La folle saga d’Iggy Pop, “aimant à emmerdes” et loser magnifique

C’était pas censé durer aussi longtemps. C’était censé se consumer dans l’heure. Iggy Pop, pourtant, publie un nouvel album, Every Loser, le dix-neuvième en solo, qui divise la critique en deux fronts (grand enthousiasme vs. vieille fatigue),...

La folle saga d’Iggy Pop, “aimant à emmerdes” et loser magnifique

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Iggy Pop, 1993

C’était pas censé durer aussi longtemps. C’était censé se consumer dans l’heure. Iggy Pop, pourtant, publie un nouvel album, Every Loser, le dix-neuvième en solo, qui divise la critique en deux fronts (grand enthousiasme vs. vieille fatigue), preuve en est que les un·es comme les autres attendent toujours quelque chose d’Iggy.

Non pas qu’il casse ce jouet punk qu’il a lui-même créé avec les Stooges dès 1967. Non, ce n’est plus ça l’enjeu le concernant, mais de savoir si Iggy Pop, avec ses hauts et ses bas, est encore capable d’être assez méfiant envers le monde pour réussir là où tous·tes les autres, à commencer par nous, ont merdé : ne pas se fourvoyer. Et Every Loser, dans son éloge du minoritaire, tient encore fièrement son rang. Avec même de grands moments (The Regency).

Ce disque, au printemps, sera suivi d’une tournée mondiale lors de laquelle, à 75 ans, Iggy fera l’Iguane, se contorsionnera comme un beau diable, exécutera sa “danse du babouin” et à un moment ou à un autre se jettera dans la foule : le stage diving, il l’a inventé un soir de 1970, ne supportant plus de voir un public de babas allongé·es relax le regarder passivement massacrer toute convenance. Iggy continuera de faire de la scène son royaume et le théâtre d’un événement permanent.

La sauvagerie partout

On a encore en tête cette archive de 1973 sur laquelle s’ouvrait Gimme Danger, le documentaire de Jim Jarmusch sur les Stooges. Iggy, blessé, en train de gueuler : “Merci au type qui m’a lancé une bouteille sur la tête, tu as failli me tuer. Encore raté, mec. Reviens la semaine prochaine.” C’était il y a, hum, cinquante ans. Et chaque semaine depuis, Iggy continue d’en réchapper.

Il s’est payé de front toute la violence que sa musique, son insolence, sa candeur n’ont jamais cessé de provoquer. Iggy s’est pris toutes les bouteilles possibles. Celles d’un public mis en danger par sa présence, et d’autres, toutes aussi brisées, qu’il s’est lui-même plantées dans le corps : la dope, la folie. Aujourd’hui, il doit combattre la pire de toutes : l’âge. Prouver qu’il n’est pas fait comme nous autres.

Tout le monde a une bonne histoire à expliquer sur Iggy, cet aimant à emmerdes

Depuis quelques mois, les Parisien·nes peuvent voir en vitrine d’une galerie de la rue du Louvre une œuvre de l’artiste Donato Piccolo, qu’on a le droit de trouver laide, mais qui pose au moins le problème : une sculpture représentant Iggy Pop aujourd’hui, cheveux longs blonds, décolorés par le soleil américain sur un corps bionique de super-robot japonais.

À bien des égards, Iggy n’a plus rien d’humain. Il continue à faire, à l’âge où même regarder en entier un épisode de Derrick l’après-midi demande un effort de concentration démesuré, des trucs que nous autres n’étions plus fichu·es de faire passé 30 ans. “Ce qui ne tue pas rend plus fort” : OK, James Osterberg aka Iggy Pop est bel et bien notre héros nietzschéen, et tout le monde a une bonne histoire à expliquer sur Iggy, cet aimant à emmerdes.

