Qu’est-ce qu’on regarde ce soir ? “Enorme” sur Canal+

Succès auprès du public à sa sortie en salle en septembre 2020 et lauréat du Prix Jean Vigo, Enorme pourrait aussi se résumer en un seul mot : cru. Voici un film qui ne ménage rien, qui laisse ses personnages (et sans doute ses comédien·nes)...

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Succès auprès du public à sa sortie en salle en septembre 2020 et lauréat du Prix Jean Vigo, Enorme pourrait aussi se résumer en un seul mot : cru. Voici un film qui ne ménage rien, qui laisse ses personnages (et sans doute ses comédien·nes) épuisé·es, qui pousse ses idées jusqu’au bout, et ses spectateur·trices jusqu’à la capitulation émotionnelle (sans toutefois les brutaliser).

Du “bruit”

Le nouveau film de Sophie Letourneur (son huitième en 16 ans et son quatrième long métrage) rappelle à la mémoire les mots de Serge Daney, écrits dans un fameux article de 1980, Le Cru et le cuit : “Les auteurs du cinéma français ont ceci en commun d’avoir travaillé l’image et d’avoir été travaillés par la parole (…) tout cela – toute cette matière brute et inconnue – fait du bruit. Un bruit qu’il s’agit, pour filer la métaphore culinaire, de ne pas réduire.”

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Ce “bruit”, qui depuis ses débuts fracassants (de La Tête dans le vide en 2004 à Gaby Baby Doll en 2014, en passant par La Vie au ranch en 2010) compose la matière 1ère de Sophie Letourneur, n’a pas été réduit, malgré un budget plus important. C’est la 1ère bonne nouvelle.

Comédie-Frankenstein

Letourneur déploie ici avec maestria sa méthode, unique, consistant à greffer de la fiction (cuite al dente) sur du documentaire (cru en tartare). Entre observation du réel, utilisation de non-comédien·nes, travail de réécriture à partir d’improvisations et tournage d’un docu en maternité monté en contre-champ des scènes de fiction, c’est, comme à son habitude, à un passionnant travail de déconstruction du naturalisme que s’est livrée la cinéaste. Et si, par moments, les coutures se voient, c’est tant mieux.

Car la monstruosité est le sujet de cette comédie-Frankenstein, qui rappelle parfois, avec ses difformités et ses tendres vachardises, les frères Farrelly (une influence revendiquée), mais qui seraient passés par le tamis de la Nouvelle Vague française.

Marina Foïs et Jonathan Cohen, tous·tes deux impressionnant·es, faisant don d’eux·elles-mêmes avec une générosité considérable, y forment un couple moins dysfonctionnel que bizarrement fonctionnel, où elle, pianiste virtuose, n’est concentrée que sur son art, tandis que lui, mari, agent et nounou, s’occupe de tout. Absolument tout. Monsieur porte la culotte, en somme, pour que Madame puisse flotter paisiblement dans le ciel dégagé des grand·es esthètes.

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Cette 1ère inversion des genres, poussée dans ses ultimes retranchements comico-cruels (cela va souvent de pair chez Letourneur), se double rapidement d’une seconde inversion : soudain désireux d’être père, Cohen force Foïs à être enceinte, par un stratagème proprement monstrueux.

Et c’est lui qui assume dès lors toutes les fonctions généralement associées à la femme, pendant qu’elle se contente, désespérée, de voir son ventre grossir et l’empêcher de travailler.

Enorme se voit de bout en bout traversé d’affects contradictoires, de paroles équivoques, de situations ambiguës et de tabous enfoncés ; et c’est précisément ce “bruit non réduit”, cette impossibilité d’en déduire un discours simpliste, qui en fait toute la valeur. Letourneur trouve du plaisir dans la gêne, de l’humour dans la noirceur, et continue avec ce nouveau film de creuser un des sillons les plus originaux et précieux du cinéma français.

Enorme de Sophie Letourneur, ce mercredi 16 juin à 21 h 02 sur Canal+.