#MeTooGay: pourquoi les hommes gays sont particulièrement exposés aux violences sexuelles

ENQUÊTE - Leurs témoignages avaient fait l’effet d’une déflagration. En janvier dernier, plus de trois ans après la vague #MeToo, des milliers d’hommes gays se sont saisis du hashtag #MeTooGay pour dénoncer les violences sexuelles qu’ils ont...

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Un activiste LGBT+ porte une pancarte

ENQUÊTE - Leurs témoignages avaient fait l’effet d’une déflagration. En janvier dernier, plus de trois ans après la vague #MeToo, des milliers d’hommes gays se sont saisis du hashtag #MeTooGay pour dénoncer les violences sexuelles qu’ils ont subies.

Un mouvement initié par un homme, Guillaume, qui accusait de viol l’élu parisien Maxime Cochard et son compagnon. “Je considère qu’ils ont profité de ma jeunesse, de ma naïveté, du fait qu’en raison de problèmes familiaux je n’avais pas vraiment d’endroit où dormir, de leurs responsabilités au sein du PCF pour avoir des relations sexuelles non consenties avec moi”, avait écrit sur Twitter le jeune homme de 21 ans, décédé le 9 février dernier.

“Ça a tout de suite rebondi sur des vécus très personnels et singuliers allant de l’inceste aux violences au sein de la communauté”, analyse pour le HuffPost Gabriel Girard, sociologue à l’Inserm et spécialiste des questions LGBT+. Une vague de témoignages salvatrice, mais tardive. Comment expliquer que cette parole ait mis tant de temps à se libérer et à être entendue ?

Gabriel Girard se souvient qu’il “y avait déjà eu des tentatives de lancer un #MeTooGay par le passé, notamment au moment de l’affaire Kevin Spacey”. “Mais il n’y avait pas eu quelque chose d’aussi massif en France, constate-t-il, jugeant que “les esprits étaient enfin prêts à recevoir cette parole et les réseaux sociaux servent de caisse de résonance”.

Une prévalence difficile à expliquer

Ces récits interviennent plusieurs mois après la publication, en septembre 2020, d’un article de Vice: “A la recherche du #MeTooGay”. Son auteur écrivait en préambule que “de leur enfance jusqu’à l’âge adulte, les gays vont être fortement exposés aux violences sexuelles”. Une affirmation confirmée par les résultats de l’enquête INED, menée en France par Mathieu Trachman et Tania Lejbowicz, publiés en novembre 2020. 

Les résultats de cette étude montrent notamment que les hommes gays sont près de huit fois plus exposés aux violences sexuelles intrafamiliales que les hommes hétérosexuels (5,4% contre 0.7%). Ces violences, qui regroupent les sévices commis par les membres d’une même famille, mais aussi par les proches côtoyant quotidiennement ce cercle, sont pour la quasi-totalité infligées sur des mineurs.

Nicolas Martin, producteur à France Culture, est l’un de ceux qui a témoigné en janvier dernier de l’inceste qu’il a subi. “J’avais 11 ans, et un corps d’enfant , a-t-il écrit sur Twitter (...) Ça a duré six ans”.

“On observe depuis une vingtaine d’années dans les études internationales une forte prévalence de violences sexuelles intrafamiliales, avec des taux très variables, chez les minorités sexuelles, et notamment chez hommes gays”, confirme auprès du HuffPost Mathieu Trachman, co-auteur de l’étude.

Violences sexuelles homophobes

Un phénomène difficile à expliquer. D’abord à cause du manque de données sur le sujet, mais pas uniquement. Gabriel Girard et Mathieu Trachman avancent toutefois plusieurs hypothèses. Pour le premier, l’expression d’une “féminité” chez de jeunes garçons peut servir de prétexte à ces violences sexuelles. Des violences souvent subies dès le plus jeune âge, y compris chez des enfants qui ne s’identifient pas comme gays.

“Pourquoi de jeunes garçons se font traiter de ‘pédés’ au plus jeune âge ?”, questionne-t-il. “Parce que leurs camarades de classe identifient chez eux une expression de genre qui ne correspond pas aux attendus. On peut imaginer que cela se passe aussi chez les adultes à travers une homophobie stricte, mais aussi des abus et des violences sexuelles.” 

