Covid-19: pourquoi les soignants ne se font pas vacciner avec AstraZeneca

COVID-19 - 400.000 doses du vaccin contre le Covid-19 produit par AstraZeneca dormaient encore dans les réfrigérateurs ce vendredi 5 mars. Des sérums, normalement réservés au personnel soignant, ainsi qu’aux pompiers, ambulanciers et aides...

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Une soignante au centre de vaccination contre le Covid-19, à Nice, le 6 mars 2021

COVID-19 - 400.000 doses du vaccin contre le Covid-19 produit par AstraZeneca dormaient encore dans les réfrigérateurs ce vendredi 5 mars. Des sérums, normalement réservés au personnel soignant, ainsi qu’aux pompiers, ambulanciers et aides à domicile, qui ont été redistribués ce week-end au grand public. Sur 600.000 doses livrées à destination des professionnels de santé, 75% des stocks n’ont pas fait l’objet d’une injection, indique le ministère de la Santé

Ce taux “ne suffit pas”, a tonné vendredi le ministre Olivier Véran dans une lettre publique exhortant les soignants à se faire vacciner “rapidement”. L’idée d’une vaccination obligatoire pour les soignants se dessine doucement, comme rappelé par le porte-parole de l’exécutif Gabriel Attal ce dimanche 7 mars dans un entretien au Parisien: “On fait d’abord le choix de la confiance mais cela reste une possibilité”, a-t-il prévenu. 

Les réticences vis-à-vis d’AstraZeneca, efficace à 80% au bout de deux doses selon la revue médicale The Lancet, existent bel et bien. Mais de fortes disparités existent au sein des professions. Début décembre, une enquête de Santé publique France révélait des “différences importantes entre les professions” médicales: si au total 68% des professionnels de santé libéraux déclaraient vouloir se faire vacciner contre le Covid-19, 80% des médecins généralistes et pharmaciens souhaitaient être vaccinés, contre 55% des infirmiers interrogés. Pour Michaël Schwarzinger, docteur en santé publique au CHU de Bordeaux, interrogé par Le Figaro, cet écart peut s’expliquer par une plus grande proximité des médecins avec le monde de la recherche, entraînant une conscience accrue de la balance bénéfice/risque. 

Le message brouillé du gouvernement 

Les réticences s’expliquent aussi par plusieurs semaines de confusion sur l’efficacité d’AstraZeneca qui ont brouillé le message du gouvernement. D’abord interdit par la Haute autorité de santé (HAS) sur les personnes âgées de plus de 65 ans en raison de données manquantes pour cette tranche d’âge, il est finalement autorisé le 1er mars pour toutes les classes d’âge. De quoi abîmer la confiance des professionnels en ce sérum britannique, en dépit des efforts de l’exécutif pour redorer son image. “Si c’est ce vaccin qui m’est proposé, je le prendrais”, a notamment lancé Emmanuel Macron le 25 février. 

Pour Benjamin Davido, infectiologue à l’hôpital de Garches et référent vaccin de son établissement, interrogé par LeHuffPost, l’hésitation des autorités à autoriser le vaccin aux plus de 65 ans a largement contribué à nourrir les réticences. “On a fait peur à tout le monde au départ en faisant croire qu’il y avait un vaccin pour les jeunes et un vaccin pour les personnes plus âgées”, fustige-t-il. 

À cela s’ajoute l’inconnue des variants sud-africains et brésiliens. Ils sont soupçonnés d’échapper à une partie de l’immunité et ont entraîné la suspension du démarrage de la campagne vaccinale en Afrique du Sud, qui se bat depuis plusieurs semaines contre le variant sud-africain. Un argument revendiqué par certains soignants, qui estiment que les professionnels de santé devraient être vaccinés avec Pfizer et Moderna, efficaces à 94%, plutôt qu’avec AstraZeneca.

“Pour les soignants très exposés au variant comme en Moselle, où les variants sud-africains et brésiliens circulent plus activement que sur le reste du territoire, il est plus logique d’utiliser un vaccin dont on est sûrs de l’efficacité contre les variants, a pointé auprès du HuffPost Thierry Amouroux, porte-parole du SNPI, syndicats des infirmiers. C’est comme pour les masques: les soignants portent bien des masques FFP2, plus protecteurs que les chirurgicaux.” 

“On va faire quoi? Travailler la nuit?”Baptiste Beaulieu, médecin généraliste

Outre ces incertitudes, les soignants pointent un manque d’organisation de la campagne, qui peut complexifier leur vaccination. Les effets indésirables, fièvre et frisson, dans la majorité des cas, entraînent notamment des déséquilibres dans les services de soins. S’ils montrent que le vaccin fonctionne, stimule la production d’anticorps et ne sont pas dangereux, ils génèrent parfois trop d’absentéisme. Des hôpitaux à Brest (Bretagne) ou à Saint-Lô (Normandie) sont allés jusqu’à suspendre temporairement la vaccination avec AstraZeneca en raison d’arrêts de travail trop fréquents.

