Variants du coronavirus: ce que l'on sait désormais et ce que l'on ignore encore

SCIENCE - Fin décembre, alors que l’on pensait enfin en finir avec cette année marquée par la pandémie de Covid-19, un dernier rebondissement prenait le monde par surprise. Le Royaume-Uni se reconfinait partiellement en raison de l’apparition...

Variants du coronavirus: ce que l'on sait désormais et ce que l'on ignore encore

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SCIENCE - Fin décembre, alors que l’on pensait enfin en finir avec cette année marquée par la pandémie de Covid-19, un dernier rebondissement prenait le monde par surprise. Le Royaume-Uni se reconfinait partiellement en raison de l’apparition d’une nouvelle souche du coronavirus.

Si les mutations sont courantes chez les virus, ce nouveau variant inquiétait les scientifiques car il semblait rendre le virus plus contagieux. Mais les données scientifiques étaient encore parcellaires. Plus de deux semaines après, la situation n’a pas vraiment évolué favorablement en Grande-Bretagne, où un reconfinement total a été mis en place par Boris Johnson lundi 4 janvier.

La nouvelle souche a été détectée dans de nombreux pays, dont la France. De plus, un autre variant également inquiétant, détecté en Afrique du Sud, est lui aussi suspecté d’augmenter la transmission du Sars-Cov2. Les choses sont toujours très floues, même si la communauté scientifique travaille d’arrache-pied sur la question. Voici ce que l’on sait et ce que l’on ignore sur ces nouveaux variants. 

De nombreuses mutations stratégiques

Il faut d’abord rappeler que le coronavirus mute très régulièrement (plus de détails dans notre article dédié) et que ce n’est quasiment jamais un problème. Depuis les premiers jours de l’épidémie de Covid-19, les généticiens du monde entier analysent en détail le génome du coronavirus afin de repérer les nouvelles souches.

Dans l’écrasante majorité des cas, cela ne change absolument rien. Un virus, comme tout organisme, est constitué d’un code génétique (ADN ou ARN) composé de 4 lettres. A, U, G, C, pour le Sars-Cov 2. C’est leurs combinaisons multiples qui vont donner ses propriétés à l’organisme.

Si le coronavirus était un roman, ces quatre lettres seraient son alphabet. Une mutation peut alors être assimilée à une coquille, une faute de frappe au sein du roman. Cela arrive très régulièrement, plusieurs fois par mois. Mais il y a de grandes chances que cette petite coquille ne change pas le sens du mot. Et encore moins celui de la phrase, du chapitre, et encore moins du roman.

Mais alors que s’est-il passé en Angleterre? Le British Medical Journalexplique que la nouvelle souche de coronavirus cumule 17 nouvelles mutations. Un vrai coup de malchance que les chercheurs tentent de comprendre. Pire: plusieurs sont présentes sur la “protéine S”, l’une des plus importantes, car elle permet au Sars-Cov2 de contaminer une cellule humaine.

L’une des mutations les plus surveillées par les épidémiologistes et généticiens s’appelle “N501Y”, un mot qui circule beaucoup dans les médias. Mais ce n’est pas le nom de la souche anglaise: elle s’appelle soit “B.1.1.7″, soit “VUI-202012/01”. 

Une transmission élevée, mais un lien qui reste à démontrer

Ces mutations ont été observées depuis mi-septembre en Angleterre. Mais jusque-là, c’était une souche comme une autre. Ce qui a alerté toutes les autorités de santé dans le monde ces derniers jours, c’est l’augmentation importante des cas au Royaume-Uni.

Surtout, les chercheurs ont remarqué une importante hausse de la souche VUI-202012/01 au sein de la population. Le graphique ci-dessous, issu d’une note du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) publiée le 29 décembre, montre bien l’explosion. En bleu, la proportion de cette souche par rapport aux autres versions du virus en Angleterre. 

ECDC
En vert, le nombre de séquençages du génome du coronavirus réalisés par semaine en Angleterre. En bleu, la proportion de la nouvelle souche par rapport aux autres variants.

Dans une analyse du 18 décembre rendue publique deux jours plus tard, le Nervtag, un groupe de scientifiques qui conseille le gouvernement britannique, a réalisé quatre modélisations pour essayer de comprendre ce que cela voulait dire. Et leurs conclusions ont de quoi alerter.

Au vu de la croissance ci-dessus, ce variant pourrait être 70% plus transmissible. Le R, le fameux taux de reproduction du virus (le nombre moyen de personnes infectées par un individu contaminé) augmente de 0,4 à 0,9 avec cette souche par rapport aux autres. La mutation N501Y rendrait également la charge virale (le nombre de virus présent dans l’organisme) 50% plus importante.

