Quand la "Génération Bataclan" enquête sur les terres de radicalisations

Se faire surnommer la “Génération Bataclan” à la suite des attentats du 13 novembre 2015 a provoqué en nous un certain malaise ou tout du moins, le sentiment gênant d’être  assimilés à une seule et même identité: celle des “jeunes”, d’une masse...

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Un mémorial en hommage aux victimes de l'attentat de Charlie Hebdo, Place de la République le 7 janvier 2016 à Paris. (Photo by Eric FEFERBERG / AFP)

Se faire surnommer la “Génération Bataclan” à la suite des attentats du 13 novembre 2015 a provoqué en nous un certain malaise ou tout du moins, le sentiment gênant d’être  assimilés à une seule et même identité: celle des “jeunes”, d’une masse marquée cette année-là par un drame national et devenue cibles de “fous de Dieu venus d’ailleurs”. Les jours, mois et années qui ont suivi cet événement traumatisant, les titres de journaux et les experts de plateaux télé nous expliquaient qu’il existait un “Nous” et un “Eux”: des gens qui refusaient notre façon de vivre, de danser, de rire, et qui n’étaient pas de cette “Génération Bataclan”, empreinte de liberté et incarnant la société en devenir. 

Par leurs actes, ces radicalisés nous paraissent, en effet, si loin de nous et de nos valeurs. Si loin…, et pourtant si proches: les assaillants et complices du 13 novembre n’avaient pas plus de 30 ans. Pour beaucoup, ils avaient fréquenté les mêmes écoles, écouté la même musique, chillé devant les mêmes séries télévisées que nous. Là où l’intelligentsia des plateaux TV expliquait que l’incompréhension entre le “Nous” et le “Eux” venait d’un autre territoire et qu’ils nous étaient étrangers, nous ressentions une véritable fracture au sein de notre classe d’âge. Nous observions une jeunesse tiraillée et de plus en plus polarisée, certains jeunes empruntant la voie des extrêmes religieux, politiques, idéologiques. 

Les jeunes enquêtent

Lassés par les analyses menées sur les jeunes par des “non jeunes” et par des temporalités politique et médiatique qui n’étaient pas celles de la pédagogie et de la prise de recul, il nous fallait comprendre par nous-mêmes. Il convenait d’abord d’accepter que la hausse des radicalités était une tendance endogène, touchant la jeunesse de notre pays. Il était important, ensuite, de ne pas céder à l’analyse de façade des radicalités et de s’intéresser au processus de radicalisation qu’il fallait enrayer. Il était de notre devoir, enfin, d’agir en prenant la parole et en engageant une recherche intra-générationnelle pour comprendre les radicalisations et la façon dont elles se manifestent dans les sphères intéressant la jeunesse. 

En mars 2020, nous avons donc décidé de lancer “Radicalisation(s)”, la première étude française produite par des Français de moins de 35 ans sur ce phénomène qui gagne du terrain et qui plonge notre société dans les tensions depuis de trop longues années. Cette étude a été lancée sous forme de task force réunissant 24 jeunes professionnels et étudiants. Nous avons eu l’ambition d’explorer le sujet des radicalisations dans toutes ses composantes et de solliciter des acteurs de terrain, des universitaires, des personnalités politiques et des Grands témoins issus de trois milieux: scolaire et sportif, carcéral et numérique. 

Que nous a appris cette enquête de sept mois sur les “terres de radicalisations”? 

Les radicalisations sont une affaire d’offre et de demande

Il apparaît à travers nos travaux que la radicalisation est un processus qui s’enclenche dans des configurations où coexistent un rejet du “contrat social” tel que perçu par l’individu et une offre alternative de compréhension du monde. Comme la loi de l’offre et de la demande, l’offre n’a de sens que par rapport au terreau réceptif que constitue la demande et que l’offre va chercher à satisfaire. La demande est celle de la recherche d’une figure de référence, d’autorité au quotidien. Celle-ci est normalement l’apanage de l’État mais le rejet de cette légitimité entraîne le besoin, pour l’individu, de se définir à travers une nouvelle figure de référence. C’est là qu’intervient, l’offre, celle des groupes qui cherchent à endoctriner les individus en tentant de satisfaire leur recherche de sens et de subvenir à leurs besoins primaires et, en cela, se substituer à la puissance publique. Nous proposons alors de remettre la puissance publique au cœur de certains espaces dans lesquels les institutions ont perdu du terrain face à d’autres acteurs privés ou associatifs. Il est donc indispensable de donner aux collectivités les moyens de réinvestir les territoires perdus de la République, qu’ils s’agissent des espaces périurbains ou des ruralités. 

La prison n’est pas un incubateur de radicalités

Toutefois, elle est un lieu où les discours radicaux peuvent avoir plus de sens qu’ailleurs car elle concentre un public perméable aux idées radicales. La détention a donc des effets qui peuvent jouer sur la radicalisation d’une personne. C’est pourquoi il est primordial de renforcer le contre-discours pour amorcer le désendoctrinement en mobilisant des Grands témoins, personnes ayant renoncé à leur idéologie radicale, familles d’auteurs ou de victimes. Il nous paraît indispensable également de construire des programmes de désengagement de la violence pendant et après la peine notamment en développant le recours au travail d’intérêt général (TIG) pour les détenus de droit commun susceptibles de radicalisation (DCSR) afin de leur offrir une idée du sens du service public et favoriser leur réinsertion. Nous préconisons également d’accentuer le recrutement de médiateurs du fait religieux et de promouvoir l’intervention d’islamologues au sein des prisons pour semer des interrogations dans la tête des personnes radicalisées. 

Les territoires ont un grand rôle à jouer

Si les moyens et les volontés sont alignés à l’échelle interministérielle pour lutter contre les radicalisations, il ne faut pas oublier que le processus s’opère sur des individus ou des groupes à l’échelle locale. Il est indispensable de sensibiliser les acteurs politiques locaux (maires, députés, présidents de région, etc.) à la question des radicalisations. De même, renforcer la coordination entre les préfectures, rectorats, forces de l’ordre et acteurs sociaux ainsi que la formation des acteurs issus de ces sphères est primordiale pour mieux appréhender la menace et y répondre efficacement. Pour cela, nous préconisons la mise en place d’audits pour évaluer la radicalité à l’échelle des collectivités et, ainsi, engager des politiques publiques locales ciblées et plus à même de répondre à la menace qui grandit en territoires. 

Cette enquête nous a également encouragés à apporter un regard jeune sur les mesures engagées par les autorités. Des centaines d’heures d’idéation, 65 auditions et une annonce de loi sur les séparatismes (ou confortant les principes républicains) plus tard, nous publions un rapport opérationnel avançant 21 ambitions et 62 propositions détaillées pour prévenir et lutter contre les radicalisations. Nous espérons faire de ces conclusions, non exhaustives mais empreintes d’une farouche volonté, une source d’inspiration pour les autorités afin d’éviter que nos futures jeunesses soient, elles aussi, baptisées de surnoms endeuillés.

 

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