Arlo Parks, la nouvelle princesse du groove britannique : “J’ai encore beaucoup à apprendre”

On pourrait parler longtemps avec Arlo Parks. De The Ballad of Sexual Dependency de Nan Goldin, qu’elle a découverte à la Tate Modern. “La manière dont Nan Goldin capte l’intimité des gens sans impudeur” l’a remuée. De Princesse Mononoké, son...

Arlo Parks, la nouvelle princesse du groove britannique : “J’ai encore beaucoup à apprendre”

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On pourrait parler longtemps avec Arlo Parks. De The Ballad of Sexual Dependency de Nan Goldin, qu’elle a découverte à la Tate Modern. “La manière dont Nan Goldin capte l’intimité des gens sans impudeur” l’a remuée. De Princesse Mononoké, son héroïne fictionnelle. De sa lecture en cours, le recueil d’essais Blueberries de l'Australienne Ellena Savage, sur le corps, le trauma et la résilience – elle ne devrait guère tarder, elle aussi, à publier ses écrits. De son désir de vivre un jour à Rome.

D'un seul regret, celui de s’être longtemps sous-estimée. De son plus grand luxe : des bougies hors de prix !” De son incapacité à mentir. De sa vision du bonheur parfait : “Etre allongée sous le soleil d’été.” De son pire cauchemar, perdre sa voix, un soprano dulce auquel il est impossible de ne pas devenir accro. De cette formule d’Audre Lorde qu'elle a faite sienne : “Nous souffrons toutes, de bien des façons, tout le temps, et la souffrance se transforme ou s'achève(dans “Transformer le silence en paroles et en actes” en 1977).

“Probably listening to Aldous Harding”, est-il écrit sur sa bio WhatsApp le jour où on l'appelle. Le folk de la Néo-Zélandaise ne peut laisser indifférente Anaïs Oluwatoyin Estelle Marinho, alias Arlo Parks, pour qui la grammaire du mal-être et les entrelacs de cordes font partie du quotidien. Cela ne l’empêche pas d’être sacrée, après deux EP et une poignée de singles étincelants, comme la nouvelle princesse de la soul britannique. Parce que sa musique est groovy, dramatique et moelleuse. En témoigne son épatant premier album, Collapsed in Sunbeams, dont la sortie imminente la remplit d’“autant de confusion que de sérénité”. A l’image de ce journal intime gorgé de tubes (Hurt, Hope, Caroline, Black Dog, Green Eyes, Eugene…) sans pourtant jamais écœurer. 

La débutante qui les impressionne tous·tes

Tout est si accompli que l’on pourrait croire qu’elle est entourée, comme d’autres autrices-compositrices-interprètes de son âge (20 ans seulement), d’une armada de producteurs prêts à en découdre avec Top of the Pops. Or, Arlo Parks s’est contentée de travailler quasi en huis clos avec le producteur italo-américain Gianluca Buccellati. Il·elles se sont rencontré·es à une fête en 2018, il·elles ont parlé musique, elle a ensuite passé plusieurs jours dans le Airbnb londonien de ce dernier, métro Angel (c'est Anaïs qui nous le précise, avec le souci du détail), à cuisiner, prendre des photos et décrypter des chansons qu’elle avait déjà enregistrées seule sur GarageBand. 

Paru la même année, le single Cola a aussitôt provoqué un engouement tant critique que public – grâce à sa voix suave, une instrumentation épurée, une mixture parfaitement digeste de r'n'b, trip hop et soul, cette tristesse en filigrane et ce crâne rasé semblant venir de nulle part. 

Cependant, Anaïs est originaire de l’ouest de Londres et ses racines sont africaines, situées entre le Tchad, le Nigeria et la France : Mon père s’intéressait beaucoup au jazz, ma mère adorait Je suis malade de Serge Lama, Le Parking des Anges de Marc Lavoine… Quand j’allais voir ma famille à Paris, c’était Jacques Brel chez ma grand-mère. J’ai grandi dans un bouillon de cultures très différentes, avec toutes les histoires qui l'accompagnaient.” A 6 ans, elle connaît sa première épiphanie musicale : “Je me souviens être assise dans la voiture parentale et entendre The Dock of the Bay. Je me sentais à la fois sereine, en écoutant sa voix, mais je sentais aussi mon cœur se briser.”

