“Zorn I, II, III” : Mathieu Amalric au cœur du tourbillon John Zorn

Agitateur crucial de la scène avant-gardiste new-yorkaise, aussi turbulent que novateur, John Zorn cultive depuis les années 1970 un langage éminemment prospectif, en perpétuelle mutation, au confluent du jazz (plus ou moins free), de la musique...

“Zorn I, II, III” : Mathieu Amalric au cœur du tourbillon John Zorn

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Agitateur crucial de la scène avant-gardiste new-yorkaise, aussi turbulent que novateur, John Zorn cultive depuis les années 1970 un langage éminemment prospectif, en perpétuelle mutation, au confluent du jazz (plus ou moins free), de la musique contemporaine, du post-punk, de la musique de film ou encore de l’électronique. Hyper actif, à l’instar de cet autre inclassable zazou flamboyant qu’est Frank Zappa, il joue de plusieurs instruments (en particulier saxophone et orgue), compose, produit, jongle entre diverses formations – à commencer par Masada – et gère le label Tzadik. Véritable corne (Zorn?) d’abondance, sa discographie officielle a de quoi occuper pendant plusieurs mois celui ou celle qui voudrait la parcourir intégralement. Rien que pour 2023, on y dénombre pas moins de huit albums !

Précieux protagoniste du cinéma français, dont la fébrile singularité s’exprime à la fois comme comédien et comme réalisateur, Mathieu Amalric découvre l’univers musical de son aîné américain au début des années 2000, sur le tournage du film Un homme, un vrai (délectable comédie des frères Larrieu), via l’ingénieur du son Olivier Mauvezin qui lui fait écouter notamment The Big Gundown (1986), illustre album de reprises très décalées de morceaux d’Ennio Morricone. D’emblée, il plonge avec passion dans cet océan proprement inouï. Les deux hommes se rencontrent pour la 1ère fois par le biais de Shir Hashirim, une adaptation du Cantique des Cantiques par John Zorn, présentée au festival Jazz à la Villette en septembre 2009, Amalric endossant le rôle du récitant dans la version française, aux côtés de Clothilde Hesme. Suite à cette collaboration, des liens d’amitié vont se nouer rapidement, à la faveur en particulier d’un séjour du Français à New-York une semaine après ce concert parisien.

Une aventure au long cours

Initié en 2010, un projet commun de portrait filmé de Zorn pour une chaîne de télé tombe finalement à l’eau, trop compliqué à monter financièrement. “On a oublié la commande mais l’habitude de filmer est restée. Comme ça, sans raison, seul avec ma caméra et mes micros, lorsque nos chemins se croisaient. C’est devenu une respiration, une énergie, une vive rigueur qui, sans m’en rendre compte, ont teinté mes autres vies de cinéma (et pas seulement !), explique Mathieu Amalric dans un texte présentant cette aventure artistique et humaine au long cours. Au fil des années, le matériau vidéo s’accumule et, durant l’automne 2016, John Zorn suggère à son acolyte d’en faire un film. Sitôt dit sitôt fait – ou presque… Mathieu Amalric se lance alors à l’assaut de la montagne de rushes mis en boîte avec l’aide salutaire de la monteuse Caroline Detournay, “oreille absolue de sensibilité et de rythme”, écrit-il. De leur travail acharné en binôme va d’abord résulter Zorn I (2010-2016). Projeté pour la 1ère fois à la Philharmonie de Paris le 31 mars 2017, lors d’un week-end spécial Zorn, le film – 54 minutes – s’achève sur ces mots prometteurs : to be continued…