Beau et abîmé comme un saint Sébastien

Le pire c’est qu’elles sont souvent vraies. C’est comme si ce mec était un agent provocateur magnétisant la sauvagerie partout où il passe. Et qui trouve encore matière à en rire. Et à la fin, l’histoire se termine toujours de la même manière : Iggy est par terre, Iggy est en sang, Iggy continue de hurler, le groupe derrière pousse le volume encore plus loin, et puis, soudain, Iggy sourit, de ce sourire irrésistible, décide que ce cirque a assez duré, se relève d’un saut félin et s’en va. Dans deux heures il sera avec la plus belle fille du concert.

Il y a cette histoire géniale entre toutes, qui doit dater de 1973, relevée dans le livre Please Kill Me – L’histoire non censurée du punk par ses acteurs, je crois (mais où est passé mon exemplaire ?), quand les Stooges commençaient à s’enfoncer dans une violence quotidienne dont eux-mêmes ne savaient plus dire si elle relevait de la haine de soi, de l’incapacité pathologique de faire autre chose que de pousser le bouchon plus loin, ou d’un simple malentendu.

Iggy donne un concert où, comme à chaque fois, le public décide de le combattre avec tout ce qui est à sa disposition : bouteilles, crachats, etc. Il sort de scène le corps lacéré de débris de verre. Il est beau et abîmé comme un saint Sébastien, le corps troué de flèches. Il dégouline de sang, mais comme en règle générale Iggy porte assez peu la chemise, cela ne l’embête pas plus que ça. Il a rencard avec un plan cul à l’autre bout de la ville, et il est en retard.

Sans même se doucher, sitôt le concert achevé, il sort du club et cherche un taxi. Et bien sûr, aucun yellow cab ne veut le prendre en charge. Pas grave, Iggy traverse toute la ville à pied. Quand elle lui ouvre et qu’elle le voit, blanc comme un cadavre qu’on aurait recouvert de tomata, la fille s’évanouit. Épuisé, Iggy s’écroule à son tour.

Dans sa mémoire

À bien des égards, la vie d’Iggy Pop est un film d’horreur réalisé sans trucage. À moins que tout cela soit la faute de sa trop grande humanité. Iggy humain, trop humain. Ce dont peut témoigner toute personne qui l’a déjà rencontré. Parler deux heures avec Iggy Pop est une expérience dont on ressort changé, galvanisé par la force. Ce type vous fait un hug et vous voilà ressourcé pour dix ans.

On a la prêtresse Amma que l’on mérite. Chaque apparition sur scène d’Iggy est semblable à une cérémonie où des foules viennent puiser leur énergie vitale chez ce petit bonhomme désarticulé, au buste et à la tête montés dans le mauvais sens, et qui pourtant diffuse une sensation de puissance inouïe. Chaque riff est comme un darshan. Le négatif se transforme en positif.

Iggy est un ordinateur qui enregistre et analyse tout ce qui lui arrive

L’explication à ce phénomène extraterrestre nommé Iggy Pop n’est pas à trouver dans l’alimentation (Iggy mange très sain, japonais, il paraît) ni dans l’exercice quotidien, ni dans la baise ou la méditation. Il est dans sa mémoire. Car c’est cela la chose la plus insolente avec lui : Iggy Pop, le Stooge (littéralement “l’abruti” : tu causes, il est d’une intelligence et d’une culture prodigieuses), Iggy le KO se souvient de tout. Il peut expliquer chaque moment de sa vie, chaque rencontre, chaque fille, chaque ami·e dans chaque ville.

Vous lui causez de tel héros parisien novö rencontré à Paris en 1977, il entre tout de suite dans le détail. Iggy est un ordinateur qui enregistre et analyse tout ce qui lui arrive. C’est sa mémoire qui le tient. C’est elle qui exige de lui une droiture, pour ne pas avoir à porter en permanence un truc honteux, une trahison. Elle est l’inactualité qui le fonde. Iggy n’a pas 75 ans, il en a pour toujours 25, mais plus chargé de souvenirs que s’il avait 1 000 ans.

Every Loser (Atlantic Records/Warner). Sorti depuis le 6 janvier. En tournée et le 8 juillet au festival Musilac, Aix-les-Bains, le 11 juillet à Lyon (Groupama Stadium).