Qu’est-ce qu’on regarde en streaming ce soir ? “Un couteau dans le cœur” sur Mubi

Un film baroque et fantasme, Un couteau dans le cœur renoue avec nos désirs les plus intimes et les plus vils. Il y a ceux qui, pour cela, s’enferment jour et nuit dans des salles obscures, à manger de la pellicule ou désormais du gigabit ;...

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Un film baroque et fantasme, Un couteau dans le cœur renoue avec nos désirs les plus intimes et les plus vils. Il y a ceux qui, pour cela, s’enferment jour et nuit dans des salles obscures, à manger de la pellicule ou désormais du gigabit ; et il y a ceux qui fabriquent la matière à fantasme, jadis projetée sur des toiles blanches plus ou moins maculées, aujourd’hui sur des écrans noirs plus ou moins tactiles ; parfois ce sont les mêmes, parfois non. Yann Gonzalez, lui, est assurément les deux, cinéphile et cinéaste, comme une obsession biface. Il s’en va chercher dans son deuxième long métrage, après les déjà impressionnantes Rencontres d’après minuit, ce qui se cache derrière les noires pulsions et les blanches passions des membres de cette tribu qui vit par et pour le cinéma.

Le spectacle doit continuer

Pour ce faire, il plonge en 1979, juste avant que la vague néolibérale et le sida n’emportent les derniers vestiges de l’hédonisme baba, dans le tout petit milieu du porno gay français. Etalons peu farouches, réalisateur fantasque (Nicolas Maury), chef op méchu (Bertrand Mandico), bouche d’or miraculeuse (Pierre Pirol) et monteuse éplorée (Kate Moran, dont “le cœur est sec” de son amoureuse) : tous·tes se retrouvent dans le Cinecittà de fortune (un hangar bâché) de la productrice Anne Parèze (Vanessa Paradis), qui comme Gabin dans French Cancan n’a qu’une éthique : le spectacle doit continuer (et les gaules se lever). Cette éthique vire à la folie lorsqu’un tueur masqué se met à décimer la troupe queer, et que “la patronne” décide, le plus benoîtement du monde, d’en faire le sujet de son prochain film : Le Tueur homo…

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L’intrigue classique de giallo s’étoffe rapidement d’un film dans le film, ainsi que de mille microfictions qui se donnent au spectateur par un principe de profusion baroque et de rimes poétiques. La rigueur scénaristique importe moins que le plaisir scopique, symbolisé par un œil qu’on retrouve partout (sur les murs, en pendentif, etc.). Les dialogues ne sont pas “naturels”, les rebondissements pas toujours “logiques” et les personnages pas nécessairement “ancrés” : ici, les flics du réel se tiennent à carreau, et les brebis n’en sont pas moins bien gardées. Avec ses rues bleues, ses murs recouverts de bouches et ses forêts pleines d’oiseaux thaumaturges, ce n’est pas la France que filme Yann Gonzalez dans Un couteau dans le cœur, mais un pays sorti droit de ses rêves et de ses cauchemars.

Hanté par la vie et la mort

C’est que, né 2 ans avant que ne débute sa fiction, en 1977, il n’a pu connaître cette époque qu’à travers des témoignages (par exemple sur la productrice Anne-Marie Tensi, inspiratrice de son héroïne), par des livres (dont le Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques de Christophe Bier qui fait un amusant caméo) et bien entendu par des films. Sans vouloir – ni pouvoir – en faire la liste exhaustive, on se doute bien que le jeune Antibois et son frère, qui compose la musique avec son groupe M83, ont dû les rincer, les VHS des Frissons de l’angoisse (Argento), de Blow Out (De Palma), de Cruising (Friedkin), de Scorpio Rising (Kenneth Anger), de La Vampire nue (Jean Rollin), ou de Change pas de main (Vecchiali).

Un couteau dans le cœur est ainsi en 1ère instance un film nourri par le cinéma ; mais c’est aussi, et surtout, un film hanté par la vie – et sa contrepartie : la mort –, qui ne cesse de se demander comment l’on passe de l’un à l’autre, de la salle au cercueil, du plateau à la tombe, et vice versa. Dès la 1ère séquence, qui montre en parallèle une scène de cruising tournant au massacre et la découpe d’un film X en super 16 sur la table de montage, suivie d’une rupture amoureuse au téléphone, tous les grands motifs du film – la chair, le Celluloïd, le cœur – sont d’emblée liés par ce que leur fait subir un couteau (littéral ou figuré). Couper l’un, percer l’autre, en fin de compte, c’est la même chose. Le cinéma, nous dit Gonzalez, est bien ce truc morbide qui nous fait souvent préférer les fantômes aux vivants, ce truc de croque-mort fétichiste.

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Mais comme le montre la dernière séquence – hors l’épilogue sublime, qu’il ne faut absolument pas rater –, ce peut être aussi une expérience collective, salvatrice et libératrice, qui permet d’affronter ses monstres, droit dans les yeux. A ceux qui ont ce courage-ci s’ouvrent alors les portes du paradis.

Un couteau dans le cœur de Yann Gonzales, disponible en streaming sur Mubi