Avant les annonces de Castex, les stations de ski rongent leur frein

CORONAVIRUS - “Catastrophique.” Quand on demande à Sébastien Dufour, qui tient un magasin de location de skis du côté de Morzine, en Haute-Savoie, le bilan qu’il dresse du début de saison pour les professionnels de la montagne, sa réponse est...

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Du fait des restrictions sanitaires mises en place faceà l'épidémie de covid-19, les stations de ski françaises, à l'image de Villard-de-Lans, photographiée ici le 5 janvier dernier, ont dû innover pendant les vacances de Noël. Elles attendent désormais de savoir ce que le gouvernement leur prépare pour les semaines à venir.

CORONAVIRUS - “Catastrophique.” Quand on demande à Sébastien Dufour, qui tient un magasin de location de skis du côté de Morzine, en Haute-Savoie, le bilan qu’il dresse du début de saison pour les professionnels de la montagne, sa réponse est sans appel. 

Interdits de faire fonctionner les remontées mécaniques depuis décembre et ce qui aurait dû être le début de leur saison, tous les acteurs des sports d’hiver et les secteurs connexes (hôtellerie, restauration...) sont dans l’expectative. Mercredi dans la soirée, ils ont appris que les remontées mécaniques ne rouvriront pas ce jeudi 7 janvier comme cela avait été initialement envisagé. 

“Le gouvernement est bien conscient qu’il y a un besoin de visibilité pour le secteur de la montagne et on s’attache à leur donner le plus vite possible cette visibilité pour la suite de la saison”, a assuré à l’AFP le secrétaire d’État chargé du Tourisme Jean-Baptiste Lemoyne, précisant toutefois qu’aucune date ne devrait être fixée avant le Conseil de défense de la semaine prochaine.

Or à entendre les acteurs de la montagne, ils auraient bien besoin de réponses au plus vite, inquiets qu’ils sont de vivre une saison blanche. Sans mauvais jeu de mots. 

En 2019, la saison de ski a déjà été écourtée d’un mois par le premier confinement, entré en vigueur le 17 mars. Heureusement pour de nombreux professionnels que l’été a été particulièrement réussi, sans quoi les aides de l’État et la trésorerie engrangée sur la période estivale ne suffiraient pas à maintenir -difficilement en plus- l’économie locale à flot.

Une pression économique suffocante

Car si la plupart des acteurs que nous avons interrogés, qu’ils soient hôteliers ou loueurs de skis notamment, sont propriétaires d’une échoppe appartenant à leur famille depuis des décennies, pour les jeunes ou les personnes extérieures venus s’installer récemment, la pression du loyer commence à devenir suffocante. Et si le remboursement des emprunts et le paiement des charges patronales sont à nouveau demandés aux entrepreneurs français dans les semaines et mois qui viennent, la situation empirera encore un peu plus.

“Si on n’a pas les vacances de février, on court à la catastrophe”, insiste François Voiron, loueur à Samoëns, en Haute-Savoie: “Si on fait -70% ou -80% de chiffre d’affaires par rapport à l’année précédente et qu’on doit payer un loyer pour son magasin, les aides ne couvriront même pas les frais fixes...” Une pression économique qui se fait déjà sentir. Durant les deux semaines des vacances de Noël, de nombreux loueurs n’ont pas été capables de répondre à la demande, qui se tournait vers de nouvelles activités (skis de randonnée, raquettes...). Beaucoup craignaient d’investir lourdement sur du matériel spécifique et de devoir ensuite le garder à la réserve, du fait d’un nouveau confinement par exemple ou d’une demande changée par la réouverture des remontées mécaniques. 

De la même manière, raconte Arthur Hanse, moniteur aux Gets, les touristes venus pour les fêtes se sont heurtés à une surprenante pénurie d’hommes en rouge. “L’État a permis aux moniteurs, qui sont tous indépendants, de lisser leur chiffre d’affaires de l’an passé sur douze mois, et de toucher 100% d’un mois de revenu en décembre”, explique-t-il. Plutôt que de donner de rares cours -qui auraient été déduits de cette aide et sur lesquels il aurait fallu payer des charges- beaucoup ont préféré rester chez eux. 

Les saisonniers sans contrat ou au chômage partiel

Les entreprises, elles, comptent leurs sous en attendant des jours meilleurs. Sébastien Dufour, le loueur de Morzine, a eu recours au mois de juin à un prêt garanti par l’État (PGE) de 60.000 euros. La moitié a déjà été engloutie. Et surtout, au lieu de prendre un saisonnier et une vendeuse pour la saison, il n’a pu embaucher personne, se retrouvant seul dans sa boutique après avoir mis les autres employés au chômage partiel. “Si le PGE et les aides nous font tenir jusqu’à l’été, et qu’on arrive à refaire une belle saison estivale, on pourrait tenir jusqu’à l’hiver prochain. Mais en serrant les fesses...” 

Wilhelm, étudiant à Grenoble, avait l’habitude depuis plusieurs années de travailler comme “skiman” (c’est-à-dire d’assister les clients d’un magasin de location avec le choix de leur matériel) dans une boutique de Samoëns. Mais cette année, faute de touristes, son patron n’a pu l’embaucher pour les vacances. À la place, “heureusement” que le jeune homme a un job étudiant dans une pizzeria pour financer son parcours universitaire. 

Comme lui, ce sont d’innombrables saisonniers qui se retrouvent sans emploi en 2021. Comme nous l’explique Marc, responsable d’un club de vacances à Samoëns également, seuls quelques chanceux ont signé un contrat de quatre mois (la durée de la saison) avant d’être immédiatement mis au chômage partiel par leur employeur. Ils sont la garantie, dans les remontées mécaniques par exemple, que le secteur sera capable de redémarrer instantanément ou presque quand le gouvernement donnera son feu vert. 