L’ECDC précise dans sa note que plusieurs modèles et analyses en laboratoires pointent toutes vers la même conclusion: une plus forte transmissibilité (entre 50% et 70% environ). Des études aussi poussées n’ont pas été réalisées pour l’instant sur la souche sud-africaine, mais l’organisme européen précise que ce nouveau variant représente depuis mi-novembre la quasi-totalité des génomes séquencés en Afrique du Sud.

Le précédent “D614G”

Si les données s’accumulent, les choses ne sont pas encore totalement tranchées. “Je ne suis pas encore entièrement convaincu que ces mutations confèrent au virus une meilleure capacité à se propager, mais il y a des éléments qui interpellent”, précise au HuffPost Samuel Alizon, directeur de Recherche au CNRS, spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses. “Au niveau scientifique, malheureusement la réponse claire viendra de la propagation marquée (ou non) de ce variant en dehors de l’Angleterre.”

Il y a un précédent à noter. Dans les premiers mois de la pandémie de Covid-19, une souche s’est imposée face aux autres: D614G. Elle est l’ancêtre commun de la plupart des coronavirus qui circulent dans le monde aujourd’hui, comme le montre ce graphique d’Emma Hodcroft, chercheuse à l’université de Bâle, spécialiste de la génétique des virus.

Beaucoup de chercheurs ont travaillé sur cette mutation particulière. On sait depuis qu’elle est plus infectieuse que la souche originelle apparue en Chine fin 2019, mais “même pour la mutation D614G les effets restent
limités”, rappelle fin décembre au HuffPost Samuel Alizon.

Souche nouvelle, mutations connues

Il faut également préciser que si la souche VUI-202012/01 est nouvelle et semble s’être développée en Angleterre, ses différentes mutations ne le sont pas entièrement.

Dans une note mise en ligne le 19 décembre sur le site Virological, des chercheurs expliquent ainsi que trois des mutations situées sur la protéine S pourraient changer le fonctionnement biologique du virus. Ils précisent également qu’elles ont déjà été observées ailleurs. C’est la combinaison de ces mutations qui est nouvelle.

Ainsi, les souches découvertes au Royaume-Uni et en Afrique du Sud portent la même mutation clé, N501Y. Mais comme l’explique sur Twitter Emma Hodcroft, les lignées britanniques et sud-africaines ne sont pas les mêmes. Il y a une mutation spécifique que l’on retrouve dans les deux, mais elles semblent avoir émergé indépendamment et disposer de diverses mutations spécifiques. Sur le graphique ci-dessous, le variant découvert en Angleterre est en vert. les gros points jaunes en bas du graphique représentent celui découvert en Afrique du Sud.

Emma Hodcroft/Nextstrain
L'arbre phylogénétique du coronavirus Sars-Cov 2. En vert, la souche découverte en Angleterre. Les gros points jaunes, en bas du graphique, sont ceux relatifs à la souche découverte en Afrique du Sud.

La souche peut-elle s’imposer en France ?

En moins de 15 jours, les deux nouveaux variants ont été détectés dans de nombreux pays, comme le rappelle Emma Hodcroft sur Twitter. La souche britannique est de plus en plus présente dans les séquençages rapportés dans chaque pays, comme le montre le graphique ci-dessous.

Mais ce graphique n’est pas représentatif de la vraie fréquence du variant dans chaque pays. En effet, notre vision est ici très, très partielle. Pour suivre à la trace les variants génétiques du coronavirus, il est nécessaire de séquencer le génome du Sars-Cov2. Dans un monde idéal, chaque test PCR positif serait analysé. C’est loin d’être le cas. 

Surtout que le Royaume-Uni est le pays qui fait le plus de séquençage de génome du virus au monde, de très, très loin. 38% de la totalité des séquences proviennent d’outre-Manche; ce graphique, réalisé fin décembre par l’équipe de Samuel Alizon, le montre bien. “Les Anglais ont séquencé plus de 120.000 génomes, en France on en a 2500”, précise-t-il.

Samuel Alizon/Équipe ETE
Le Royaume-Uni analyse beaucoup plus de génomes du coronavirus que ses voisins européens (échelle logarithmique)

Le nouveau variant contamine-t-il plus les enfants?

Aux premiers jours de l’émergence de la nouvelle souche en Angleterre, plusieurs scientifiques se demandaient si la hausse de la transmission n’était pas due à une surcontamination des enfants.

