Quelle stratégie pour Biden derrière ses déclarations musclées envers Poutine et la Chine?

Aux États-Unis plus qu’ailleurs, les premiers pas d’un président sur la scène internationale sont scrutés avec fébrilité. Figures imposées des “cent premiers jours”, sommets et rencontres bilatérales offrent une tribune rêvée à une administration...

Quelle stratégie pour Biden derrière ses déclarations musclées envers Poutine et la Chine?

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Le président américain Joe Biden parle de politique étrangère au Département d'État à Washington, le 4 février 2021. Il a déclaré que les États-Unis allaient faire face à l'

Aux États-Unis plus qu’ailleurs, les premiers pas d’un président sur la scène internationale sont scrutés avec fébrilité. Figures imposées des “cent premiers jours”, sommets et rencontres bilatérales offrent une tribune rêvée à une administration qui prend ses marques, pouvant d’une poignée de main annoncer une nouvelle ère. L’Histoire regorge ainsi de présidents qui se sont empressés de tourner la page de leur prédécesseur, brûlants de montrer qu’un vent nouveau soufflait sur le pays. Ainsi, à l’opposé de l’interventionnisme messianique de George W. Bush, Barack Obama prononça un discours d’ouverture et de tolérance au Caire, aux portes d’un Moyen-Orient ravagé par deux longues guerres, récompensé par un prix Nobel précoce. Huit ans plus tard, Donald Trump tentera d’interdire aux citoyens de certains pays musulmans de pénétrer en territoire américain, en prélude au retrait de l’accord sur le nucléaire iranien. Deux gestes en miroir inversé, qui illustrent les ambitions et les échecs de deux Amérique: celle de la Trump Tower, trônant sur la Cinquième Avenue, et celle du siège des Nations-Unies, dominant l’East river quelques blocks plus loin. 

 

“C’est le retour de la diplomatie des valeurs qui peut mener à la croisade”.Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères

 

À ce titre, Joe Biden ne fait guère exception. Au Trump solitaire et irascible, complaisant avec les dictateurs de tous poils, le nouveau président oppose un retour dans le concert des nations, avec une foi retrouvée dans le multilatéralisme d’inspiration américaine –qui comporte sa part de manichéisme. “C’est le retour de la diplomatie des valeurs”, décrypte Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères, “qui peut mener à la croisade”. En effet, aussi conciliant soit-elle avec ses partenaires, réintégrant notamment l’Organisation mondiale de la Santé ou les accords de Paris pour le climat, la nouvelle administration n’en montre pas moins les muscles face aux ennemis consensuels. D’un côté, la Russie de Vladimir Poutine, visée par une nouvelle enquête pour ingérence dans les élections; de l’autre, la Chine de Xi Jinping, dont la montée en puissance ne cesse de contester l’hyperpuissance en déclin.

La Russie, d’abord. L’escalade verbale de ces derniers jours nous ramène en pleine guerre froide, l’Américain voyant en Poutine un “tueur” qui “n’a pas d’âme”, et le Russe rétorquant: “it takes one to know one” –un “c’est celui qui dit qui est” mieux tourné–, avant de rappeler son ambassadeur à Moscou. Une attitude qui tranche avec les égards de Donald Trump, qui n’a cessé de vanter sa relation spéciale avec son homologue russe, sans autre résultat qu’une première procédure d’impeachment.

Depuis janvier, Biden et ses diplomates répètent volontiers qu’“America is back”; quoi de mieux, donc, qu’un bras de fer avec l’ours russe? “En réalité, les Américains n’acceptent pas qu’après la fin de l’URSS, les Russes ne soient pas devenus de gentils sociaux-démocrates nordiques”, estime Hubert Védrine, rappelant que l’élargissement de l’OTAN vers l’Est et la marche forcée vers le néolibéralisme ont favorisé la résurgence d’un nationalisme autoritaire. Au point de ne plus rien attendre de la Russie? “Barack Obama estimait déjà que la Russie n’était plus qu’une puissance régionale”, confie Gérard Araud, ancien ambassadeur de France à Washington D.C; “defiance, deterrence and behind neglect: voilà leur attitude” –qu’on pourrait traduire par “défiance, dissuasion et mépris”. Et que Biden exprime avec des mots si crânes qu’il nous rappellerait (presque) son prédécesseur. 

