Le vaccin AstraZeneca suspendu: quand la précaution l'emporte sur le principe

SCIENCE - Il fallait lui faire confiance dimanche, il est suspect lundi. En moins de 24 heures, le gouvernement français a changé son fusil d’épaule en suspendant le vaccin décidément maudit d’AstraZeneca.L’exécutif suit ainsi le chemin emprunté...

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SCIENCE - Il fallait lui faire confiance dimanche, il est suspect lundi. En moins de 24 heures, le gouvernement français a changé son fusil d’épaule en suspendant le vaccin décidément maudit d’AstraZeneca.

L’exécutif suit ainsi le chemin emprunté par une dizaine de pays depuis quelques jours, et par l’Allemagne quelques minutes avant lui. La cause: une crainte d’un effet indésirable rare, la formation de caillots sanguins. Aucun élément factuel ne permet pour l’instant de prouver que c’est bien le vaccin qui provoquerait ce problème médical, qui touche malheureusement des dizaines de milliers de personnes tous les ans en France. Mais certaines données préliminaires inquiètent les autorités de chaque pays. 

L’Agence européenne du médicament (EMA) a déclaré qu’elle examinera les données disponibles ce mardi 16 mars et qu’elle se réunira jeudi au sujet d’AstraZeneca, tout en confirmant une nouvelle fois que “les avantages du vaccin l’emportent toujours sur les risques”. L’OMS organise de son côté une réunion mardi pour discuter de la situation, alors que l’organisation a exhorté à continuer de vacciner. “Il ne semble pas y avoir plus de cas [de caillots sanguins, NDLR] que ce que l’on s’attend à trouver dans la même période en population générale”, a précisé Mariangela Simao, directrice adjointe de la section vaccin de l’OMS, citée par le journaliste Kai Kupferschmidt.

Ces décisions politiques de précaution étonnent une partie du monde médical et scientifique. De nombreux États du vieux continent sont soit confrontés à une énième vague de Covid-19, soit sous le joug de restrictions drastiques pour limiter la propagation du coronavirus, soit, comme la France, confrontés à ces deux problèmes simultanément.

Pourquoi, dans de telles conditions, réagir aussi promptement à un possible risque d’effet secondaire touchant quelque 0,0006% des vaccinés? Pour parler de la suspension de nombreux pays européens, l’OMS comme l’EMA parlent d’une “précaution”.

Le vaccin, médicament le plus sûr du monde

Le principe de précaution est en effet poussé à l’extrême pour les vaccins. Logique en un sens: c’est un traitement préventif, que l’on administre à une personne saine. Quand vous avez une maladie qui a 50% de risque de vous tuer et qu’un médicament vous protège tout en ayant 5% de risque d’entraîner des complications, la “balance bénéfice-risque” est vite calculée.

Pour un vaccin, c’est plus compliqué. C’est pour cela qu’ils sont tant surveillés, tant étudiés même après avoir été administrés à une population entière (plus d’informations à ce sujet ici). Même un risque de complication touchant une personne sur 100.000 devient problématique. En théorie.

Car on parle ici d’une pandémie et non d’une maladie qui circule depuis des années et que l’on tente d’éradiquer. En dehors des restrictions que nous connaissons trop bien, le seul moyen de limiter le macabre bilan du Covid-19, c’est le vaccin.

Car il faut bien comprendre que sans vaccin, des dizaines de milliers de personnes mourront du Covid-19 en Europe et probablement des centaines de milliers dans le monde. C’est un élément essentiel à prendre en compte dans la balance bénéfice-risque. D’autant plus que les personnes actuellement vaccinées sont avant tout des citoyens susceptibles de développer des formes graves de la maladie.

Précaution et dominos

Alors, comment expliquer cette cascade de suspensions d’AstraZeneca? Un effet domino semble à l’oeuvre. Les décisions italiennes et françaises ont suivi de près l’annonce allemande. Elles ont elles-mêmes poussé l’Espagne à convoquer une réunion de crise pour se prononcer sur la question et finalement suivre ses voisins en fin d’après-midi.

Un effet domino qui s’explique aussi par de nouveaux signalements repérés dans différents pays. C’est ce que précise l’Agence française de sécurité du médicament dans un communiqué publié ce lundi soir. “Suite à la survenue de nouveaux cas inattendus d’événements thromboemboliques et de troubles de la coagulation dans plusieurs pays européens, nous avons recommandé de suspendre temporairement par mesure de précaution l’utilisation du vaccin AstraZeneca en France”, peut-on lire. Mais il est précisé juste après que “rien n’indique à ce stade que ces événements sont en lien avec la vaccination”.

Quels sont ces cas, justement? 10 cas de caillots sanguins ont été dénombrés par les Pays-Bas lundi, 24 heures après avoir suspendu le vaccin. Un deuxième décès a été repéré en Norvège, celui d’une soignante de moins de 50 ans. L’Allemagne a de son côté noté “une accumulation frappante d’une forme de thrombose veineuse cérébrale très rare”. 7 cas pour 1,7 million de vaccinés. Cela semble peu, mais il faut rappeler que cette maladie ne touche qu’entre 2 et 5 personnes par million d’habitants tous les ans.

De quoi justifier ce principe de précaution? Pas sûr. Quelle est la valeur statistique de ces chiffres allemands? Cela pourrait être un simple manque de chance, surtout que les personnes vaccinées sont majoritairement âgées ou avec des comorbidités, ce qui pourrait peut-être augmenter le risque de thrombose? En Grande-Bretagne, où près de 10 millions de personnes ont reçu le vaccin AstraZeneca, seuls 3 cas de thrombose veineuse cérébrale ont été diagnostiqués. 

Il est clair qu’au vu des données disponibles, il est absolument impossible de dire avec certitude qu’une injection d’AstraZeneca augmente le risque de développer ce trouble rare. Il faudra des analyses statistiques rigoureuses pour clarifier cela. Par précaution, de nombreux pays ont préféré doubler les autorités de santé européennes et mondiales.

Quelles conséquences si le vaccin est sûr?

En agissant ainsi, elles espèrent prévenir plutôt que guérir en cas de vrai problème. Et si le vaccin se révèle sûr, comme ce fut le cas après les doutes sur l’efficacité d’AstraZeneca sur les personnes âgées ou après les alertes norvégiennes sur les décès liés à Pfizer? Alors les gouvernements auront montré qu’ils font preuve d’une tolérance zéro face aux risques liés aux vaccins.

Si l’on fait abstraction du retard dans la campagne de vaccination, seule voie de sortie face à la pandémie, cela semble être un pari gagnant-gagnant. Mais ce serait oublier que le doute jeté ne s’efface pas aussi vite que les décrets de suspension. En France comme en Allemagne, où les politiques ont vivement critiqué AstraZeneca, les citoyens font bien moins confiance au vaccin britannique qu’à Pfizer/Biontech et Moderna. C’est pourtant celui qui pourrait être le plus disponible en France en mars.

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