La France "4e pays le plus vert au monde"? Un classement à prendre avec des pincettes

ÉCOLOGIE - “Cela rend hommage aux efforts qui ont été faits, en particulier dans cette mandature!” À l’image de la ministre déléguée en charge du Logement, Emmanuelle Wargon, à l’Assemblée nationale, plusieurs membres du gouvernement se sont...

La France "4e pays le plus vert au monde"? Un classement à prendre avec des pincettes

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ÉCOLOGIE - “Cela rend hommage aux efforts qui ont été faits, en particulier dans cette mandature!” À l’image de la ministre déléguée en charge du Logement, Emmanuelle Wargon, à l’Assemblée nationale, plusieurs membres du gouvernement se sont autocongratulés ce mardi 6 avril. En cette période peu propice à l’enthousiasme, un classement du Massachussetts Institute of Technology fait de l’Hexagone le quatrième pays “le plus vert”, donc engagé dans la lutte contre réchauffement climatique, au sein d’une liste de 76 pays étudiés. 

Parmi les tweets réjouis, des membres de La République en Marche, des députés mais aussi des membres du gouvernement comme Bruno Le Maire. Le ministre de l’Économie y a vu la conséquence des efforts de l’exécutif pour le climat et une réplique cinglante aux critiques: derrière les bons élèves attendus que sont l’Islande, le Danemark et la Norvège, la France est au pied du podium. Mais gare aux satisfecit un peu rapides... 

Rapidement, les critiques se sont abattues en rafale sur les porteurs de la bonne nouvelle...et sur le rapport lui-même. La France ne vient-elle pas justement d’être condamnée par le tribunal administratif de Paris pour la “carence” de son action face au réchauffement climatique? 

Le gouvernement a en effet dû verser un euro symbolique à un groupe d’associations écologistes pour avoir manqué à ses engagements climatiques. Bien que les émissions de gaz à effet de serre diminuent dans le pays, ils baissent bien trop lentement pour que la France atteigne la neutralité carbone à l’horizon 2050. Une “faute” selon la justice, et un engagement de baisse non tenu pour le pays. 

Comment l’Hexagone peut-il alors être aussi bien classé? La liste du MIT, parue d’ailleurs deux mois plus tôt sans faire de vagues, avant d’être partagée à nouveau début avril, utilise de nombreux critères...et c’est peut-être là, paradoxalement, l’une des fragilités de l’analyse. 

Les auteurs ont ainsi défini cinq “piliers” pour ce classement, eux même divisés en plusieurs paramètres: les émissions carbonées, la transition énergétique, la société verte, l’innovation propre et la politique climatique. Ce dernier pilier, particulièrement important puisqu’il évoque les politiques publiques environnementales, fait à lui seul 40% de la note finale. Les autres pèsent chacun pour 15% de la notation, y compris les émissions carbonées. 

Les émissions de gaz à effet de serre, calcul trompeur

Il y a déjà là quelque chose de surprenant: les émissions de gaz à effet de serre ne font que 15% de l’étude, alors qu’elles sont au coeur du processus de Kyoto, et plus récemment des accords de Paris. À l’intérieur de cette catégorie, plusieurs facteurs sont pris en compte pour dresser le tableau le plus juste possible: croissance des émissions, émissions totales de C02, émissions par le secteur du transport, de l’industrie et de l’agriculture.

Sur ce thème, la France se situe au 13e rang, derrière l’Équateur, le Royaume-Uni ou l’Italie. Mais il y a déjà là un problème: “On cause des émissions uniquement du point de vue de la production et pas de la consommation”, explique ainsi au HuffPost Frédéric Ghersi, chercheur au Centre international de recherche sur l’environnement et le développement (CIRED). 

Effectivement, le classement s’appuie sur les émissions à l’intérieur des frontières du pays, et non sur les émissions dues aux produits importés. “Depuis trente ans, on transfère nos émissions au bout du monde”, résume Frédéric Ghersi, ce qui fausse nos émissions domestiques.

D’où un classement déjà un peu clément par rapport à la consommation en CO2 des Français: les émissions associées aux importations équivalent à la moitié de notre empreinte carbone. Ce n’est pas pire que le reste des pays industrialisés, et la France ne serait pas nécessairement plus mal classée, mais cet angle mort trouble déjà une partie de l’analyse. 

Les énergies renouvelables, point (très) faible

Pour le pilier suivant, celui dit de la transition énergétique, la France peut carrément porter un bonnet d’âne: elle est placée 62e sur 76! Les chercheurs se sont basés sur la part des énergies renouvelables dans la production énergétique, et la croissance de celle-ci depuis 2014. Autant dire que l’Hexagone, avec ses 11% de renouvelables, fait pâle figure. On notera au passage que Barbara Pompili, la ministre en charge de la transition écologique, s’est abstenue de tweeter le fameux classement... 

