“Nomadland” : un néo western un peu trop “féminin” pour la critique ?

Bien sûr, l’accueil extatique d’un film donne rarement les meilleurs débats. On peut craindre de tomber dans une doxa élogieuse, un consensus mou. C’est sans doute ce qu’ont voulu éviter certains critiques en France avec Nomadland : attention,...

“Nomadland” : un néo western un peu trop “féminin” pour la critique ?

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Bien sûr, l’accueil extatique d’un film donne rarement les meilleurs débats. On peut craindre de tomber dans une doxa élogieuse, un consensus mou. C’est sans doute ce qu’ont voulu éviter certains critiques en France avec Nomadland : attention, un film multi-primé que tout le monde encense, au secours ! En effet, si on jette un œil à l’insubmersible tableau de notes d’un célèbre mensuel de cinéma dans son numéro de juin, réunissant dix journalistes (8 hommes et 2 femmes), on n’en croit à peine nos yeux : le film de Chloé Zhao est mis au pilori, ne récoltant qu’une pauvre étoile (sur quatre) chez sept d’entre eux. Un seul avis est favorable.

Il n’est évidemment pas interdit de descendre en flamme une œuvre célébrée ailleurs. Mais un tel rejet (y compris aux Inrocks qui ont publié une critique très réservée) laisse pantois. D’autant que la plupart des arguments à charge contre le film ne s’embarrassent pas tellement d’esthétique. En 1er lieu, un journal quotidien attaque Nomadland pour son côté “consensuel”, justement. On lui reproche d’édulcorer la violence liée à la précarité de ses personnages. Comme si les ravages humains engendrés par les politiques néolibérales devaient être montrés, non pas sous un jour complexe et nuancé, mais enfermés dans un monochrome noir et misérabiliste. Il y a de la défiance, on le sent, face à cette douceur. Cette absence de conflit, de mains dans le cambouis façon Dardenne. Comme si c’était un ratage, une lâcheté. Allez, osons le mot : un néo western un peu trop “féminin” ?

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Décrédibilisation

On prête aussi à la réalisatrice, dans le mensuel sus-cité, des intentions putassières : à travers sa mise en scène, Zhao ferait la soi-disante “publicité” d’Amazon, lieu de travail de l’héroïne. Or qui a vu ces images en comprend l’évidente ironie : en plan serré, un casse-croûte sympa entre collègues devient, restitué au plan large de l’entrepôt, un enfer climatique où quelques humains se serrent les coudes et tentent de survivre. Conclusion du signataire de l’article : la réalisatrice aurait vendu son âme au Faust capitaliste (prostituant son art contre de l’argent, c’est sous-entendu). Mais oui bien sûr ! Puisqu’elle a aussi cédé aux sirènes des films de super-héros, en réalisant le prochain blockbuster de la franchise Marvel…

C’est le troisième acte d’une décrédibilisation de l’artiste, qu’on peut lire ici et là : puisque que celle-ci s’illustre désormais dans le cinéma mainstream, elle s’est forcément fourvoyée. Elle a “trahi” son cinéma qui consistait à faire de petits films d’auteur fauchés tellement plus authentiques et singuliers (comme la bonne élève Kelly Reichardt). Mais a-t-on déjà reproché aux Nolan et compagnie leur ascension dans l’industrie cinématographique ? Détail intéressant : The Rider était un film de cow-boys, Nomadland met surtout en valeur des femmes pas jeunes, seules, malades, cabossées par la vie. N’est-ce pas au fond cela qui dérange et déplaît ?

Nomadland a été pensé par deux femmes – Chloé Zhao et l’actrice Frances McDormand qui en est l’initiatrice, l’une des interprètes et la co-productrice. Elles ont fini par imposer ce projet que personne n’attendait à Hollywood. Une œuvre pleine de souffle qui creuse avec force les obsessions d’une cinéaste. Comme dans ses deux précédents films, Zhao donne une stature mythologique aux marginaux·ales anonymes. Elle les inscrit dans l’infini paysage. Et donne une force cosmique à ce qui se révèle être, en creux, un récit de deuil et d’émancipation d’une femme se libérant du spectre de son mari. Une histoire qu’il fallait aussi savoir regarder.

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