Leila Bordreuil : “Je suis à la recherche d’un son magique, qui guérit, tue, retourne le cerveau”

Retrouvez les volets précédents de notre série  [1/4] Les beaux jours de la musique expérimentale [2/4] Félicia Atkinson : “Il y a une nécessité de silence, de secret, de retrait dans un travail artistique” Ce matin, assise à la terrasse d’un...

Leila Bordreuil : “Je suis à la recherche d’un son magique, qui guérit, tue, retourne le cerveau”

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Retrouvez les volets précédents de notre série 
[1/4] Les beaux jours de la musique expérimentale
[2/4] Félicia Atkinson : “Il y a une nécessité de silence, de secret, de retrait dans un travail artistique”

Ce matin, assise à la terrasse d’un café, rue Martel à Paris, elle vous renvoie une énergie sans pareille : ce qui l’anime, face à vous, c’est une envie très prégnante d’être en vie, et de trouver le son absolu. Cette même vitalité sourd aussi de ses disques et concerts à la manière d’une tension constante.

Cette jeune musicienne, à peine trentenaire, fait partie d’une génération qui cherche à renouveler la musique par le bruit. Durant l’entretien, elle expliquera que le petit tremblement qui agite souvent ses mains lui a donné une technique pour jouer de son instrument, le violoncelle, et le garder, surtout en concert, toujours dans cet état de tension permanent.

Très tôt immergée dans le son

Née à Brooklyn, d’une mère américaine anthropologue et d’un père français sociologue, puis installée dans le sud-est de la France, à Aix-en-Provence, Leila Bordreuil, qui est retournée vivre à Brooklyn, est très tôt immergée dans le son. Très jeune, à Aix, elle assiste à ses 1ères messes musicales : des concerts techno, des raves aux alentours.

“À une époque, les DJ du label BPitch Control Sascha Funke et Paul Kalkbrenner avaient loué une villa et faisaient venir des gens comme Ellen Allien. On faisait la fête là-bas.” À la même époque, à Aix, le festival Seconde Nature invite des artistes comme Jeff Mills, Carl Craig, Ryoji Ikeda, mais aussi des compositeurs comme Bernard Parmegiani, figure de la musique concrète. “J’ai été stagiaire à Seconde Nature, explique Leila, le festival était dirigé par un étudiant de mon père, qui était sociologue. Son élève faisait son doctorat sur la techno…”

Elle se retrouve à 14 ans dans des raves, avec ses parents venus là en sociologues, en observateurs. “C’est sûrement ça qui m’a fait apprécier la noise : le mur du son des raves, construit à partir d’une multitude d’enceintes. Chacun venait avec les siennes, une expérience ultra-physique.” De 18 à 22 ans, Leila est DJ, mais arrête vite : “J’aimais la techno, mais les machines ne m’intéressaient pas. Ce qui me plaît, c’est le processus des choses. Aujourd’hui, je n’utilise jamais de pédales d’effets. Tout est dans le choix du micro, avec le volume que je choisis, le type d’enceintes, les amplis cassés…”

“La noise, c’est la liberté totale : il n’y a pas de majeure, de mineure, de requiem ou d’hymne, ça ne te dit pas comment te sentir”

Partie à 17 ans faire ses études de philosophie et de musique aux États-Unis, dans une université à une heure de New York, elle découvre à 22 ans, grâce à une de ses enseignantes, le travail de Maryanne Amacher, Éliane Radigue, Gérard Grisey. Des œuvres dans lesquelles le son peut être dense, long, intense, dévoilant des harmoniques parfois presque psychédéliques, aux confins du bruit, de la noise.

Est-ce cela que Leila Bordreuil cherche ? “La noise, c’est la liberté totale : il n’y a pas de majeure, de mineure, de requiem ou d’hymne, ça ne te dit pas comment te sentir. J’ai l’impression en ce moment que ma vie est comme la noise : je ne suis pas calculatrice, je n’ai pas d’ambitions spécifiques de carrière, je vis au jour le jour, je rencontre des gens, ils m’inspirent, je travaille avec eux et je vois où ça me mène. Je suis libre et un peu perdue aussi : c’est la vie en freelance, je ne sais pas quand arrivera le prochain chèque, le prochain concert. Mais mon dieu, c’est le son ; je suis à la recherche d’un son magique, pur, qui guérit, tue, retourne le cerveau et affecte n’importe qui. C’est ce que j’essaie de faire dans mes lives très physiques : même si tu n’aimes pas ma musique, tu la ressens quand même…”

Entre deux mondes

On comprend vite la singularité de Leila Bordreuil, qui, tout en semblant vivre entre deux mondes, entre la France où ses parents demeurent et Brooklyn où elle a organisé sa vie, est d’une assurance très claire. Dans sa façon d’être et de jouer, il n’y a pas de place pour des compromis ou des entre-deux. Elle explique, par exemple, qu’elle fait partie d’un collectif à Brooklyn qui s’occupe d’une salle de concerts clandestine dont chaque membre s’est promis de ne pas en dévoiler le nom de peur d’y attirer trop de monde, de compromettre l’endroit et sa programmation. Une attitude tellement aux antipodes du tout-venant des réseaux sociaux qu’elle en apparaît d’un coup lumineuse, saine et totalement inédite.

Pour vivre heureux, vivons cachés ? C’est à peu près cela, même si Leila Bordreuil ne se cache pas et dit bien ce qui l’anime plus que tout, cette quête dont elle cause sans cesse : “Je cherche toujours ce son, que je ne trouverai peut-être jamais.” Et l’on sent bien, dans le fond de sa voix et de ses yeux, qu’il s’agit bien là de la chose la plus belle qui habite les musiciens les plus précieux : une obsession si intime qu’elle en forge votre vie. Brian Wilson des Beach Boys, Kevin Shields de My Bloody Valentine, John Coltrane, Brian Eno ou les Japonais Satoshi Ashikawa et Hiroshi Yoshimura : leurs œuvres sont hantées et l’on imagine bien celle de Leila s’inscrire dans ce même horizon entêté.

Ces jours-ci, elle sort un lathe cut [vinyle entièrement pressé à la main], Snow Day, disponible via Bandcamp qui contient deux morceaux récents. Elle les a envoyés par mail après notre entrevue, et depuis leur écoute se fait en boucle : leurs dix minutes célestes et englouties, bourdonnantes et élevées font déjà partie de notre panthéon des sons les plus prenants entendus cette année. “Je cherche toujours ce son.” Elle n’est pas loin de l’avoir trouvé.

leilabordreuil.bandcamp.com