Les Michelin 2021 tentent de raviver une gastronomie bousculée par le Covid-19

CÉRÉMONIE - C’est à la Tour Eiffel, dès midi ce lundi 18 janvier que le guide Michelin dévoilera son palmarès 2021. Une édition qui n’est pas sans soulever quelques questions, tant les douze derniers mois ont été éreintants pour une profession...

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Un employé des Deux Magots à Paris le 15 mars 2020 juste après la fermeture des restaurants (AP Photo/Rafael Yaghobzadeh)

CÉRÉMONIE - C’est à la Tour Eiffel, dès midi ce lundi 18 janvier que le guide Michelin dévoilera son palmarès 2021. Une édition qui n’est pas sans soulever quelques questions, tant les douze derniers mois ont été éreintants pour une profession -haute gastronomie comprise-  frappée de plein fouet la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19. Du jour au lendemain, le 17 mars dernier, tous les restaurants de France ont dû fermer boutique, laissant derrière eux des frigos encore remplis et des tables dressées.

Les rythmes trop effrénés des heures passées derrière les fourneaux ont laissé la place à des couches de poussières sur les banquettes. Pour la gastronomie, une année donc de chamboulement, de remise question et d’urgence. La première d’entre elles a bien été évidemment économique alors que les pertes du secteur pour 2020 sont estimées à près de 30 milliards. Et ça ne va pas s’arrêter là, selon Christophe Laure, président d’Umih Prestige, la branche de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie qui fédère les hôtels de luxe, les palaces et les restaurants étoilés: “Nous prévoyons un premier trimestre 2021 encore plus dur. C’est le secteur économique le plus affecté de notre industrie avec l’aérien. Beaucoup de restaurants sont restés fermés et malheureusement certains ne pensent pas rouvrir”, abonde-t-il. Près de 30% pourraient ne pas redémarrer, et la cuisine gastronomique, privée du tourisme international et de repas d’affaires, est très loin d’être épargnée.

“C’est nous ou le restaurant”

“En ce moment c’est nous ou le restaurant”, explique au HuffPost, Gaby Benicio, sommelière et co-gérante d’“Aponem”, à Vailhan, dans l’Hérault. Avec sa compagne, la cheffe étoilée Amélie Darvas, elles ont ouvert cette auberge il y a deux ans, des projets plein la tête et sans se douter qu’elles se retrouveraient prises à la gorge à cause d’un virus. “C’est très dur cette période. On a eu l’herbe coupée sous le pied du jour au lendemain. Cette crise soulève la question de la précarité des petits patrons comme nous. Ce restaurant, c’est un projet personnel, un projet de vie, et on se sent complètement abandonnées. On n’a pas de vrai salaire depuis près d’an. Les 10.000 euros d’aide ne couvrent pas toutes les charges fixes et on a dû piocher dans la trésorerie. Personne n’en parle”, confie-t-elle, excédée.

Les deux femmes ont participé à des évènements locaux et fait un peu de pain pour le village, mais pas de quoi vraiment faire bouillir la marmite. Difficile dans ces conditions de garder moral et créativité. “Le premier mot qui me vient pour 2020 c’est “catastrophique”. Ça fait près d’un an qu’on ne bosse plus du tout. Et j’ai très peur de la réouverture, des effets de cette année sur mes équipes. Les quelques périodes de réouverture ont déjà été très dures”, ajoute Amélie Darvas.

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Pour Pascal Barbot, doublement étoilé, les confinements ont retardé les travaux de son nouveau restaurant qu’il devait ouvrir à l’été 2020. Ce sera finalement pour mars, mais en attendant sa situation financière ne va pas en s’améliorant. “Le gouvernement a répondu tout de suite à la crise dans la restauration, avec le chômage partiel et les PGE, mais ce que je regrette c’est que depuis un an avec mon associé Christophe Rohat, nous n’avons droit à rien, confie-t-il. Chez nous les aides ne couvrent déjà pas toutes les charges et nous avons dû piocher dans la trésorerie pour se payer. On a déjà fait deux PGE et ce sont les banques qui nous tiennent”

Des plats 3 étoiles en barquette

Une situation économique difficile qui a conduit à une certaine remise en question des standards traditionnels de la haute gastronomie, au point que l″art de la table, véritable totem de la culture culinaire française, a été remplacé par les talents de la barquette. De nombreux chefs étoilés se sont lancés dans la vente à emporter, inimaginable jusqu’à récemment.