 

Parier contre l’Amérique n’est jamais un bon pari.Antony Blinken, le chef de la diplomatie américaine, lors de sa rencontre avec son homologue chinois à Anchorage

 

La Chine, ensuite, et surtout. Avec les invectives russo-américaines en toile de fond, le fringant secrétaire d’État Antony Blinken a réservé son premier voyage officiel pour l’Asie, visant autant à rassurer ses partenaires –au premier chef, le Japon et la Corée du Sud– qu’à avertir la Chine qu’un nouveau sheriff entrait dans le village global. Avec en point d’orgue la rencontre crispée entre Blinken et son homologue chinois, Wang Yi, dans la cité alaskienne d’Anchorage. À cette occasion, le secrétaire d’État, accompagné de l’influent conseiller du président Jake Sullivan, a cru bon de rappeler l’attachement des États-Unis aux droits de l’homme, citant les Ouïghours, le Tibet ou encore Hong Kong; une tradition universelle pour tout impétrant démocrate, notamment depuis Jimmy Carter. “It’s never a good bet to bet against America”, a froidement conclu Blinken –“parier contre l’Amérique n’est jamais un bon pari”. Ces paroles pèsent d’autant plus qu’il dispose de la confiance absolue de son président, qu’il suit depuis le Sénat jusqu’à la Vice-présidence. “Quand il parle, c’est Biden qui s’exprime”, confirme Gérard Araud. Francophone et francophile, New-Yorkais, guitariste et chanteur de rock à ses heures perdues, Antony Blinken est l’archétype du diplomate charmant et affable, convaincu du leadership moral américain –érigeant en exemple son beau-père échappé des camps de concentration, accueillant un char de GI aux cris de “God Bless America!” 

 

Et si les coups de menton n’avaient d’autre vocation que d’unir le peuple américain divisé autour de leur Commander In Chief?

 

Et si, tout simplement, les coups de menton et cris d’orfraie n’avaient d’autre vocation que d’unir le peuple américain, ô combien divisé, autour de leur Commander In Chief? En effet, les ingérences russes en 2016 et 2020 ne méritent-elles pas une bonne punition? Les ambitions chinoises ne méritent-elles pas d’être rabattues par la première puissance mondiale? “Dans ce genre d’affaires, il y a toujours une part de théâtre”, résume Gérard Araud; “le tout est de ne pas aller trop loin”. Là aussi, l’Histoire regorge d’exemples de nouveaux présidents maladroits. En 1961, durant ses fameux cent premiers jours, le démocrate John F. Kennedy donna ainsi le feu vert à une opération militaire à Cuba, espérant asseoir son autorité, envoyer un signal fort à l’URSS et taire les critiques le décrivant comme tendre et inexpérimenté. L’opération, connue sous le nom de la Baie des cochons, sera un fiasco militaire, diplomatique et politique. À l’inverse, les cent premiers jours de George W. Bush furent d’un calme plat, seul le crash sans conséquence d’un avion espion en territoire chinois venant troubler l’installation du républicain –avant que le 11 septembre 2001 n’engendre deux guerres si meurtrières.

Preuves de plus, donc, qu’une déclaration ou une tournée, aussi symbolique soit-elle, ne fait ni la colombe, ni le faucon; reste à savoir si cette administration, dont l’équipe diplomatique a été bercée par la fin de l’Histoire de Francis Fukuyama –Biden et Blinken en tête, au moment de leur rencontre sous Bill Clinton–, saura se défaire de ses illusions, et obtenir des résultats. “Il faudrait relire Kissinger”, suggère Hubert Védrine, “qui nous rappelait l’importance de disposer d’une réelle politique étrangère, autre que les sanctions et les bombardements”. Le même Kissinger qui avait amorcé la bascule vers l’Asie et la Chine, annonçant, déjà, le grand enjeu géopolitique de notre siècle.

 

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