Molly Lewis, portrait d’une siffleuse de rêves musicaux

Présenter Molly Lewis à un tiers fait toujours son petit effet. Que cela soit “en vrai”, lors du concert de La Femme au Palais Galliera, à Paris, auquel elle assistait le 7 octobre (en tant qu’amie du groupe), ou avant de lancer l’un de ses...

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Présenter Molly Lewis à un tiers fait toujours son petit effet. Que cela soit “en vrai”, lors du concert de La Femme au Palais Galliera, à Paris, auquel elle assistait le 7 octobre (en tant qu’amie du groupe), ou avant de lancer l’un de ses morceaux. “C’est une siffleuse.” “Mais comment ça, une siffleuse ?”, nous rétorque-t-on invariablement. Eh bien, quand d’autres chantent, formant des mots et des phrases avec leur langue et leurs lèvres, des onomatopées voire des grognements, Molly Lewis, elle, plisse la bouche et siffle.

On ne sait pas bien comment elle le produit exactement, ce sifflement dont l’onirisme évanescent n’a rien d’humain ni de terrestre, rien de chair ni de sang, tout d’une bulle d’air qui flotterait au-dessus d’une planète envahie de fleurs des champs. C’est à vous retourner les larmes dans les yeux, ce sifflement. Si doux, si délicat, si élégant.

On peut l’entendre sur son 1er EP, The Forgotten Edge, paru en juillet dernier chez Jagjaguwar et qu’elle interprétera aux Trans Musicales de Rennes, à l’Ubu, dimanche 5 décembre. Six morceaux comme autant de chimères, d’Atlantis à demi surgis des flots, de clairières où se réuniraient tous les animaux de la forêt. Pas loin de Tamino et de sa flûte enchantée finalement, mais plutôt du côté du vieil Hollywood, d’un film noir avec une femme-sirène trempant ses cheveux crantés dans un cocktail sirupeux.

Entre la femme à la bûche et une ambiance western spaghetti

Un film noir mâtiné de Lynch, avec la femme à la bûche dans un coin et une ambiance western spaghetti flottant au loin. Six morceaux sans beaucoup de complexité mais porteurs de mélodies fantasmagoriques, comme des portes d’entrée sur un monde irréel, comme celles que l’on pousse pour déboucher sur des speakeasy tendance exotica/tiki lounge – avant que la mode ne les rende insupportables. Voilà, The Forgotten Edge, 1er EP de Molly Lewis, c’est tout ça.

Mais il faut revenir en arrière, comprendre pourquoi et comment une jeune femme de 32 ans se retrouve à siffler au dernier défilé Etam à la Fashion Week parisienne, aux côtés de Lala &ce et Juliette Armanet. Ou encore au dîner Chanel organisé à la suite de la projection d’Annette au dernier Festival de Cannes (il paraît même qu’en la voyant siffler, les Sparks se sont laissé convaincre de monter à leur tour sur scène).

Née à Sydney mais ayant grandi entre Los Angeles et la petite ville de Mullumbimby en Australie (“3000 habitants, pas d’éclairage public, des gens pieds nus et la forêt vierge. Ni cinéma ni concerts, résume-t-elle dans l’hôtel parisien où on la retrouve) avec une mère pianiste, spécialisée dans les bandes originales, et un père documentariste, notamment animalier, Molly Lewis ne parvient pas à siffler au départ.

Un beau jour, à force d’acharnement, le sifflement se déclenche et un immense soulagement la saisit. Le procédé lui plaît. Ses parents lui offrent un album de Steve “The Whistler” Herbst, qui se produit à Broadway. Molly Lewis l’imite et s’aperçoit bien vite qu’elle rivalise allégrement avec lui. Ses parents, toujours  lui montrent le documentaire Pucker Up (2005), consacré à une compétition internationale de sifflements qui se tient à Louisburg, en Caroline du Nord. En 2012, Molly Lewis y participe.

Une installation décisive à Los Angeles

“Ce n’était pas pour remporter le trophée, mais pour rencontrer d’autres siffleurs. C’était incroyable pour moi que ce monde existe et que je puisse en faire partie. C’est une toute petite communauté. Sauf qu’il ne s’agit pas simplement de siffler juste et de tenir la note. L’attitude est aussi importante. Or, moi, je ferme les yeux, ce qui m’a fait perdre des points.”

Après des études de cinéma à Sydney, Molly Lewis s’installe à Los Angeles et monte les Café Molly, un rendez-vous lounge où, accompagnée d’un groupe, elle siffle de vieux airs. En 2017, Karen O des Yeah Yeah Yeahs la contacte sur Instagram pour lui proposer de siffler lors d’une cérémonie-hommage à l’acteur Harry Dean Stanton (le Travis de Paris, Texas). C’est là qu’elle rencontre un autre acteur, John C. Reilly (Magnolia, Boogie Nights), qui, soufflé par sa prestation, se rend aux Café Molly et devient l’un de ses plus grands fans.