Dans certains cas, la carte habituelle a été adaptée, dans d’autres, elle a été complètement transformée. À Copenhague, le Noma, sacré meilleur restaurant du monde, s’est mis à faire des burgers et des kebabs, à Paris, le Chateaubriand, 9e au 50 Best, s’est mis aux pizzas. 

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“Pour tout le secteur du luxe, l’enjeu c’est de conserver les codes, l’héritage et la tradition. L’offre en vente à emporter a permis à la gastronomie de se réinventer et la crise a accéléré la mise en place de nouvelles offres et l’acceptation par les clients. Certains établissements ont d’ailleurs été encouragés par les clients pendant les fêtes. La vente à emporter et la livraison ouvrent aussi sur un nouveau public et bénéficient à toutes les autres professions qui en dépendent”, analysent, Mariem El Euch Maalej, enseignante-chercheuse en marketing à la Paris School of Business, et Marielle Salvador, enseignante-chercheuse en marketing à l’Institut Paul Bocuse.

Une démocratisation décapante et bienvenue pour Thomas Frebourg, le directeur général de l’agence 14 Septembre qui représente de nombreux chefs. “La vente à emporter, c’est aussi la remise en question d’un système et c’était indispensable. Je pense que c’est ce qui peut rester une fois que toute cette période sera terminée, l’idée qu’on peut avoir de la haute gastronomie différemment, et pourquoi pas même imaginer une double offre de manière permanente”, confie-t-il au HuffPost. Marielle Salvador et Mariem El-Euch Maalej vont encore plus loin et plaident pour que le guide Michelin valorise cette forme de “reconversion” avec pourquoi pas la création d’une nouvelle catégorie dédiée à la vente à emporter et à la livraison. 

Pour autant, la livraison et la vente à emporter ne sont pas accessibles à tous les établissements, notamment ceux qui se situent en zone rurale. Ce n’est pas, par ailleurs, une opération qui est toujours rentable, analyse le chef triplement étoilé, Yannick Alléno, qui s’y est pourtant plié. “La vente à emporter transforme forcément la cuisine, c’est très difficile de mettre des assiettes trois étoiles dans des barquettes. Mais c’est un exercice nécessaire pour garder le lien avec la clientèle et les équipes surtout. Sur un plan économique, ça n’a pas été vraiment rentable pour nous. J’arrive tout juste à l’équilibre alors que sur 2020, on a vraiment pioché dans notre trésorerie. Pour la première fois en 4-5 ans, j’ai un exercice négatif”, confie le chef.

Indépendamment de la vente à emporter, Yannick Alléno a tout de même profité du premier confinement pour repenser l’expérience client et la notion de service, qu’il voit encore plus personnalisé: “On doit rouvrir, mais pas comme avant”.

Bien-être dans les équipes?

De l’avis de Pascal Barbot, comme de Yannick Alléno, l’arrêt brutal de la restauration a par ailleurs permis d’entamer une réflexion plus profonde sur l’organisation des équipes et leur bien-être. Une nécessité dans un milieu où les arrêts de travail sont très mal vus et où les horaires sont généralement le double de celles indiquées sur le contrat. 

“Avec mon associé, on a choisi, il y a 15 ans, de fermer le restaurant trois jours par semaine. C’est quelque chose d’extrêmement important. Dans notre nouveau projet, on a mis beaucoup de choses en place avec des spécialistes sur le confort des plans de travail. On est en train de faire le nécessaire pour ne plus avoir de produits chimiques en cuisine”, détaille Pascal Barbot. Yannick Alléno a fait un choix similaire en fermant l’un de ses établissements le midi, et tant pis pour la trésorerie. 

Si les prud’hommes ont reconnu en 2019 des faits de violences physiques survenus en 2014 au Pavillon Ledoyen où il exerçait, le chef triplement étoilé parle désormais d’une nécessaire prise de conscience collective. “Dans notre profession, mais aussi dans l’ensemble de la société. On parle beaucoup de souffrance dans notre métier en ce moment. De mon côté j’ai décidé de mettre en place un planning collaboratif, je ne le fais plus seul dans mon coin. Je vais aussi mettre en place une personne référente sur les questions sociales, pour qu’on ait des remontées d’information claire sur l’état d’esprit de chacun. Cela a aussi été une année épouvantable pour le personnel”, détaille-t-il.