“J’ai des collègues du même service qui étaient en arrêt un ou deux jours, ce qui pénalisait l’ensemble du service, déjà sur-sollicité pour le Covid”, a fustigé auprès du HuffPost Rachid Digoy, infirmier et président du collectif Inter-bloc. “Il faut échelonner la vaccination, organiser des roulements, sinon, on ne peut tout simplement pas se permettre d’être vaccinés”, ajoute-t-il. Ces dysfonctionnements peuvent même contraindre des soignants à réaliser des heures supplémentaires, pour remplacer leurs collègues malades.

Par ailleurs, en raison de leur agenda chargé, les soignants peinent parfois à trouver du temps pour se faire vacciner. Sur son compte Instagram, le médecin généraliste Baptiste Beaulieu a évoqué le rythme éprouvant des soignants, auquel s’ajoute le devoir d’immunisation. “On va faire quoi? Travailler la nuit?”, s’est-il insurgé, rappelant que la vaccination “prenait du temps”, entre le recueil des antécédents, du pouls, de la tension artérielle, etc. Et de conclure: “Avec 22 patients par jour, je fais ça quand?” 

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D’autant que les créneaux de vaccination sont souvent tôt le matin. “Les personnes non vaccinées ne le sont pas à cause d’un rejet d’AstraZeneca mais à cause de la difficulté à trouver un créneau!”, a dénoncé au HuffPost Laurence Boulou, infirmière du bloc opératoire du CHU de Toulouse et présidente du Syndicat national des infirmiers du bloc opératoire (Snibo). 

Manque de places dans les centres de vaccination 

Des créneaux accessibles tôt le matin.. mais aussi, rares. Bertrand Legrand, médecin généraliste à Tourcoing a confié au Figaro avoir “essayé de trouver des places tous les jours” pendant deux semaines, en vain. Jusqu’à réussir finalement à “trouver une place” la semaine dernière. Quant à sa femme, médecin également, elle a attendu trois semaines avant de pouvoir se faire injecter une précieuse dose d’AstraZeneca. 

Autre exemple éloquent, une soignante du GHU Paris Psychiatrie et Neurosciences du centre hospitalier de Sainte-Anne, à Paris, a expliqué auprès du HuffPost avoir tenté de s’inscrire à la vaccination, sans succès. “Au départ, j’appelais le numéro dédié de Sainte-Anne, ça sonnait dans le vide, raconte-t-elle. Je me suis donc déplacée et on m’a inscrite sur une liste”. Pour l’instant, elle n’a pas été rappelée. “C’est amusant, les injonctions, d’un côté à se faire vacciner, et de l’autre, le fait que je doive insister comme cela”, grince-t-elle. “C’est un vrai parcours du combattant de se faire vacciner”, commente de son côté Thierry Amouroux, qui dénonce une “communication immonde et contre-productive” du gouvernement. 

Des soignants déjà infectés par le Covid-19

Les chiffres de vaccination des soignants masquent enfin une autre réalité, celle des soignants déjà infectés au cours des derniers mois, qui n’ont pas d’autre choix que d’attendre avant de se faire administrer le sérum. Le 12 février dernier, la Haute autorité de santé a recommandé d’attendre de trois à six mois après la fin de symptômes avant d’envisager la vaccination pour les personnes qui ont contracté la maladie et de n’utiliser qu’une seule dose de vaccin. 

Or, depuis le début de l’épidémie, les hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ont identifié 11.900 cas d’infection au Covid-19, soit environ 12% du personnel selon des chiffres communiqués le 5 février dernier. Sur l’ensemble du territoire, 50.000 professionnels avaient été contaminés au Covid-19 en juin dernier selon les calculs effectués par BFMTV. L’infectiologue Benjamin Davido en fait partie: “Je ne demande qu’à me faire vacciner mais je dois attendre que mes anticorps disparaissent”, relève-t-il. Lui estime que le taux de soignants ayant développé des anticorps s’élève à 20% du personnel. 

Sur la vaccination avec AstraZeneca, le professionnel de santé se veut toutefois optimiste. La campagne va s’intensifier, selon lui, avec l’arrivée de doses supplémentaires d’AstraZeneca, de Pfizer et Moderna dans les départements. “On pourra ensuite cibler les soignants avec le vaccin le plus adapté. Les ARN messager pourront servir exclusivement dans les zones les plus touchées par les variants du Covid-19 par exemple”, estime-t-il. Pour faciliter l’accès des soignants aux vaccins, il imagine également un système où la vaccination serait “téléportée” dans les unités de soins, avec des équipes mobiles.

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