© Alexandra Cabral/Jagjaguwar

On le retrouve donc en caméo dans le merveilleux clip Oceanic Feeling, jouant le solo de sax déguisé en roi moyenâgeux dans une forêt caressée de brume. Dans le clip également : Kiera McNally, la copine de Mac DeMarco, tous·tes deux grand·es ami·es de Molly Lewis (“Ils font partie de ma team du confinement”). C’est d’ailleurs DeMarco qui lui offre sa 1ère guitare, l’encourageant à se détacher des reprises pour broder à son tour ses propres mélodies.

La rencontre avec le producteur Thomas Brenneck fera le reste. Les voici en studio, elle aux mélodies, lui aux arrangements. Car Jagjaguwar, qui a découvert Lewis lors d’un Café Molly, la pousse à sortir un EP. “Je voulais que chaque morceau soit comme la bande originale d’un film, révèle-t-elle. Quand j’ai emménagé à L.A., je détestais conduire. J’adorais Paris et New York parce que tu peux marcher, tomber sur des gens dans la rue, rentrer dans des cafés au hasard. L.A., c’est une route continue et des voitures individuelles.”

“Mais l’un des meilleurs trucs, c’est que tu peux écouter de la musique très fort dans ta voiture et mettre le monde à distance. Il prend alors une dimension cinématographique. Je faisais ça avec mes morceaux, en descendant Sunset Boulevard au soleil couchant, lorsque le ciel est rouge, avec les feux de signalisation. La ville a beaucoup influencé ce disque. Elle recommande à ce propos Los Angeles Plays Itself, film documentaire de Thom Andersen (2004), lui-même fondé sur des extraits de films de fiction, qui explique ainsi la mythification de la ville à travers Hollywood.

Elle cite en maître siffleur à penser Alessandro Alessandroni

Molly Lewis aime s’échapper dans le mythe. À 12 ans, elle tombe en pâmoison devant Le Seigneur des Anneaux et rédige même deux lettres à l’attention de Howard Shore, compositeur ayant signé la bande-son qu’elle trouve formidable. “Il ne m’a jamais répondu, mais ce n’est pas grave. Le soir, je m’allongeais dans mon lit en écoutant cette BO et je revoyais toutes les images du film. Il est parvenu à transcrire des personnages, un monde entier en son.”

Si Peau d’âne de Jacques Demy comme La Belle et la Bête de Jean Cocteau l’ont profondément marquée, elle cite en maître siffleur à penser Alessandro Alessandroni, que l’on entend, entre autres, dans Le Bon, la Brute et le Truand ou encore Pour une poignée de dollars, films de celui qui fut son ami d’enfance, Ennio Morricone. “Je m’en fous de la technique. Quelqu’un peut très bien siffler Rachmaninov mais me laisser de marbre. Par contre, siffler une mélodie en transmettant de l’émotion, c’est plus difficile”, explique-t-elle.

Molly Lewis ne jure que par l’évasion dans le fantastique, allant jusqu’à s’installer dans un quartier de L.A. au nom évocateur (qui donnera d’ailleurs son titre à son 1er EP) : The Forgotten Edge (“le bord – de la route ? de la falaise ? de la vie ? – oublié”). Une colline surplombant Sunset Boulevard et Downtown où voltigent des perroquets. “Ça sonne tellement comme le nom d’un film noir hollywoodien !”

Une dimension quasi magique

La malice de Molly Lewis lui permet d’éviter l’écueil du concours de sifflement, justement. Loin d’elle l’idée de faire dans l’incroyable talent, sans âme et hyper 1er degré. Une certaine forme d’humour se manifeste chez elle dans le fait même de pratiquer un sifflement suranné, comme de jouer d’un léger décalage esthétique à la Kate Bush époque Wuthering Heights.

On pense immédiatement à Mac DeMarco comme à Alex Cameron ou à La Femme pour sa capacité à produire une musique avec sérieux et sincérité tout en soufflant un peu de farfelu ici et là, dans une démarche moins postmoderniste que sérieusement amoureuse du slapstick, ce type de comédie où l’humour s’exprime physiquement.

À la différence que Molly Lewis introduit une dimension quasi magique, avec le sifflement comme nouveau mode de communication, taquin et facétieux, renvoyant aux princesses autrefois assoupies, désormais bien réveillées.

Lorsqu’on lui demande si elle parvient à communiquer avec les oiseaux, Molly Lewis avoue qu’elle n’est pas très douée, avant de expliquer une rencontre avec un perroquet lors d’une soirée à L.A. Après lui avoir sifflé deux, trois airs, le voici qui se perche sur son épaule, se penche et lui glisse un baiser de son bec. “Je sais qu’il est là, quelque part. J’aimerais bien le revoir”, dit-elle très sérieusement, avant de lâcher un rire qui n’en est pas un. Insaisissablement espiègle, Lewis emmène hyper loin.

The Forgotten Edge (Jagjaguwar/PIAS).

En concert le 5 décembre aux Trans Musicales de Rennes.