A 17 ans, elle se rase le crâne et décide d’assumer sa bisexualité comme sa voix. “Je ne veux pas qu’elle devienne un objet d’étude, affirme-t-elle, mais le médium de mon besoin de liberté”

I left my home in Georgia/Headed for the Frisco Bay/'Cause I've had nothing to live for”, chante Otis Redding. Sa raison de vivre, Anaïs la découvre très tôt dans l'écriture de ses propres poèmes. Qu'elle met en musique dès l'âge de 14 ans, accompagnée d’une guitare, son instrument de prédilection : “J’ai toujours aimé des projets comme ceux de King Krule, Pixies et Arctic Monkeys, où la guitare est versatile, capable d’être aussi pop que radicale. Elle se plonge dans une belle collection de vinyles offerte par son oncle, qui lui permet d'apprécier Earth, Wind & Fire ou encore Bob Dylan. A 17 ans, elle se rase le crâne et décide d’assumer sa bisexualité comme sa voix. “Je ne veux pas qu’elle devienne un objet d’étude, affirme-t-elle, mais le médium de mon besoin de liberté.

Elle envoie ses morceaux à la plateforme dédiée aux nouveaux talents BBC Music Introducing, trouve un management et signe dans la foulée avec Transgressive Records. Cola bénéficie de la promotion spontanée de Lily Allen, qui en parle à l’antenne d’Apple Beats One, offrant une visibilité inattendue à la débutante qui les impressionne tous·tes : Michelle Obama, Billie Eilish ou l'actrice Michaela Coel ne tarissent pas d’éloges à son égard.

 Avec Gianluca Buccellati, elle enregistre l’EP Super Sad Generation (2019)rejoint quelques mois plus tard par un second, Sophie. Arlo Parks se retrouve en couverture du NME, est récompensée d'un BBC Music Introducing Artist of the Year en 2020. Tout s’est fait avec un naturel déconcertant, commente-t-elle. Je n’ai jamais fantasmé, enfant, sur une carrière de pop star. Je me contentais de ce que j’avais, des petits bonheurs du quotidien, mais aussi de mes interrogations et moments d’abattement que je couche sur papier depuis l’enfance.

ArloParks-AlexKurunis5.jpg © Alex Kurunis

“Plus je suis triste dans mes paroles, plus l'énergie doit être pop”

Depuis, la sauce médiatique n’a cessé de monter, ses singles cartonnent sur les plateformes de streaming… J’étais encore au lycée à l’époque de Super Sad Generation. La musique occupait toutes mes plages horaires libres, mais j’avais les cours à assurer. Aujourd’hui, c’est un temps plein. J’ai pris confiance en moi, j’ai affiné ma vision artistique, j'ai appréhendé la performance live…” Arlo Parks est donc prête à sortir son premier album, elle qui affectionne particulièrement les premiers albums des artistes : Dummy de Portishead, Channel Orange de Frank Ocean.

Son drôle de nom de scène, elle l’a trouvé en se calquant sur le modèle sémiotique de King Krule, deux mots et un signifiant pragmatique, Parks faisant référence aux endroits où elle passe le plus clair de son temps avec ses ami·es, à discuter, rire, chanter, chiller”. Typiquement anglais, glisse-t-on. Elle s’en amuse, et rappelle à quel point Londres compte pour elle : Tout ce qui m’importe m’est arrivé ici. Il y a tant de communautés différentes, tant de personnalités distinctes, et les musiques suivent ! C’est difficile de trouver ailleurs autant de nourriture pour un artiste. Cette ville vibre.

“J’ai toujours voulu donner beaucoup, mais avec peu. C’est le cas de Carrie & Lowell de Sufjan Stevens, dont le minimalisme met en valeur ses textes très forts”

D’ailleurs, son mot préféré, elle l’avoue lors d’un questionnaire de Proust improvisé lors de notre conversation, est vibes”. En dépit de leur mélancolie, de bonnes vibrations se manifestent dans ses compositions proches du lo-fi. J’ai toujours voulu donner beaucoup, mais avec peu. C’est le cas de Carrie & Lowell de Sufjan Stevens, dont le minimalisme met en valeur ses textes très forts. Durant l’enregistrement de l’album, j’ai écouté de tout, d'Aphex Twin à Blood Orange en passant par Elliott Smith. Pour m’inspirer de ce que je préfère chez eux. Ce que je recherche avant tout, c’est une musique douce-amère : plus je suis triste dans mes paroles, plus l'énergie doit être pop.”