La suite annoncée ne tarde pas à arriver. Zorn II (2016-2018) – 59 minutes – surgit au mitan de l’été 2018, à Lisbonne, dans le cadre de l’excellent festival Jazz em Agosto, fêtant alors les 65 ans de John Zorn. Là encore, to be continued… De fait, Zorn III (2018-2022) – 1h18 – se dévoile en mars 2022 à Hambourg, dans l’imposante enceinte moderniste de l’Elbphilharmonie, et prolonge l’engagement des deux précédents : to be continued… Mêlant sans continuité chronologique des plans saisis pendant des concerts ou des répétitions, en coulisses, durant des sessions d’enregistrement, dans les rues de New York ou de Tokyo, Zorn I (2010-2016) adopte une forme très libre et mouvante. Pas de texte informatif ni de commentaire off. Seuls sont mentionnés, sur le générique de fin, les noms des musicien.nes qui figurent dans le film. Mathieu Amalric apparaît lui-même à l’écran, donnant de la voix sur des poèmes de Rimbaud, lors d’une séance d’enregistrement filmée de façon impromptue par John Zorn, dans un joli renversement des rôles.

Collage éclaté de fragments captés sur le vif de l’instant, Zorn II (2016-2018) procède de la même dynamique, particulièrement stimulante, à rebours de la platitude didactique. Ce deuxième volet se distingue toutefois du 1er par l’incrustation sur les images, à intervalles réguliers, de propos de John Zorn – entre notations autobiographiques, cogitations philosophiques et intentions artistiques.

Un intrépide magicien sonore

L’on découvre ainsi sa passion précoce (dès l’âge de 8-9 ans!) pour les films d’horreur, avec une fixation particulière sur Le Fantôme de l’opéra (1925) avec Lon Chaney, film fondamental dans son apprentissage musical car il l’a mené vers Bach puis vers les Doors, Iannis Xenakis, Györgi Ligeti, Olivier Messiaen ou encore Terry Riley. “J’écris des « incantations » (compositions) dans la langue magique (musique)“, peut-on lire également, à quoi font écho un peu plus tard ces mots, prononcés lors d’une répétition : “Ce n’est plus de la musique, c’est autre chose, plus seulement des notes sur le papier, c’est vraiment quelque chose de vivant. […] Il y a de la magie et il en faut. S’esquisse alors, en filigrane rouge, le portrait d’un intrépide magicien sonore mû par un goût du (grand) jeu et entièrement dévoué à son art. Sa vie déborde de musique autant que sa musique déborde de vie. Ces deux 1ers films sont jalonnés de moments où on le voit – de dos, de profil ou de face – absorbé dans une écoute profonde, hochant souvent la tête en cadence. De nombreux plans montrent également son visage s’illuminer, le regard plus vif que l’éclair. Si son nom signifie « colère » en allemand, tout en lui irradie la joie, enfantine et indomptable.

Dialogue compositeur-interprète

Un peu différent, nettement moins fragmenté, Zorn III (2018-2022) offre un parfait complément en se focalisant sur le processus créatif d’une œuvre particulière, en l’occurrence Jumalattaret (2012), pièce de 22 minutes pour piano et voix, confiée ici au pianiste Stephen Gosling et à la soprano Barbara Hannigan, compagne de Mathieu Amalric. Scandé dans sa 1ère partie par les échanges de mails entre John Zorn et Barbara Hannigan, celle-ci livrant à cœur ouvert ses appréhensions et ses hésitations face à la difficulté d’interpréter parfaitement cette pièce, le film offre un témoignage direct – et très touchant – sur le dialogue mené par le compositeur avec son interprète. En attendant le prochain volet, déjà en gestation, les trois 1ers films, réunis sous forme de trilogie, sortent à présent en salles et quittent ainsi le circuit strictement musical pour partir à la rencontre d’un autre public, au-delà du (large) cercle des fans de John Zorn. Apportant un écho idoine à cette sortie, la Philharmonie de Paris propose deux fastes soirées de concerts pour célébrer les 70 ans de John Zorn : Hannigan sings Zorn (mercredi 1er novembre) et Masada & Beyond (jeudi 2 novembre). Mathieu Amalric y sera, les oreilles et les yeux aux aguets. To be continued…

Zorn I, II, III de Mathieu Amalric, en salles le 1er novembre.
Soirées John Zorn les 1er et 2 novembre à la Philharmonie de Paris.