Maltraitance animale: la corrida, un tabou politique

BIEN-ÊTRE ANIMAL - “J’ai été choqué. Je ne m’explique pas cette absence dans le texte”, confie d’emblée au HuffPost le député LR des Alpes-Maritimes, Éric Pauget. Comme l’ensemble de ses collègues de l’Assemblée nationale, il étudiera jusqu’à...

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Un matador touchant un taureau lors des férias de Dax le 15 août 2019 (Photo by IROZ GAIZKA / AFP)

BIEN-ÊTRE ANIMAL - “J’ai été choqué. Je ne m’explique pas cette absence dans le texte”, confie d’emblée au HuffPost le député LR des Alpes-Maritimes, Éric Pauget. Comme l’ensemble de ses collègues de l’Assemblée nationale, il étudiera jusqu’à vendredi dans l’hémicycle une proposition de loi sur la maltraitance animale portée par les députés LREM Loïc Dombreval et Laëtitia Romeiro Dias. Sauf “qu’à aucun moment le texte n’aborde ou ne fait mention de la corrida”. 

Il y est bien question de stériliser les chats errants, de durcir les sanctions contre la maltraitance, d’interdire progressivement les animaux sauvages dans les cirques itinérants... Mais, la corrida -comme la chasse à courre ou l’élevage intensif- est une grande absente alors que les enquêtes d’opinions montrent qu’une large majorité de Français est toujours plus favorable à son interdiction.

Selon un baromètre réalisé par l’Ifop pour la Fondation 30 millions d’amis et dont les résultats ont été dévoilés ce mardi 26 janvier, 75% des Français souhaitent son interdiction.

Une progression de 25 points par rapport à 2007, et une proportion plus grande que le nombre de Français souhaitant l’interdiction des animaux sauvages dans les cirques. 

Eric Pauget a bien tenté de remettre le sujet sur la table par le biais d’amendements, mais tous ont été jugés irrecevables. Celui qui demandait d’interdire les spectacles de corrida aux moins de 16 ans, comme celui qui visait à supprimer l’exception dont bénéficie la corrida dans le Code pénal. Actuellement, l’article 521-1 réprime les actes de cruauté contre les animaux, sauf pour “les courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée”. Aujourd’hui, un peu moins d’une cinquantaine de communes sont adhérentes de l’Union des villes taurines françaises, une association qui veille à l’application du règlement taurin municipal, destiné à assurer la défense et la sauvegarde des courses de taureaux avec mise à mort. 

“Cela veut dire que le gouvernement et la majorité ne veulent même pas aborder le sujet, alors que pourtant on parle d’une pratique où il est question de torturer un animal dans une arène. Je ne comprends même pas le calcul politique puisque les enquêtes d’opinions montrent une véritable prise de conscience de la population”, déplore le député tout en rappelant que la Catalogne a interdit la corrida depuis 2010.

La corrida n’est ni de gauche ni de droite

La corrida est-elle un sujet inflammable sur le plan politique? Selon L’Opinion, elle l’est en tout cas dans la majorité. Le quotidien se fait ainsi l’écho de larges dissensus au sein de LREM. Ainsi si Loïc Dombreval et Aurore Bergé, en charge du texte pour la majorité, se sont plusieurs fois dans le passé montrés favorables à l’interdiction de la corrida aux moins de 16 ans, ce n’est pas du tout le cas d’autres poids lourds de la majorité et notamment du ministre de la Justice. Éric Dupont-Moretti est un fervent défenseur de la corrida. En 2019, il avait signé une tribune avec de nombreuses personnalités, dont Pierre Arditi, Charles Berling, ou encore Jean Reno, intitulée: “La corrida est un art, et nul ne doit en être exclu”.

Si ces dissensions touchent aussi évidemment les autres formations politiques, au sein de la majorité elles ne se limitent pas à la corrida et ont ainsi également empêché d’inscrire l’interdiction de la chasse à courre dans le texte, a expliqué Aurore Bergé sur franceinfo. “Il faut un consensus pour inscrire un texte à l’ordre du jour”, a-t-elle notamment rappelé. 