Le grand vide des vacances de février

Mais pour l’heure, tout cela n’est qu’un serpent de mer. Laissés sans la moindre information depuis des semaines, les professionnels de la montagne ont tous fait une croix sur une reprise ce 7 janvier. À la place, ce jeudi lors de sa conférence de presse, le Premier ministre Jean Castex se contentera (peut-être) de faire des annonces visant à les rassurer. Les intéressés se montrent déjà sceptiques, avec l’impression que les informations et le discours officiel changent en permanence, qu’ils ne sont jamais tenus au courant, qu’ils ne peuvent simplement pas se projeter. 

D’ailleurs, beaucoup d’entre eux apparaissent défaitistes. Dans une bonne partie des Alpes, c’est d’ordinaire grâce aux Anglais qui viennent sur le week-end que les mois creux sont un minimum remplis. En 2021, ceux-ci seront confinés. Et pour les vacances de février, sans Belges, ni Néerlandais, ni donc aucun ressortissant britannique, c’est à se demander si la période pourra même être rentable, avec 30 ou 40% de la clientèle -exclusivement française- présente. “Sans février, cela signifie qu’on aura eu une saison blanche ou presque. Et là, il va y avoir du grabuge”, s’inquiète François Voiron.

Pour le moment, les réservations sont au point mort ou presque pour ces vacances. Les Français attendent de savoir s’ils pourront skier, manger au restaurant, aller boire un vin chaud et monter ensemble sur les télésièges pour s’engager. Sébastien Dufour n’a pas exemple plus reçu aucune demande de location de matériel depuis le 15 décembre. Olivier Duffaugt, hôtelier en Haute-Savoie, ne voit rien venir pour le mois de janvier, et à peine 20 à 25% de remplissage durant les vacances de février (contre 85 à 90% d’ordinaire à cette période), si personne n’annule. Et à Noël, ce n’est que grâce à son offre de spa et piscine (organisée dans le respect des règles sanitaires, avec pas plus d’un foyer à la fois) qu’il a pu attirer quelques rares clients, pour “deux-trois jours à chaque fois, pas plus”. Dans les stations, loueurs et hôtels ferment donc les uns après les autres en ce mois de janvier, espérant que des annonces positives ravivent la flamme et leur permettent à nouveau d’accueillir des touristes.

Dans les Vosges, c’est grand sourire

Une ambiance morose “digne d’un mois de novembre, quand on attend l’ouverture”, pour citer Olivier Duffaugt, confortée par l’incompréhension face aux mesures prises. Était-ce vraiment plus dangereux de monter sur un télésiège que d’aller s’agglutiner dans un centre commercial ?, se demandent nos interlocuteurs, bien conscients que la fermeture des pistes est aussi liée à la crainte d’accidents de ski qui auraient surchargé les hôpitaux. 

Pour voir un peu d’optimisme chez les professionnels de la montagne, il faut finalement se tourner vers ceux qui sont déjà habitués aux saisons perturbées par le changement climatique. À Gérardmer, où les Noëls sans neige sont devenus la norme, cela fait déjà plusieurs années que l’on s’organise pour pallier l’absence de ski alpin. Durant les vacances de Noël, les installations de ski nordique ont battu des records d’affluence, les restaurateurs et les hôteliers avaient fait front commun pour proposer des livraisons de nourriture dans les hébergements auxquelles contribuait tout le secteur du tourisme, et pour faire venir les touristes, l’accent a été mis dans la communication sur la présence d’une ville historique, d’un lac ainsi que d’une célèbre confiserie. 

Même sur le site traditionnellement dévolu au ski alpin, des activités annexes avaient été prévues. “C’était blindé pour monter en station alors qu’il n’y avait même pas de ski alpin au programme”, s’amuse-t-on au service du tourisme de la ville. 

Une ébauche des stations du futur

Un modèle qui pourrait inspirer les stations de haute montagne, à entendre Arthur Hanse, le moniteur des Gets. Si la plupart de ses collègues n’ont pas souhaité travailler pour des raisons économiques, on l’a vu, lui a tenu à enfiler la combinaison rouge à Noël. “J’ai voulu travailler pour proposer quelque chose aux gens restés fidèles à la montagne et pour leur faire découvrir le ski de randonnée, qui est une passion”, explique le jeune homme.

Avec sa compagne, ils ont aussi mis en place des chasses au trésor pour les enfants de trois à six ans qui découvraient le ski avec l’ESF. Et il se félicite que des touristes aient eu l’occasion de découvrir le ski de fond ou le biathlon, et que d’autres écoles de ski alpestres aient mis en place du yoga sur neige, du ski tiré par un cheval de trait... Bref des activités novatrices, qui seront peut-être au cœur des stations du futur, à mesure que le changement climatique et d’éventuelles crises sanitaires continueront de perturber le fonctionnement traditionnel des sports d’hiver. Avec l’exemple de son beau-frère, loueur de matériel, dont les vélos électriques ont connu un franc succès en cet hiver singulier. 

Entre la nécessité de respecter les directives sanitaires, d’être rentable pour les stations et l’envie de bien faire leur métier, les professionnels de la montagne sont tiraillés. Une saison blanche permettrait-elle de repartir sur de meilleures bases, avec une offre diversifiée? Faut-il rouvrir à tout prix quitte à perdre de l’argent du fait de l’absence des touristes étrangers et de Français qui privilégieront peut-être une destination exotique? Peut-on réellement faire du ski en toute sécurité alors même qu’au printemps 2020, de nombreux foyers épidémiques ont été détectés dans des stations européennes? À l’heure actuelle, la seule question qui unit tout un secteur est résumée par Olivier Duffaugt: “Comment est-ce qu’on démarre?” 

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