“Les violences sexuelles se comprennent comme une manière pour les hommes de faire usage de la sexualité pour rappeler aux femmes les normes du genre, abonde Mathieu Trachman. Cela pourrait aussi valoir pour les gays”.

Le co-auteur de l’étude issue de l’enquête VIRAGE évoque également une propension à “identifier et à rapporter” des violences sexuelles des hommes gays plus grande que celle des hétérosexuels, même si la “surexposition n’est pas discutable”. “Les gays ont des parcours sexuels spécifiques, marqués par un plus grand nombre de partenaires, une certaine diversité sexuelle, qui peut alimenter une certaine réflexivité vis-à-vis de ces expériences sexuelles”, explique-t-il.

Plus de difficultés à construire son identité sexuelle

Des violences qui ne sont pas sans conséquence sur la construction de l’identité, notamment sexuelle, de ces hommes. “Cela a évidemment un impact sur leur estime de soi ou leur bien-être”, constate la sexologue Nadège Pierre, qui officie notamment au centre de santé sexuelle 190 à destination des hommes gays et bis. “Certains ont par exemple complètement stoppé certaines pratiques sexuelles”.

Je n’ai pas eu de rapports sexuels avec pénétration pendant les six ans qui ont suivi mon agression, confie Kevin, un jeune homme de 28 ans, originaire de Reims, et agressé il y a quelques années à Paris. “J’avais associé cette pratique à la douleur et au traumatisme”.

Mais la famille n’est pas l’unique lieu où l’on observe une prévalence des violences sexuelles chez les hommes gays. Toujours selon l’enquête VIRAGE, un homme gay a trois fois plus de chance de subir des violences sexuelles dans l’espace public au cours de sa vie qu’un homme hétérosexuel (11,1% contre 4,1%).

On parle ici des violences sexuelles homophobes, comme les viols punitifs ou les agressions, mais aussi de violences exercées au sein même de la communauté LGBT+, parfois entre les murs d’espaces dits “safe”. “Nos données ne permettent pas toujours de savoir si ces violences ont lieu entre hommes gays ou bisexuels”, note toutefois Mathieu Trachman.

“Je n’avais aucune clé de compréhension de la sexualité gay”

On retrouve en tout cas de nombreux récits relatant des agressions sexuelles ou des viols subis au sein même de la communauté gay parmi les témoignages du #MeTooGay. C’est ce qui est arrivé à Kevin, le Rémois de 28 ans.

Le jeune homme avait suivi un garçon rencontré dans un club gay parisien un soir. Ce dernier l’avait conduit dans une cour d’immeuble et contraint à un rapport sexuel très brutal. “J’étais allongé à plat ventre sur le sol, plein de poussière, se souvient Kevin. Je lui ai dit que ça ne me plaisait pas et que j’avais mal, mais il n’a rien voulu entendre. Alors au bout d’un moment j’ai déconnecté et je l’ai laissé faire”.

“En arrivant à Paris, je n’avais aucune clé de compréhension de la sexualité gay, confie le jeune homme au HuffPost. On me parlait souvent de pratiques brutales et j’avais l’impression que ça faisait partie du jeu. Que c’était le prix à payer pour faire partie de ce milieu”. 

Pour Gabriel Girard, cet aspect de “l’éducation” est crucial. “La découverte de la sexualité gay peut être très compliquée, encore aujourd’hui, malgré les avancées légales”, estime le chercheur. “On débarque et on ne sait pas grand-chose des codes ou des manières d’être aux autres. L’apprentissage se fait sur le tas, souvent par imitation. C’est difficile d’arriver à comprendre ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas nécessairement, et de réussir à se fixer ses propres limites”.

Un avis que partage Hugues Fischer, militant historique d’Act-Up Paris. “On a beaucoup moins de référentiels au départ et on apprend les relations sur le tard. Il n’existe pas d’éducation sexuelle gay.”