En effet, la contagiosité des enfants (notamment les plus jeunes) fait encore débat vis-à-vis du coronavirus: sont-ils aussi contaminants? Sauf que les premiers chiffres britanniques semblaient montrer une augmentation importante chez les plus jeunes des cas au moment de l’augmentation du nouveau variant.

Mais les choses sont aujourd’hui plus claires, comme le rappellent la virologue Muge Cevik et l’épidémiologiste Nick Davies sur Twitter. Les données de décembre montrent une hausse qui concerne toutes les classes d’âge. Mais alors comment expliquer la hausse de novembre chez les jeunes? A cette période, le pays était en partie confiné, mais les écoles étaient restées ouvertes.

Quel impact sur le vaccin ?

S’il s’avère que ces nouvelles souches sont plus infectieuses que les précédentes, cela sera évidemment une mauvaise nouvelle sur le front de la lutte contre la pandémie de coronavirus. Plus de contaminations entraînerait plus d’hospitalisations et donc plus de morts. Une souche plus contaminante dominante serait donc un coup dur et impliquerait des mesures plus strictes pour limiter l’épidémie.

Pour autant, même une hausse de la transmission de 70% ne changerait pas radicalement la donne. En effet, mutation ou pas, le virus se propage toujours de la même manière. Il entre dans le corps par la bouche et le nez, s’y réplique, avant de descendre vers les poumons et de développer la maladie Covid-19. Les moyens de se protéger sont donc les mêmes. Eviter les rassemblements, notamment à plusieurs, dans des lieux clos et mal ventilés, surtout si l’on ne porte pas de masque et que l’on discute ou mange. Respecter la distanciation physique et les gestes barrière. S’isoler en cas de symptômes ou de contacts connus avec une personne positive.

La vraie crainte des chercheurs concernant les mutations du Sars-Cov 2 est ailleurs. Ce qu’ils redoutent, c’est une transformation biologique du virus rendant les vaccins inopérants. Si le coronavirus était encore une fois un roman, imaginons que le vaccin soit capable de le retrouver dans une énorme bibliothèque en recherchant un paragraphe bien particulier. Ce que redoutent les chercheurs, c’est que de multiples mutations viennent rendre illisible ce paragraphe clé. 

Car une fois que la majorité de la population sera immunisée, la sélection naturelle va entrer en jeu. Seules survivront les formes du coronavirus permettant d’infecter quelqu’un d’immunisé.

L’exemple des papillons anglais

Le cas des papillons anglais est un classique permettant de le comprendre. Ils étaient majoritairement blancs jusqu’au début du XIXe siècle. Certaines mutations pouvaient rendre leurs ailes noires, mais cela n’était pas un avantage: les papillons étaient alors très visibles quand ils se reposaient sur un tronc de bouleau. Mais la pollution engendrée par la révolution industrielle a noirci les troncs. En quelques décennies, les papillons noirs sont devenus majoritaires.

Ce que redoutent à terme les chercheurs, c’est que le vaccin provoque une situation similaire pour le coronavirus. Mais pas besoin de s’inquiéter pour le moment. Comme le rappelle Trevor Bedford, chercheur spécialiste de l’évolution des virus, on sait que des mutations permettent au virus de la grippe d’échapper à l’immunité humaine. De même pour les coronavirus saisonniers classiques, provoquant un simple rhume. Mais cela prend des années pour que de telles mutations finissent, par hasard et par la sélection naturelle, par s’imposer.

Le spécialiste rappelle que “les mutations uniques auront généralement un faible impact sur les réponses immunitaires et la forte réponse immunitaire aux vaccins à ARNm suggérerait qu’un changement antigénique important serait nécessaire pour réduire significativement l’efficacité”.

Ewan Birney, directeur adjoint du Laboratoire européen de biologie moléculaire, précise également sur Twitter que les essais cliniques des vaccins ont eu lieu alors que de nombreuses mutations existaient et qu’il n’y a pas eu d’impact notable. Il y a donc de bonnes raisons de penser que les vaccins seront toujours efficaces face à une hégémonie de cette nouvelle souche.

Pour autant, les choses ne sont pas si claires et plusieurs analyses sont en cours. Un article prépublié ce lundi 4 janvier analysant l’impact possible des deux souches estimait que le variant découvert en Angleterre ne devrait pas avoir d’impact sur la réponse immunitaire, mais les choses seraient moins claires pour le variant sud-africain. Mais ce type d’analyse ne fait pas l’unanimité pour l’instant. Il faudra attendre la publication de plusieurs travaux concordants pour en avoir le cœur net.