Ces petits riens qui peuvent accélérer la campagne vaccinale

VACCINATION - “50% des Français adultes ont reçu au moins une injection”, s’est félicité Emmanuel Macron lors d’un déplacement dans le Lot mercredi 2 juin. Ces quelques mots n’ont rien d’anodin. “Si 26,6 millions de Français l’ont fait, pourquoi...

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Ces petits rien qui peuvent accélérer la campagne vaccinale. (photo d'illustration)

VACCINATION - “50% des Français adultes ont reçu au moins une injection”, s’est félicité Emmanuel Macron lors d’un déplacement dans le Lot mercredi 2 juin. Ces quelques mots n’ont rien d’anodin. “Si 26,6 millions de Français l’ont fait, pourquoi pas vous? Celui qui n’est pas vacciné va finir par se dire que c’est probablement lui qui a tort”, décrypte Éric Singler, patron du Nudge Unit, une division de l’institut BVA qui conseille l’Élysée depuis le début de l’épidémie. 

Avec cette formulation, Emmanuel Macron mobilise un biais cognitif. Il tente de faire peser une certaine pression sociale sur ceux qui n’ont pas encore tendu l’épaule. Insister sur le nombre de Français vaccinés contre le Covid-19, envoyer un SMS personnalisé, proposer un café après la vaccination, fluidifier la prise de rendez-vous… Ces petits riens appelés “nudges”, boostés par les neurosciences et la data, peuvent accélérer la campagne vaccinale. À condition de les utiliser à bon escient. 

Le gouvernement est friand de ces techniques, à l’intersection du marketing et des sciences cognitives. Les statistiques sur le nombre d’utilisateurs de TousantiCovid-19? Nudge. Dire que l’application est “populaire” participe à la rendre plus populaire. L’auto-attestation? Nudge. Lorsqu’il la remplit, le citoyen réalise que sortir en pandémie n’est pas anodin. Hors Covid-19, il y a la célèbre mouche dans la pissotière, placée au centre. Les hommes la visent: il y a moins d’urine par terre. Nudge. 

Pour mobiliser à nouveau, alors que les volontaires de la 1ère heure laissent place aux indécis, aux récalcitrants et aux personnes n’ayant pas accès aux soins, le gouvernement lance ce samedi 5 juin une nouvelle campagne de communication. Ses messages seront très probablement “nudgés”; c’est-à-dire bourrés de neuroscience et de biais cognitifs, sortes de raccourcis trompeurs dans lesquels tombent régulièrement le cerveau. Attention, neuroscience ne veut pas dire lobotomie. Ici, on ne va pas changer radicalement l’avis de quelqu’un, mais plutôt le pousser à agir.

Une des clefs pour briser le plafond de verre vaccinal 

À l’origine de cette “ingénierie” de la prise de décision, Daniel Kahneman, un économiste et prix Nobel des années 60, récompensé pour avoir démontré que l’homme est bien moins rationnel qu’il n’y paraît. Les décisions humaines sont souvent motivées par l’instinct et l’émotion. Le nudge révolutionne le marketing des années 2010, dictant notamment le positionnement des produits dans les magasins. On leur doit les chewing-gums à la caisse ou les messages “20 utilisateurs regardent cette offre actuellement” sur les sites de voyage. Dès 2008, Barack Obama s’était doté d’une cellule nudge. Depuis, ces théories ont totalement investi le champ politique. Au risque de les utiliser à outrance. 

En affinant la communication politique, cette science se veut comme une des clefs pour briser le plafond de verre vaccinal observé aux États-Unis et au Royaume-Uni, deux pays à plus de 60% de primo-injections. “On vise le ventre mou, ceux qui se disent que ce n’est pas le bon jour pour avoir un peu de fièvre, ou qu’ils auront bien le temps de le faire après”, précise Eric Singler. Comprendre ceux qui sont plutôt favorables à la vaccination, mais qui n’ont pas encore sauté le pas. “L’un des grands enseignements des sciences du comportement, c’est qu’en tant qu’humain, on peut être convaincu de certaines choses… et ne pas les faire”, détaille-t-il. 

Le nudge consiste aussi à éliminer les frictions, les petites barrières qui repoussent la vaccination. C’est par exemple ce qu’a voulu faire Olivier Véran, mercredi 2 juin, en annonçant deux semaines de battement supplémentaire pour prendre le second rendez-vous vaccinal. Le nudge relève avant tout du bon sens. Faciliter, fluidifier, pour ne perdre aucun volontaire. Et rendre le tout attrayant. “Le nudge joue aussi sur la petite récompense, pour déclencher l’acte. Nous devons aider les gens à se projeter dans les avantages immédiats de la vaccination”, détaille Eric Singler.

