“There Is No End” : Tony Allen groove encore

Après avoir palpité intensément pendant près de 80 ans, le cœur de Tony Allen s’est arrêté de battre le 30 avril 2020. A la peine éprouvée ce jour-là, succède aujourd’hui la joie de le retrouver avec There Is No End, album certes posthume mais...

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Après avoir palpité intensément pendant près de 80 ans, le cœur de Tony Allen s’est arrêté de battre le 30 avril 2020. A la peine éprouvée ce jour-là, succède aujourd’hui la joie de le retrouver avec There Is No End, album certes posthume mais néanmoins terriblement vivant et vibrant. Batteur d’exception, le musicien nigérian y mêle ses savantes pulsations rythmiques aux saisissantes proférations poétiques de jeunes protagonistes de la scène hip-hop.

S’il reste avant tout associé à l’afrobeat et à Fela Kuti, dont il fut le batteur pendant plus de dix ans, Tony Allen – installé en France depuis la seconde moitié des années 1980 – ne s’est pas cantonné à ce seul style au long de sa prolifique carrière, loin s’en faut. Il est allé ainsi explorer du côté du jazz, de l’électro, de la pop ou du rock indé, nouant en particulier des liens étroits avec Damon Albarn.

Tony avait la capacité ou l’intuition de faire confiance à des gens peu ou pas connus si ces gens étaient des passionnés ou apportaient des idées originales, souligne son manager et ami Eric Trosset, qui l’a rencontré dans les années 1990 et a créé spécialement pour lui le label Comet Records. Peu de musiciens sont capables de sortir de leur zone de confort comme il pouvait le faire. Il avait cette volonté et cette faculté de toujours expérimenter de nouvelles choses.

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Art rythmique

Dans la foulée de sa rencontre au sommet avec Jeff Mills, sur le EP Tomorrow Comes The Harvest (2018), Tony Allen – grand amateur de hip-hop – a eu envie de mettre son art rythmique au service de rappeurs et rappeuses de la nouvelle génération. En 2019, lui et Eric Trosset sont partis à Londres pour présenter le projet à Damon Albarn. Celui-ci ne pouvait pas produire l’album, en raison d’un planning trop chargé. Les deux hommes ont alors sollicité le stakhanoviste batteur et producteur Vincent Taeger (qui opère en solo sous l’alias Tiger Tigre), lequel a accepté sans hésiter.

Ayant déjà travaillé à plusieurs reprises auparavant avec Tony Allen, notamment sur l’album Film of life, Vincent Taeger le connaissait déjà très bien et il appréciait énormément le musicien autant que l’homme. Il révèle aux Inrocks : “Tony avait la même ouverture d’esprit que certains musiciens de jazz, comme Herbie Hancock ou Miles Davis. Il voulait toujours innover, apprendre. Par ailleurs, il avait une philosophie de vie très saine, à rebours des mondanités. Il n’accordait aucune importance à ce que représentaient les gens. Que l’on soit connu ou pas connu, riche ou pauvre, noir ou blanc : il s’en moquait. Il avait une forme de pureté qui s’entend dans son jeu de batterie. Quand il accordait sa confiance, il était très généreux, fidèle et encourageant. C’était vraiment très agréable de travailler avec lui.”

Laboratoire live

Tony Allen et Vincent Taeger ont produit des rythmes ensemble pendant deux mois courant 2019 dans le home studio de Taeger. En janvier 2020, ils ont donné un concert à Munich avec plusieurs invité·es, dont Moor Mother, l’une des voix les plus originales de la scène américaine contemporaine. “C’était vraiment expérimental. On rejouait les rythmes de Tony et on improvisait par-dessus”, se souvient Vincent Taeger. Conçu comme une sorte de laboratoire live, ce concert avait pour but d’ouvrir de nouvelles pistes rythmiques et ainsi de faire progresser le projet.

Suite à la mort de Tony Allen, le 30 avril 2020, Blue Note a confié à Vincent Taeger le soin de terminer l’album, encore largement en jachère. A ce stade, seul un morceau, le somptueux Cosmosis, avait en effet été enregistré, entièrement live, lors d’une session londonienne en mars 2020 – avec les (intenses) participations vocales de l’écrivain Ben Okri et du rappeur Skepta. Quant aux parties rythmiques déjà mises en boîte, elles se trouvaient à des degrés d’avancement variés. “Restait à les structurer, à poser des bases harmoniques, à effectuer des arrangements et à travailler sur les voix ”, explique Vincent Taeger aux Inrockuptibles.

Projet hors normes

Il a aussi fallu trouver de jeunes rappeurs et rappeuses puis les convaincre de s’engager dans ce projet hors normes. Certain·es avaient été suggéré·es par Tony Allen de son vivant, Eric Trosset et Vincent Taeger se sont chargés de dénicher les autres. “En cherchant un peu, on découvre plein de gens talentueux, totalement inconnus, souligne Eric Trosset. Il était évidemment exclu de solliciter des interprètes de trap à deux balles. Pour coller avec la musique de Tony, on ne peut pas prendre n’importe qui. Il faut des paroles avec une musicalité, une poésie et un message. Le plus gros du tri s’effectue vite”, poursuit-il.

Pour l’aider à finaliser l’album, Vincent Taeger a appelé en renfort un complice musical de longue date, le claviériste et producteur Vincent Taurelle, qui avait aussi déjà collaboré avec Tony Allen. Sur la même longueur d’ondes, habitués à travailler ensemble depuis plus de 20 ans (notamment au sein du trio The Jazz Bastards), les deux Vincent se sont mis au boulot à partir de juin 2020, structurant les morceaux petit à petit et les peaufinant avec un soin extrême. Certains morceaux ont beaucoup évolué au long du processus tout en conservant la base rythmique posée par Tony Allen.

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Continuum infini

Délivrant un hip-hop très organique et aventureux, sous nette influence du jazz, There Is No End contient au total 14 morceaux, dont un court prélude et un tout aussi court épilogue, sur lesquels on entend la voix, déformée ou pas, de Tony Allen. Polyphonique et polyrythmique, truffé de détails sonores, l’ensemble – auquel chaque participant·e apporte son feeling propre – se révèle aussi sophistiqué qu’accrocheur : un objet sonore difficilement identifiable, d’une cohésion impeccable et d’une séduction imparable.

Outre le susnommé Cosmosis, cantique fervent qui se situe à une altitude vraiment très élevée, citons également le lancinant Stumbling Down (avec Sampa The Great, au phrasé affolant), le très pop Coonta Kinte (avec Zelooperz), l’entraînant Rich Black (avec Koreatown Oddity), l’ondulant One Inna Million (avec Lava La Rue), le spectral Deer In Headlights (avec Danny Brown) et l’entêtant Hurt Your Soul (avec Nate Bone).

Sous-tendu par un puissant désir de transmission (notion chère à Tony Allen), l’album relie entre elles plusieurs générations. Conscient du passé autant que tourné vers le futur, il apparaît profondément inscrit dans le présent. Comme son titre, There Is No End (Il n’y a pas de fin), le suggère : un continuum infini, à l’image de tout le cycle de la création.

“There Is No End était une phrase fétiche de Tony et elle résume bien toute sa musique, observe Vincent Taeger. Dans son jeu, il y a une forme de roulement qui ne s’arrête jamais. On n’entend pas vraiment une mesure, c’est un peu comme un rythme sans fin.”

There Is No End (Blue Note)