Classement

 

Où se situent alors les bons points de la France? Certainement pas dans le pilier suivant, celui qui analyse la “société verte”, où Paris est 57e, donc dans les profondeurs du tableau. Cette catégorie un peu fourre-tout mélange le nombre de bâtiments à haute qualité environnementale, la consommation de lait et de viande, le développement du recyclage et les efforts de reforestation, pour en tirer une note.

Une fragilité potentielle supplémentaire pour le classement du MIT. “C’est un reproche qu’on fait toujours aux indicateurs agrégés: ils mélangent un peu les choux et les carottes”, critique ainsi Patrick Criqui, chercheur au CNRS spécialisé dans les politiques climatiques.

 “Il y a les paroles, les actes et les résultats”

La France retrouve des couleurs dans le pilier suivant, celui de l’innovation verte, avec une honorable 9e place. Ici sont pris en compte le nombre de brevets déposés, l’investissement total dans les énergies vertes, et le nombre de startups d’agroalimentaire (“foodtech”) tournées vers le développement durable. Mais c’est le chapitre suivant qui vaut à la France sa très bonne place: celui de la “politique climatique”.

Cette dernière partie, comme indiquée plus haut, compte à elle seule pour 60% de la note finale, et l’Hexagone y occupe la deuxième place du podium mondial, derrière la Nouvelle-Zélande, à égalité avec le Danemark. L’indice est calculé sur des bases complexes, croisant les politiques d’incitation au développement durable, la place de l’agriculture durable, mais aussi le respect de la trajectoire décidée aux accords de Paris. 

Classement des politiques climatiques

Comment l’État condamné pour son inaction sur le sujet peut-il apparaître à ce point comme un excellent élève? Parce que la France et l’Union européenne se sont effectivement placées en pointe sur ces sujets. “La Commission européenne s’apprête à mettre en place un système d’ajustement du CO2 à la frontière” permettant de favoriser les importations bas carbone, explique ainsi le rapport, qui salue aussi la France pour ses dépenses en faveur de l’économie verte.

Mais on retrouve là un problème de l’analyse, qui croise données objectives (quantité d’énergie verte, émissions de CO2...) et intentions politiques. “Un indicateur peut être quantitatif ou qualitatif”, explique ainsi Patrick Criqui. Et le mélange peut prêter le flanc aux critiques, surtout lorsque l’on anticipe des résultats qui ne sont pas encore là. Ou comme le dit encore le chercheur: “Il y a les paroles, les actes, et les résultats”.

Cocorico quand même? 

Est-ce à dire que la place flatteuse de la France dans ce classement est totalement imméritée? Ce serait exagéré. “Il n’y a pas de pays dans ce classement qui m’ait fait dire: c’est complètement faux”, réagit pour Le HuffPost Bob Ward, chercheur au Grantham Research Institute on Climate Change de Londres.

En plus de la France, c’est tout le continent européen qui est à la fête dans ce classement: onze pays de l’UE sont présents dans les vingt 1ères places. Une présence tout à fait normale selon Bob Ward. “L’Europe est très ambitieuse sur le sujet, et la France possède déjà une énergie largement décarbonée, donc ça ne me surprend pas vraiment qu’elle soit si haut. Une autre raison, c’est son investissement massif dans l’hydrogène. À l’inverse, en bas du classement, on retrouve les pays consommateurs d’énergie fossile qui n’ont pas entamé de transition.”

Dans d’autres classements, qui ont retenu des critères pour juger à peu près de la même question, c’est-à-dire la préparation à une transition écologique en vue d’arriver à l’objectif zéro carbone de 2050, la France n’a d’ailleurs pas un classement très différent. Dans le rapport du World Economic Forum sur la transition énergétique de 2020, elle se classe ainsi 8e sur 114.

Que faire alors de ce type de classements, qui semblent récompenser des pays pourtant loin d’être sur la bonne trajectoire pour atteindre les objectifs fixés aux accords de Paris? Selon Bob Ward, nous les lisons mal: “Les militants de l’environnement oublient parfois que les politiques ont besoin d’encouragements. Ce genre de classement ne doit pas être utilisé pour se dire qu’on est bon, mais pour qu’on regarde là où les autres ont réussi.” Ce qui ne semble pas non plus, dans cette séquence d’autosatisfaction, être l’approche du gouvernement.

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