De lui-même Yannick Alléno aborde également les enjeux de parité, avant de revenir au cours de notre entretien sur les propos sexistes qu’il avait tenus en septembre 2019, lors du colloque “Gastronomie sans frontières”. Il avait notamment déclaré: “L’ADN des femmes, c’est d’enfanter”. “J’ai dit des conneries et des excuses étaient largement dues. Cela m’a fait prendre conscience de certaines choses et aussi du rôle que je devais avoir pour que ça avance. Les violences sexistes, il faut les dénoncer, mais il faut aussi construire quelque chose ensemble, et pas les uns contre les autres, pour lutter contre”, plaide-t-il. 

La fin des violences sexistes en cuisine?

 À cet égard, l’année 2020 aura plus d’une fois bousculée et questionné la gastronomie sur des pratiques d’un autre âge. Qu’il s’agisse de la plainte déposée par Florence Chatelet-Sanchez contre Guy Martin, de la longue enquête de Lénaïg Bredoux et Nora Bouazzouni pour Médiapart, ou encore fin novembre, de la prise de paroles de cinq cheffes dans les colonnes du Monde. L’année 2020 aura bien sûr été marquée aussi par le suicide du chef Taku Sekine, visée par des rumeurs d’accusations d’agressions sexuelles.

“Je ne sais pas si 2020 a vraiment entraîné une remise en question des modèles sexistes dans les cuisines. Plutôt que de libération de la parole, je préfère parler d’écoute, parce que je pense que c’est plutôt ça qui s’est libéré. Les gens parlent plus, parce qu’on les écoute. On le voit bien avec l’affaire Duhamel, les gens parlaient, et savaient, c’est juste que maintenant on écoute les victimes”, explique au HuffPost, Nora Bouazzouni.

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Avec Camille Aumont Carnel, qui tient le compte Instagram, Je dis non chef, elles ont lancé en mars un questionnaire visant à recueillir des témoignages sur les violences en cuisine et qui pourrait donner lieu à une retranscription publique en 2021. Le moment n’avait en tout cas pas été choisi par hasard. “Avec le confinement, les gens sont passés de 80 heures de travail à zéro, ils ont le temps de se poser, de se reposer. De sortir de la spirale infernale qu’ils peuvent vivre et donc aussi peut-être de questionner leur travail. En face, on sent que certains commencent à se sentir inquiétés”, détaille également la journaliste qui pointe la frilosité encore trop grande des médias à s’emparer de ces sujets, par conflit d’intérêts ou peur d’être blacklisté: “On parle de cancel culture, mais certains ont toujours bien pignon sur rue”. Les deux femmes ont reçu des milliers de témoignages depuis près d’un an.

Comme Nora Bouazzouni qui estime que le modèle des étoiles Michelin contribue au statu quo en matière de violences en cuisine, Julia Csergo, professeur à l’université du Québec à Montréal et spécialiste des cultures alimentaires et de la gastronomie, évoque elle un “modèle dépassé et insincère”, qui empêche de poser de nouvelles bases. “Certes 2020 bouscule ces pratiques, mais il faut aller plus loin. La France est très en retard sur ces enjeux de souffrance au travail. Il faut se demander pourquoi ce modèle militaire des “brigades”, qui date du XIXe siècle continue de perdurer avec l’assentiment des élites. Il y a un lien très étroit en pouvoir et grands chefs. Les gouvernants continuent de se référer à ce modèle stéréotypé de la grande cuisine, au détriment de tous les autres. C’est aussi comme cela qu’on entretient l’impunité et l’entre-soi, au détriment de l’avenir de cette profession. Parce que son avenir ne dépend pas seulement de la reprise économique, mais aussi de la capacité de la restauration à transformer ses pratiques”, explique-t-quelle au HuffPost. 

Le rôle des écoles reste ainsi primordial pour faire avancer les mentalités. “Il y a des discussions, mais rien de véritable ne se met en place parce que les écoles sont aussi des endroits où le réseau s’entretient”, estime Nora Bouazzouni.

Les organisations représentatives prennent-elles la mesure de la chose? Il y a encore des efforts à faire. “Vous parlez de souffrance, mais nous sommes des passionnés. C’est une vocation la cuisine, un métier d’Homme avec un grand H. Bien sûr il y a des coups de feu, mais il y a aussi de l’amour et un esprit de camaraderie. On reste dans l’esprit de ce que nous sommes”, nous répond Christophe Laure, président de la branche prestige de l’Union des métiers et de l’industrie hôtelière. 

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