Bières, armes à feu et selfies pour les vaccinés

Les avantages immédiats sont au cœur des politiques de mobilisation vaccinale outre-Atlantique. “Avec le vaccin, un été de liberté, de joie, tous les Américains célébrant ensemble”, scandait Joe Biden le 2 juin, à l’occasion de l’ouverture d’un “mois d’actions”. L’Amérique récompense les vaccinés avec des bières gratuites ou encore des armes à feu dans l’État de Virginie-Occidentale. Le Québec met en place des zones de selfie dans les centres de vaccination pour un florilège de clichés d’épaules et de V avec les doigts. Améliorer l’expérience utilisateur, pour que les gens en causent avec le sourire -ce qui donne plus envie qu’un récit ponctué de grimaces-, fait partie des préceptes du nudge. 

Un café pour les Français vaccinés? Pourquoi pas, répond Éric Singler, mais attention à ne pas dévoyer l’acte qui doit être fait avant tout pour protéger sa santé et celle de la population. “Hors de question de pousser la consommation d’alcool ou de donner des armes”, ironise-t-on au cabinet d’Olivier Véran. Mais la récompense, on y réfléchit. “Le pass sanitaire en est déjà une en quelque sorte”, souffle Éric Singler. Les vaccinés échappent aux PCR à répétition. 

Une personne se filme en train de se faire vacciner à Washington, aux États-Unis, où est offert une bière gratuite aux volontaires (photo prise le 6 mai 2021).

À quel point ces “coups de pouce” changent-ils la donne? Une étude de l’Université de Pennsylvanie a montré que les SMS destinés à pousser à la vaccination grippale étaient 11% plus efficaces lorsqu’ils étaient personnalisés: “Une dose est réservée pour vous/ vous attend”. Avant le coronavirus, 32 millions de dollars ont été économisés dans les hôpitaux de Pennsylvanie (Penn Medicine) en inversant les choix par défaut dans les ordonnances américaines, boostant la prescription de médicaments génériques, moins onéreux. 

Mais les comportements durant la crise sanitaire sont plus imprévisibles, parfois plus tranchés. Des études du King’s College Lion et du London School of Economics -deux des universités anglaises les plus réputées- portant sur le nudge autour du Covid-19, montrent que ses effets sont plutôt faibles, de l’ordre de quelques pourcents et surtout qu’ils s’estompent vite.

Le risque? Se détourner de l’essentiel

“Qui respecte encore le marquage au sol de la RATP pour espacer les Franciliens?”, se crispe Henri Bergeron, directeur de recherche au CNRS, professeur à Sciences Po. Le nudge est une sorte de vernis, un dernier réglage utile qui, s’il est trop utilisé, risque de détourner de l’essentiel. “Dans un contexte de plafond de verre vaccinal, pour enrôler quelques personnes de plus, pourquoi pas. Mais on modifie juste les choix qui s’offrent aux gens, leur niveau d’information. Cette vision limitée ignore les facteurs socio-économiques beaucoup plus déterminants”, nuance-t-il.

“On se focalise trop sur la communication. Il va falloir aller chercher les gens, surtout. Mobiliser les acteurs locaux, même en dehors des soins. Les associations, les figures locales, les paroisses et les mosquées”, souligne Jérémy Ward, sociologue à la Sorbonne, spécialisé dans les controverses vaccinales et régulièrement consulté par la Haute Autorité de Santé.

Dans une note parue fin mai, Nos services publics, un collectif d’énarques et de scientifiques appellent à un changement de braquet, au risque de laisser sur le bas-côté “20% de la population” en âge d’être vaccinée. Pour eux, le gouvernement doit accélérer et décentraliser sa politique du “aller vers”, se rendre là où les inégalités font barrière à la vaccination. Les zones pauvres sont les moins vaccinées, selon les données vaccinales de l’Assurance maladie publiées vendredi 28 mai. Le nudge n’est pas une solution magique, s’agacent certains chercheurs, qui voient en l’usage de ces techniques un trait macroniste, préférant distribuer les pansements là où il faudrait une chirurgie lourde.

À voir également sur Le HuffPost:Quand Macron trouvait “choquant” de vacciner les plus jeunes avant de livrer les pays pauvres