Laquelle est conférée par l’apport de David Wrench (Frank Ocean, Sampha) au mixage et le passage du producteur Paul Epworth sur deux titres, Too Good et Portra 400. Dans Hope, elle répète, tel un mantra, You are not alone” : “C’est l’un des morceaux les plus importants du disque… C’est si facile de se sentir seul, surtout dans ce contexte sanitaire, d'avoir le sentiment de ne pas être en sécurité. Mes morceaux doivent offrir un espace où l’on se sent heureux. Protégé.”

C'est ce qu’a ressenti la communauté LGBTQ+ à l’écoute des chansons d’Arlo Parks. Quand elle raconte son amour non réciproque pour une amie qui en aime un autre, dans Eugene, elle touche juste. Elle a par ailleurs récemment repris Ta reine d'Angèle : Elle a une voix douce sans être affectée, et son message est si fort, malgré la finesse de la mélodie. J’ai voulu lui rendre hommage à ma façon. Certain·es adolescent·es lui écrivent, ému·es : “Je suis heureuse d’aider les autres à comprendre qui ils sont. En m'écoutant, ils réalisent que ce n’est pas grave d’aimer un garçon si on est un garçon, ou une fille si on est une fille, ou les deux. Que le genre n’a finalement que peu d’importance, et en aura encore moins dans les années à venir.

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La résilience en partage

Anaïs Marinho est profondément empathique, au point d'absorber les émotions de ses interlocuteur·trices. Elle en parle comme d’un cadeau, mais on lui rappelle qu’il peut être empoisonné. Elle confirme : C’est à double tranchant, de recevoir et d'intégrer aussi fort joie et souffrance. Ce qui me permet d’être une meilleure amie peut me faire du mal. La musique devient alors thérapeutique, et j’espère qu’elle l’est aussi pour les autres.” “I know you can't let go/Of anything at the moment/Just know it won't hurt so/Won't hurt so much forever”, chante-t-elle dans Hurt. La résilience, c’est ce qu’elle partage avec la plupart de ses modèles.

OUVArloParks.jpg © Alex Kurunis

A commencer par Patti Smith, dont la lecture de Just Kids a été cruciale : J'avais 16 ans et j’ai été bouleversée. Au-delà de l’aspect fascinant de la mythologie de cette scène new-yorkaise alternative et libérée, elle m’a encouragée à me consacrer à mon art. La littérature est un point névralgique de la création d'Anaïs. Elle ne cesse de puiser dans les écrivain·es qui l'accompagnent depuis longtemps : Gary Snyder, Sylvia Plath, Nabokov, Zadie Smith – à laquelle elle emprunte le titre de son album, Collapsed in Sunbeams. Une expression tirée de De la beauté, tout en ambivalence, entre ombre et lumière. Il y a également Audre Lorde. Son essai Your Silence Will Not Protect You (2017) a, selon elle, ouvert des portes sur l’activisme noir et lesbien. L’approche de Smith est plus universaliste, contexte fictionnel oblige.

“Si mon écriture relève avant tout de l’intime, ce que je vois autour de moi compte : une scène animée par des artistes noirs extrêmement actifs et créatifs, du rock’n’roll à l’electro en passant par le hip-hop. C’est très motivant”

Mais ces deux versants comptent pour Anaïs, pour qui être noire s'avère davantage une fierté qu’un obstacle : Bien que les questions raciales suscitent toute mon attention, je suis confiante dans mon identité. Et si mon écriture relève avant tout de l’intime, ce que je vois autour de moi compte : une scène animée par des artistes noirs extrêmement actifs et créatifs, du rock’n’roll à l’electro en passant par le hip-hop. C’est très motivant. Les temps sont en train de changer, chantait jadis le jeune Robert Zimmerman. Aujourd’hui, l’époque est bouleversée, tout en douceur mais très sûrement, par les chansons d’Arlo Parks, qui, à 20 ans, se voit toujours grandir. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre, beaucoup de maturité à acquérir, ce qui m’enthousiasme. Le meilleur est à venir. On n'en doute pas un instant.

Collapsed in Sunbeams (Transgressive Records/PIAS), sortie le 29 janvier

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