Son collège Loïc Dombreval, abonde lui aussi dans L’Opinion sur la nécessité de pouvoir in fine voter le texte: “Malheureusement, le sujet de l’animal est tout de suite passionnel et manque de raison. Si on ajoute la chasse, la corrida et l’élevage en débats, on ne se comprend pas, on se hurle dessus et à la fin il n’y a rien qui bouge. C’est un texte limité et cintré. Mais une bonne loi est une loi votée” . 

Crispation économique et culturelle

Les crispations autour de la corrida ne sont évidemment pas nouvelles, et si le sujet continue de diviser c’est parce qu’il se trouve au carrefour de plusieurs enjeux: culturels, sociaux et économiques. “Les enjeux de l’élevage et de la chasse sont portés par des groupes de pression importants qu’Emmanuel Macron tente de ménager. Avec la corrida, il y a une dimension régionale importante. Or depuis le début de son mandat, le président éprouve des difficultés avec les territoires. En touchant à ce sujet, il y a la crainte de réactiver la querelle d’une autorité parisienne et bureaucratique qui s’en prendrait à une spécificité culturelle régionale. Il y a dans l’ADN de LREM une prégnance de l’écologie mais qui se retrouve confronté au pouvoir et donc à la nécessité de ménager des électorats”, détaille ainsi pour Le HuffPost, Daniel Boy, directeur de recherche émérite à Science-Po. 

En parallèle, estime également le spécialiste, la classe politique peine à prendre en compte les évolutions qui traversent la société. En matière de bien être animal, celles-ci ont été portées par le Parti animaliste, véritable surprise des élections européennes de 2019 avec 2,2% des voix. Mais pas que. “Les partisans de la corrida font souvent valoir son côté artistique et noble, son importance dans l’identification régionale. Mais ils mettent aussi en avant des valeurs de virilités ou de risque. Or ces dernières sont des valeurs qui sont de plus en plus contestées en France”, détaille ainsi Daniel Boy.

Des arguments culturels qui expliquent en partie la frilosité politique à suivre l’opinion publique, mais qui ne doivent pas écarter complètement les enjeux économiques qui entourent la corrida. “Pour moi, le facteur économique dépasse même les justifications sociales et culturelles. Par exemple, le cirque peut perdurer sans animaux sauvages, mais la corrida sans mise à mort, c’est une simple course. Interdire la corrida, ça implique de mettre un terme à tout un circuit d’élevage et de tourisme, qui touche aussi aux communes et aux collectivités. Dès qu’on parle d’interdire la corrida, on parle de suppression d’emplois”, abonde ainsi Régis Bismuth, professeur à l’École de droit de Sciences Po, et auteur en 2015 de “Sensibilité animale”, contacté par le HuffPost. Dans ses amendements, Éric Pauget prévoyait à cet égard une période de sept ans pour aider la filière à se reconvertir. 

L’estocade

Si l’estocade ne vient pas du législateur, de nombreux observateurs estiment toutefois qu’elle pourrait venir de la corrida elle-même. Une vision partagée notamment par le philosophe Francis Wolff, auteur de “Philosophie de la Corrida” en 2007 et qui confiait en février dernier à Arles-Infos: “Elle survit actuellement dans des sociétés qui peuvent de moins en moins la comprendre, et l’assimilent de plus en plus à une pratique barbare et archaïque (...) Si un jour il n’y a plus de public, ou de jeunes gens prêts à risquer leur vie, ou de taureau de combat, la corrida disparaîtra progressivement, de mort naturelle. Ce qu’il faut éviter, c’est un assassinat qui vienne de l’extérieur, par des gens qui ne la comprennent pas”.

Pour Régis Bismuth, c’est finalement le pouvoir juridique qui pourrait donner le dernier coup d’épée. “Il y a en ce moment beaucoup de procès de la part d’associations de défense des animaux qui attaquent en interrogeant justement l’interprétation de l’exception dans le Code pénal. Un juge fera peut-être sauter ce verrou à un moment, et là il sera plus facile pour le législateur de l’interdire sans trop de risque”, détaille-t-il. Alors qu’elle avait été déboutée à l’automne dans une action similaire, la SPA avait argué: ”à force d’en parler, on va bien finir par avoir l’oreille du législateur”. Ce ne sera pas pour cette fois.

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