquer l’autre pour le faire grandir.

Sûrement est-ce l’essence même de nos métiers de vocations… pourtant soigner n’implique pas de sacrifier sa vie pour celles des autres contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire.

À tous les soignants, je veux dire qu’ils recèlent en eux une force qu’ils ignorent et que cette force est contagieuse… mais fragile

À tous les internes, je veux dire qu’il y aura des lendemains meilleurs.

À tous les internes, je veux dire qu’ils doivent prendre soin les uns des autres.

À tous les soignants, je veux dire qu’ils savent insuffler des énergies nouvelles à des gens qui ne s’en sentiraient pas capables et que cela n’a pas de prix.

À tous les soignants, je veux dire qu’ils recèlent en eux une force qu’ils ignorent et que cette force est contagieuse… mais fragile

Une fois n’est pas coutume: je ne vous ferai pas leçon de tout ce que l’on ne sait pas, de tout ce que l’on appréhende, de toutes ces variables que nul ne pourrait à ce jour contrôler. Si ce message ne devait servir qu’à une chose, ce serait de vous redonner la foi dans cette possibilité de retrouver notre bien le plus essentiel: notre solidarité. Vous êtes tous doués d’intelligence, de compétences, d’une humanité qu’il vous appartient de cultiver, d’arroser, de faire grandir et de partager, sans oublier de vous nourrir vous-même. Vous êtes plus que jamais des travailleurs essentiels dans la complexité de la ruche sociétale, mais vous êtes avant tout des bourgeons fragiles sur le point d’éclore, tels tous ceux qui viennent hélas de se faire saisir par la vague de gel qui a saisi le territoire. À nous de savoir vous protéger. Rien ne justifie que vous mettiez fin à vos jours, ni maintenant ni jamais. Vous avez beaucoup mieux à faire, beaucoup plus à donner, beaucoup plus à vivre.

Si soigner est une finalité, cela ne peut ni ne doit être notre fatalité

Je ne suis pas beaucoup plus vieille que vous, mais j’aimerais savoir vous rendre cette force de croire en ce que vous êtes… et j’espère pour cela trouver la force de ne jamais renoncer. Pourquoi?

Parce que pour soigner, nous devons transmettre le savoir.

Parce que pour former nos jeunes confrères, nous sommes tous tels des agriculteurs qui plantent des graines, les arrosent et attendent patiemment qu’elles éclosent lorsqu’elles arrivent à maturité, mais c’est aussi les protéger des prédateurs, des conditions météorologiques, des mauvaises herbes qui viendraient les en empêcher.  

Nous avons échoué pour au moins 18 d’entre vous.

Nous sommes coupables d’avoir laissé ces 18 flammes s’éteindre à tout jamais.

À nous de trouver comment cela ne se reproduise plus jamais.

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