Gabriel Girard croit d’ailleurs qu’on “pourrait aller plus loin dans les cours d’éducation sexuelle” et sur les questions de consentement. La ministre déléguée Élisabeth Moreno a annoncé lundi 22 mars au HuffPost qu’un audit avait été diligenté pour identifier les établissements qui ne dispenseraient pas les cours d’éducation sexuelle. 

Une idéologie “du désir masculin irrépressible”

Dans ces abus sexuels entre hommes gays se joue aussi ce que Gabriel Girard appelle la “culture de la facilité d’accès au corps de l’autre dans la communauté gay”. “Toucher quelqu’un dans un bar, un lieu de rencontres, dans un sex club sont des choses qui se font beaucoup dans l’implicite”, commente-t-il.

Pour Sébastien Chauvin, “cette violence est bien sûr liée au patriarcat, à la domination sexuelle et à une certaine idéologie du désir masculin irrépressible qui doit s’assouvir”. 

“Cette idéologie du désir masculin irrépressible ne produit pas seulement des effets chez les violeurs, justifiant le forçage, mais elle contribue aussi à instaurer le préjugé d’un consentement sexuel par défaut en tant qu’homme, redoublé par la co-appartenance à un milieu gay”, ajoute le chercheur. 

À travers le #MeTooGay, plusieurs hommes ont raconté des agressions vécues dans des lieux de drague. Cédric était l’un d’eux. “La liberté sexuelle dans la communauté contribue à banaliser une main aux fesses en soirée ou un doigt qui glisse dans le pantalon pour essayer de pénétrer sur une piste de danse en club”, constate-t-il.

Dans ces lieux, “montrer ou toucher peuvent aussi être des moyens de proposer et non d’agresser”, estime Sébastien Chauvin qui reconnaît que “certains refusent les premiers signaux de non-consentement et insistent, allant parfois jusqu’à la violence”.

Mais “comparer sans nuance ces contacts visuels ou tactiles avec ce que subissent les femmes dans le métro, c’est faire abstraction du sexisme comme rapport social, abonde-t-il. Par son acte, le frotteur du métro signifie ‘sale femme’. Par contraste, dans un sauna, de possibles désagréments visuels ou tactiles en apparence analogue ne viendront signifier ni ‘sale homme’, ni même ‘sale gay’”.

Un combat générationnel ?

Sébastien Chauvin interroge aussi d’éventuelles disparités générationnelles dans l’appréhension du consentement. “Pour les nouvelles générations, la frontière entre le sexuel et le non-sexuel est peut-être davantage durcie”, note le chercheur.

Ces constats n’expliquent en revanche pas le silence des victimes. Gabriel Girard pense à ce sujet qu’il existe “une tension d’intégration communautaire et sociale chez les jeunes gays qui s’accompagne d’un certain nombre de codes qu’on tolère (recevoir une main aux fesses, un baiser pas forcément consenti, etc.) et que c’est là que toute l’ambiguïté du silence se crée”.

“On ne dénonce pas ces actes car il y a une volonté de ne pas nuire à la communauté et d’y être intégré”, ajoute-t-il.

Quid des violences conjugales?

Autre problème: il n’existe pas ou peu de lieux spécifiques pour recevoir la parole de ces hommes. On compte bien la ligne d’écoute tenue par l’association SOS Homophobie, mais elle est principalement ciblée pour l’écoute des victimes d’agressions verbales et physiques homophobes. “Il n’existe aucune association luttant contre les violences sexuelles au sein de la communauté LGBT+, reconnaît la vice-présidente de l’association Lucile Jomat. C’est un vrai manque”.

L’association milite aujourd’hui pour la mise en place “d’une ligne d’écoute ouverte à toutes les personnes et sensibilisée à toutes les orientations sexuelles et les identités de genre. Un souhait que partage la ministre déléguée Élisabeth Moreno, interrogée à ce sujet par Le HuffPost.

“Dans le travail que nous sommes en train de faire pour rendre le 3919 plus accessible et inclusif, nous prévoyons de communiquer pour faire savoir aux personnes LGBT+ qu’elles peuvent elles aussi appeler et être accompagnées”, nous expliquait-elle lundi 22 mars, jugeant que “c’est toute la société qui doit être éduquée sur les questions LGBT+”.

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